Si à aucun moment je ne mets en doute la réalité de l’épidémie ni les risques qu’elle fait peser sur notre santé, sur notre système de soins et sur notre économie, j’ai néanmoins voté contre le projet de loi instituant un pass sanitaire et d’autres mesures liées à l’urgence sanitaire.
Il fallait prendre position.
Malgré les apports du Sénat, à savoir la fin du régime de sortie d’état d’urgence sanitaire au 15 novembre 2021, la majorité vaccinale à 16 ans et le report du délai du pass sanitaire au 15 septembre pour les 12/18 ans, le texte final contient des mesures à mon sens inapplicables, mais surtout des dispositions gravement attentatoires à notre droit.
Ainsi en est-il du traitement accordé aux salariés. La création du nouveau motif de licenciement pour non-vaccination était certainement la mesure la plus aberrante du texte proposé par le gouvernement.
Madame Bourguignon, qui fut pourtant députée socialiste et qui a soutenu cette mesure au banc aurait sans doute été plus virulente si Nicolas Sarkozy avait osé proposer une telle disposition. O tempora, O mores.
Si les efforts du Sénat ont permis d’écarter le sinistre projet d’un nouveau motif de licenciement, le texte élaboré par la commission mixte paritaire contient toujours une interdiction d’exercer accompagnée d’une suspension de salaire. La mesure ainsi retenue n’est en rien un compromis entre les deux chambres, c’est une disposition encore plus dangereuse pour les salariés, et notamment les plus précaires.
En effet, comme le souligne parfaitement bien Lucie Oriol dans un billet du Huffington Post et les professionnels du secteur de l’emploi, le dispositif crée un flou juridique qui apportera encore plus de complexité à notre droit du travail. La suspension des salaires sans possibilité de licenciement ne laisse que deux issues possibles :
Soit l’employeur utilisera tout de même un motif de licenciement – l’inaptitude, par exemple – et n’aura pas même à respecter un délai de deux mois.
Soit le salarié – qui ne percevra plus de salaires – n’aura pas d’autre solution que de démissionner et perdra ainsi toutes les protections d’une rupture conventionnelle de contrat, comme les indemnités de fin de contrat ou les droits au chômage.
Cette disposition crée une zone de non droit pour les salariés, dont les plus fragiles, qui se retrouvent dans un no man’s land, expression également employée à juste titre par François Asselin. Ce far west juridique n’est pas plus simple pour le salarié que pour l’employeur.
Par ailleurs, comment ne pas comprendre la réticence de certains parlementaires – même ceux appartenant comme moi à la majorité de droite et du centre – face à ces mesures objectivement attentatoires aux libertés les plus fondamentales ? Certes, la vaccination est la seule porte de sortie de cette crise. Certes, si nous voulons retrouver un jour un semblant de vie normale, il faut que la population soit protégée.
Mais je doute de la méthode et je doute du bien-fondé des mesures adoptées.
Et en conséquence logique et en toute conscience, je ne vote pas un texte qui comporte ces dispositions. En effet, des mesures aussi importantes doivent être cohérentes et proportionnées.
Comment comprendre l’obligation du pass sanitaire sur les terrasses des cafés et restaurants mais pas dans les transports urbains comme le métro ou le RER?
Comment justifier l’obligation de vaccination pour les soignants et pompiers, mais pas pour les policiers, qui seront eux-mêmes chargés du contrôle des pass sanitaires ?
Quelle est l’utilité de contrôler le pass sans contrôler l’identité ? Les attestations risquent bien de devenir des abonnements familiaux Netflix, comme le craignait le ministre de la Santé, passant de main en main.
Et je n’aborde pas la question des territoires où le masque a été rendu obligatoire à l’extérieur et où il sera possible de le retirer à l’intérieur, ou les lieux de culte qui ne seront pas soumis au même contrôle en fonction d’activités différentes se déroulant pourtant dans le même espace.
Les atteintes aux libertés publiques doivent toujours être mesurées et équilibrées afin d’être compréhensibles et répréhensibles. Ce n’est pas le cas ici.
Enfin la méthode.
Ce texte important a été déposé en toute fin de session le 19 juillet en procédure accélérée. Sa discussion a suscité plus de
2000 amendements en commission et en séance publique à l’Assemblée nationale, où le débat s’est légitimement prolongé. La discussion a donné une image catastrophique de la représentation nationale : des amendements défilant sans être défendus mais assortis de la mention « défendu » pour gagner du temps, des ministres épuisés et des députés siégeant jusqu’à quatre heures du matin. Le tout pour passer le témoin, comme dans une mauvaise course de relai, aux sénateurs, qui attendaient le texte comme un utilisateur des transports publics parisiens attend son train un jour de grève. Le spectacle ne pouvait qu’être navrant.
Nous avons tous dénoncé cette méthode et ce mépris du Parlement. Il eût été sans doute plus correct pour un tel sujet de repousser de quelques jours la fin de la session extraordinaire.
On a tant de fois eu l’expérience du peu d’estime de ce gouvernement pour les débats parlementaires, mais les conditions d’examen de ce projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire ont été tout simplement inacceptables.
La séance à l’Assemblée nationale s’est achevée vendredi 23 juillet à six heures du matin après une nuit de débats laborieux tandis que la discussion générale du Sénat a débuté le même jour à minuit. Résultat : une discussion certainement bâclée et qui n’est pas à la hauteur des enjeux.
En ayant recours à ce type de méthodes, le gouvernement risque de faire muter la crise sanitaire et économique en crise politique. Car bafouer les parlementaires de cette manière, c’est fragiliser les processus de décision et donc, complexifier encore l’application des mesures adoptées. Et ce, de manière encore plus évidente à l’heure d’une méfiance de plus en plus forte des Français à l’égard de leurs responsables politiques.
Une véritable discussion avec les élus des deux chambres, dans le respect d’un débat contradictoire – et donc démocratique – aurait été souhaitable. L’instauration d’un pass sanitaire et la vaccination obligatoire sont des mesures qui doivent découler d’une véritable réflexion de société, qui nécessite de profonds échanges pour être acceptées.
Restent les enjeux de compensations financières pour les entreprises qui ont été promises mais dont nous n’avons encore aujourd’hui aucun élément. Il aurait vraiment fallu que le tout soit traité dans un même texte pour lui donner plus de cohérence, et de force.
Décidément, ce travail législatif – malgré les efforts louables des sénateurs et en particulier des deux rapporteurs Philippe Bas et Chantal Deseyne – est décevant. L’acceptabilité de certaines mesures pourtant indispensables n’apparaît pas à la lumière des travaux.
Je formule le vœu que la prochaine session, la dernière du quinquennat, abandonne les lectures urgentes et nocturnes et écoute le Parlement dans sa diversité.
Soutenant le travail de nos commissions, mais jugeant le texte définitif incomplet et dangereux, j’ai tranché le conflit de loyauté en votant contre le projet de loi.
Il reste à espérer que les sages du conseil constitutionnel remettent le Parlement, épuisé, sur le droit chemin.
Explication de vote du Sénateur Goulet https://www.youtube.com/watch?v=bSlASYYtmus
Nathalie Goulet, Sénateur de l’Orne