Dans cette belle et vieille terre de France qui s’installe dans l’été, peu de temps avant le changement de lumière du mois d’août, jamais sujet n’aura autant alimenté les conversations que l’instauration du pass sanitaire ni suscité autant d’interrogations sur sa mise en œuvre et ses effets à moyen et long terme…
Jadis, nos Rois n’hésitaient pas à se faire inoculer dans la tradition de la monarchie éclairée pour sensibiliser et convaincre leurs sujets sur les vertus et bienfaits du progrès sanitaire, dans des environnements où l’inconscient populaire collectif était encore tout imprégné de superstitions et de croyances souvent tempérées par un empirisme et des pratiques basées sur l’observation de la nature et le bon sens délivré par la culture de la terre. Et l’humanité cheminait à la recherche de son destin, bon an mal an, inexorablement, au rythme des saisons et des cycles nourriciers, soumise à de multiples drames naturels ou provoqués de main de maîtres des horloges et des détenteurs du pouvoir…
Autres temps, autres mœurs avant que les Lumières, les révolutions et la passion de l’égalité n’aient remodelé les consciences et dessiné un monde où la nécessité de convaincre passe pour le mieux par la pédagogie raisonnée et pour le pire par la force, en suscitant les résistances les plus âpres…
C’est toujours plus tard et au prix le plus fort qu’arrive le moment de rendre des comptes et de dresser le bilan des décisions qui, prises pour des raisons bonnes ou mauvaises face à l’urgence de l’action ou au défaut d’anticipation et de saine prévision, peuvent s’avérer salvatrices ou désastreuses – nul ne saurait le prédire dans cette pandémie de la Covid 19, dans un moment où de certains pays comme Israël nous parviennent des signaux qui tendent à souligner que la vaccination seule n’est pas l’unique arme pour endiguer le fléau de la mutation du virus. Plus que jamais, les gestes barrières élémentaires doivent être rappelés et il faut à tout prix éviter le piège du relâchement sous prétexte que la vaccination garantirait l’immunité et le retour à une vie d’avant idyllique et sans dangers, un des pièges d’une communication officielle mal maîtrisée qui fluctue au gré des réactions de rejet du pass sanitaire, lequel s’avèrera d’une rare complexité de mise en œuvre, tant le diable se niche dans les détails de son application au fur et à mesure où on se rapproche du tour d’écrou du mois d’août…
Sur les quais d’une petite gare du Sud-ouest dans la torpeur d’une fin d’après-midi orageuse, les voyageurs devisent à haute voix à quelques jours de l’instauration de l’élargissement du pass sanitaire et le moins que puissent en retenir les quelques observateurs silencieux qui écoutent leurs propos, c’est que le sujet est loin de confirmer le reflet fallacieux d’une opinion publique, majoritairement favorable, relayée par les médias ou les instituts de sondage parisiens enfermés dans leurs illusions et certitudes bien éloignées des préoccupations de ceux qui ne sont rien…
La tension est palpable et les passionnés de l’égalité que sont les Françaises et les Français retiennent plus les contraintes des mesures annoncées et le diable tapi à l’aguet dans les détails des contrôles à établir, celles et ceux qui ont peur d’éventuels effets secondaires de la vaccination se déclarent prêts à renoncer à accéder aux lieux publics et activités de loisir où ce pass sera applicable, beaucoup réalisent avec frustration que le calendrier des injections ne leur permettra pas d’avoir reçu le sésame à temps pour jouir des plaisirs de l’été et des vacances, autant de réactions porteuses de germes de clivage et de ressentiment à venir, dans l’attente du couperet de la rentrée quand il faudra au pied du mur tirer les conclusions en matière d’emploi pour ceux qui ne seront pas convaincus de la nécessité de se faire vacciner… Un autre danger est observable, lié certes aux conditions climatiques estivales, c’est le risque de rejet des gestes barrières comme le port du masque de la part de ceux qui se sentent à l’abri des contraintes à venir parce qu’ils sont détenteurs du précieux sésame grâce au vaccin… Dans un vieux pays passionné d’égalité au point d’en avoir fait le deuxième volet de sa devise nationale après la liberté, il est toujours hasardeux de réveiller le fantôme des privilégiés, c’est sans doute le message inquiétant qu’ont voulu distiller ceux qui ont érigé une guillotine de deux mètres à l’intention d’élus favorables au pass sanitaire dans un village des Landes…
Autant de signaux qui soulignent les difficultés de l’heure et combien ce maudit virus n’a pas fini d’empoisonner l’air du temps, en se jouant de nos certitudes et en nous réservant sans nul doute encore bien des mauvaises surprises, tout en gâchant malheureusement pour un grand nombre d’entre nous à l’échelle de la planète cette parenthèse tant attendue qu’aurait pu être le mois d’août 2021, après des mois de restrictions et de tristesse diffuse…
Pour se consoler, les voyageurs en montant dans le train en provenance de Toulouse, sur les quais de cette petite gare paisible du Sud-ouest, emportent dans leurs cœurs et leurs yeux un peu de la beauté immuable des coteaux de la région d’Agen, un trésor que le virus ne pourra pas leur ravir, dans l’infinie générosité des paysages et terroirs de France.
Eric Cerf-Mayer