La violence est aujourd’hui sur le devant de la scène. Elle est le fonds de commerce de certains médias, et d’une grande partie de la classe politique française. Mais notre société est-elle si violente ? L’est-elle plus qu’autrefois ? Faut-il engager des politiques plus répressives pour traiter le mal ?
Un manque de moyens adéquats
Violence des réseaux sociaux, délinquance ordinaire, violences policières, rixes entre bandes ou actes terroristes : on constate, bien souvent, que les débats sur la violence sont l’occasion d’une grande confusion. Cette absence de rigueur dans l’analyse alimente les peurs et les réponses démagogiques. Sans clarification, sans distinction des problèmes, pas de politique publique pertinente ni efficace.
Repartons des chiffres relatifs aux violences sur les personnes. Sur une longue durée, le nombre d’homicides et de violences volontaires est stable depuis 15 ans. La hausse apparue dans les statistiques de violences volontaires depuis 2012 est, d’après le ministère de l’Intérieur, essentiellement due à une plus grande disponibilité des victimes à porter plainte.
Ce constat d’une société qui reste sûre laisse entière la souffrance qu’endurent les victimes et appelle une sanction des auteurs de violences. Mais ce qui manque à notre justice, ce n’est pas une main plus ferme, une plus grande rigueur pour punir. Depuis 40 ans, la durée des peines prononcées augmente constamment, tout comme la population carcérale.
Le vrai sujet est que notre justice manque cruellement de moyens pour traiter la question de la délinquance comme elle manque de moyens pour accompagner les victimes.
Nous devons y remédier par un plan de rattrapage budgétaire qui permettra à notre justice de se situer au niveau des autres nations européennes.
Notre actualité récente est bien sûr marquée par un autre type de violence : celle du terrorisme islamiste, qui relève d’une toute autre problématique. Ici la réponse relève avant tout du renseignement, qui demande, une fois encore, des moyens humains renforcés. Mais le terrorisme relève – plus profondément – de questions géopolitiques. En ce sens, nous ne pouvons que déplorer la faiblesse diplomatique et militaire de l’Europe, incapable de jouer un rôle déterminant sans son allié américain sur les bases arrières qui alimentent le terrorisme – l’Irak et la Syrie de Daech hier, l’Afghanistan des talibans qui reviennent sur le devant de la scène aujourd’hui.
Cette question du terrorisme concerne aussi notre territoire français. Comment retenir nos jeunes qui s’engagent dans le jihad ? Le démantèlement des réseaux – associations ou réseaux sociaux – qui œuvrent à l’endoctrinement est une réponse évidente. Le désenclavement économique de nos quartiers en est une autre. Depuis les années 1980, avec la création du RMI, de la CMU et de la prime pour l’emploi, l’État social a contribué à la baisse de la violence dans notre société française. Aujourd’hui, des moyens considérables doivent être déployés pour la jeunesse de nos quartiers populaires, abandonnés à leur sort ou réprimés depuis le début des années 2000. Nous devons combattre sans faillir les ennemis de la République et restaurer la belle promesse de notre nation : liberté, égalité, fraternité. Pour cela, une implication très forte de la puissance publique est nécessaire. Sans elle, un territoire de conquête est offert au communautarisme et à ses pires dérives.
Une autre question majeure, longtemps négligée, est celle de la violence faite aux femmes. Chaque année, 220 000 femmes sont victimes de violences de la part de leur conjoint ou ex-conjoint, et 40 000 enfants sont co-victimes. C’est considérable ! Ces faits restent dans leur immense majorité impunis du fait d’un manque de moyens adéquats. Grenelle des violences conjugales, rapport d’inspection sur les féminicides de Mérignac et d’Ayange, les déclarations d’intention se multiplient sans que les moyens soient donnés d’éradiquer cette violence.
Les solutions sont pourtant connues et ont fait leur preuves, notamment en Espagne : il faut instaurer une police et une justice spécialisées, avec formation initiale qualifiante (8 mois en Espagne, trois heures aujourd’hui en France) et mise en réseau de la justice, de la police, des travailleurs sociaux et des professionnels de santé. Il est également urgent de protéger les victimes dès le dépôt d’une plainte, de manière systématique. Il faut enfin revoir les dispositions du Code civil pour que la protection des victimes soit soumise à la seule condition d’établir la vraisemblance des violences (et non plus à celle d’un « danger actuel », très difficile à prouver). En amont, nous avons enfin besoin d’une politique publique volontariste d’éducation à l’égalité, à la mixité et à la non-violence, auprès des plus jeunes comme des professionnels. La loi le prévoit depuis 2010, mais elle est restée lettre morte, faute de volonté politique et faute de moyens.
Toute réflexion sur la question de la violence contemporaine doit également porter une attention particulière aux réseaux sociaux.
Le formidable gain pour la liberté d’expression qu’ils procurent ne s’accompagne pas toujours de la responsabilité que doit revêtir l’expression publique. Les algorithmes qui régissent ces réseaux placent les individus dans un processus d’enfermement délétère qui amène les extrémistes à se conforter entre eux. C’est ce qu’a montré l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty.
Pour lutter contre ces dérives, il ne saurait être question d’instaurer une censure d’État. Mais les gestionnaires des réseaux, qui en tirent des profits faramineux, ne peuvent échapper à leur responsabilité. Des journaux tirant à quelques dizaines de milliers d’exemplaires devraient veiller à ce que leurs colonnes ne comportent pas d’appels à la violence, et des entreprises qui mettent des écrits et des images à la disposition de millions de personnes seraient exemptées de toute contrainte ? Qui retire des profits d’une publication doit en assumer la responsabilité pénale.
Des violences inédites dans les relations entre l’état et les groupes sociaux
Un autre aspect – très différent – de cette thématique, est celui de la violence dans les rapports entre les Français et leurs représentants politiques. La gifle récemment reçue par le Président de la République, si elle doit bien sûr être condamnée, éclaire surtout le contexte particulier que nous connaissons depuis 2017. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, notre pays est plongé dans une atmosphère inédite de violence marquant les relations entre l’État et les groupes sociaux.
Rappelons les dégradations commises en 2018 lors des manifestations des gilets jaunes et les violences sans précédent commises par les forces de l’ordre (une quarantaine de blessures oculaires par armes non-létales en 2018 et 2019, contre un à deux cas les années précédentes). Le bilan de ce gouvernement en matière de paix civile est calamiteux : il suffit de le comparer à celui des manifestations de mai 1968 ou encore de l’état d’urgence de 2005.
Le pouvoir actuel a une importante responsabilité car il a poursuivi la mise à l’écart des corps intermédiaires qui facilitent la régulation sociale.
Il a également insufflé des éléments de violence inédits : par la brutalité du langage, qui traduit un mépris sans précédent pour les classes populaires (M. Macron opposant « les Français qui ont réussi » et ceux « qui ne sont rien ») et par une politique dévoyée de maintien de l’ordre, aggravée par des lois renforçant toujours plus les pouvoirs de police contre les manifestants. Cette politique brutale a installé un divorce durable entre les Français et leur police, qu’il faudra impérativement restaurer dans les années à venir.
La brutalité des conditions d’existence
Il revient enfin d’éclairer la question de la violence d’un jour moins attendu. Une enquête nommée « Global Burden of Disease », nous informe sur les causes de décès des Français depuis 30 ans. On apprend que si la mortalité progresse depuis quelques années, c’est à cause de l’explosion de maladies chroniques (cancers, maladies cardiovasculaires, diabètes et maladies neurologiques).
Ces maladies sont largement liées à la dégradation de la qualité de notre environnement et à celle de nos modes de vie.
Alors que les débats médiatiques se focalisent sur les violences entre personnes, sur « l’insécurité » au sens large, l’étude nous montre que ces dernières ne sont à l’origine que de 0,09 % des décès. Par rapport aux violences interpersonnelles, le risque représenté par les températures extrêmes est 3,5 fois plus important, celui des suicides 20 fois plus important, celui des chutes 33 fois plus important, celui des attaques cardiaques 83 fois plus important.
Comme l’explique le chercheur Eloi Laurent, « la diversité bien réelle de la population française (à 20 % immigrée ou de descendance immigrée) n’a aucunement conduit au cours des 25 dernières années à une montée des violences interpersonnelles… La menace la plus grave qui pèse sur la vie des personnes en France n’est pas la violence des autres, c’est la brutalité des conditions d’existence, l’inégalité devant l’accès aux soins préventifs et curatifs et la négligence des pouvoirs publics face à l’épidémie de maladies chroniques et d’isolement social ».
Renouveler le contrat entre l’état et les citoyens
Bien éloignée des rodomontades répressives et inefficaces du pouvoir actuel et de la droite, l’écologie propose un nouveau regard sur la question de la violence et une nouvelle donne politique. Il s’agit de renouveler le contrat entre l’État et les citoyens en se fondant sur le respect et sur le droit. Il s’agit d’investir dans les services publics de la justice, de la police, de la santé et de l’éducation. Il s’agit de s’engager dans les quartiers et auprès des populations les plus fragiles. Il s’agit d’offrir à toutes et à tous des conditions de vie dignes dans un environnement sain.
Notre société française est fracturée, tendue. Elle souffre de multiples maux, indubitablement. Le rôle du politique est de traiter les problèmes après les avoir énoncés avec clarté et rigueur. Il est aussi de rassembler et d’apaiser autour d’un sens et d’un projet commun.
Jannick Jadot
Député européen