Au terrible drame du 24 avril dernier survenu au Lycée Notre-Dame-de-Toutes-Aides à Nantes est venu s’ajouter ce mardi 10 juin le meurtre de Mélanie, assistante d’éducation au collège Françoise Dolto de Nogent en Haute-Marne. Notre école est sous le choc, endeuillée face à une violence qui aujourd’hui , au-delà des adultes, impacte notre jeunesse dans des lieux qui devraient être des espaces protégés et sécurisants.
Les récentes dérives sémantiques de bon nombre de responsables politiques, du Ministre Bruno Retailleau à Gérald Darmanin en passant par Laurent Wauquiez jusqu’à Marine Le Pen, Jordan Bardella et Éric Ciotti…- utilisant pour certains le terme « d’ensauvagement », pour d’autres celui de « barbares » invoquant le « laxisme et l’absence de fermeté » – traduisent une approche quasi-exclusivement sécuritaire, extrêmement réductrice voire caricaturale et qui évacue toute approche préventive face à de tels actes.
Car à ce jour l’essentiel des mesures mises en place et celles à venir sont toutes marquées du sceau de la répression et d’une approche sécuritaire. Depuis la mise en place en mars dernier des sacs suite à la mort d’un lycéen dans le département de l’Essonne, 6002 fouilles ont été réalisées, conduisant à la saisie de 186 couteaux et à 32 gardes à vue, chiffres transmis par le ministère de l’Education.
Mais fouiller n’est pas protéger.
La preuve en est que ce drame de Nogent est survenu lors d’une opération menée par la gendarmerie dans le cadre des mesures de sécurité renforcées mises en place ces derniers mois, précisément après le drame de Nantes.
Présence humaine
Fouilles inopinées, reconnaissance faciale, intensifications des contrôles, détecteurs de métaux, alarmes anti-intrusion, amendes forfaitaires délictuelles, vidéosurveillance, déferrement systématique des auteurs, sanction pénale alternative aux poursuites judiciaires, modification du code de l’éducation « afin qu’un élève passe systématiquement devant un conseil de discipline » – proposition de la ministre de l’éducation Elisabeth Borne- … cette liste à la Prévert de dispositifs et de mesures dont l’opportunité et l’efficacité restent à démontrer relève très largement du « curatif » sans approche « préventive » digne de ce nom.
Quand parlera-t-on de l’origine et du traitement des causes de la violence sous l’angle de la santé mentale et du mal-être de nos élèves ? A quel moment se penchera-t-on résolument sur la place et le rôle des réseaux sociaux, sur les phénomènes de harcèlement et sur la grande détresse de nos jeunes si bien décrits dans la mini-série télévisée « Adolescence » récemment diffusée sur Netflix ?
Quand s’attachera-t-on à assurer et à renforcer la présence humaine sous toutes ses formes auprès de notre jeunesse au sein des établissements scolaires ?
Une étude de Santé Publique France de 2024 a révélé que les pensées suicidaires ont été multipliées par plus de deux depuis 2014 chez les 18-24 ans, que depuis 2021 le nombre d’hospitalisations pour tentative de suicides augmente chez les 11-17 ans. Et les enfants ne sont pas épargnés : 13% d’entre eux scolarisés en élémentaire présentent un trouble probable de santé mentale.
Face à cette situation, on compte aujourd’hui une infirmière scolaire pour 1500 élèves, un psychologue de l’Education nationale pour 1800 élèves, une assistante sociale pour 2000 élèves et un médecin scolaire pour 16000 élèves !
Comment prendre en charge le mal-être et les problèmes de santé mentale de notre jeunesse face à ce manque criant de personnels spécialisés, mieux formés et mieux rémunérés ? Comment assurer dans de telles conditions les diagnostics médicaux et psychologiques, les accompagnements scolaires et sociaux dont on connaît l’impact majeur sur les apprentissages ?
Tant que les établissements ne disposeront pas des moyens nécessaires pour assurer leurs missions de santé scolaire auprès des élèves, le mal-être et les problématiques de santé mentale continueront de la maternelle au lycée à entraver la réussite et le bien vivre-ensemble.
Se pose alors la question de l’attractivité de ces métiers, tant d’un point de vue des conditions de travail que de la rémunération qui par exemple pour un médecin scolaire s’élève à 2000 euros nets en moyenne !
Réaffirmons que la bonne santé psychologique et psychique de notre jeunesse mérite mieux que des déclarations stigmatisantes ou des mesures exclusivement sécuritaires parfois très difficilement applicables car déconnectées des réalités du fonctionnement quotidien des établissements.
L’indispensable présence humaine sous forme d’équipes éducatives au sens très large du terme ne peut plus être occultée, à l’intérieur mais également à l’extérieur des écoles, collèges et lycées. Car si les moyens font défaut au sein même du système scolaire, la présence de professionnels et d’associations à l’extérieur des établissements reste profondément inégalitaire d’un territoire à l’autre.
C’est ainsi que dans certaines régions un délai de 6 à 18 mois est nécessaire pour consulter un pédopsychiatre et 12 à 18 mois pour une première consultation en centre médico-psychologique…
Sacrifier les générations
Sauf à se complaire dans une forme de cécité coupable, il est grand temps de mesurer l’ampleur du drame qui se déroule sous nos yeux depuis trop longtemps et d’engager en conséquence des politiques publiques de fond si l’on veut sérieusement et durablement prendre à bras le corps et dès l’enfance la question du bien-être et du bien-vivre de notre jeunesse.
Les fouilles et les portiques ne remplaceront jamais la présence humaine dont toute une partie de jeunesse fragilisée et en souffrance a tant besoin.
Et au-delà de la seule institution scolaire, il s’agit donc bel et bien d’une question sociétale qui ne peut plus être ignorée ou traitée sous le seul angle sécuritaire, au risque de sacrifier les générations d’aujourd’hui et de demain.
Car cette violence est dramatiquement présente au cœur de notre société, une société de plus en plus inégalitaire, une société de la compétition, une société de la sélection, une société où les perdants et les gagnants ne se côtoient plus, une société dont le système éducatif est profondément fragilisé, dévalorisé et qui peine à assurer ses missions envers une jeunesse en perte de repères.
L’honneur de notre société se mesure assurément et indéfectiblement à l’attention que nous portons à notre jeunesse et à sa santé : soyons à la hauteur de ce défi.
Il y a urgence.
Yannick TRIGANCE
Secrétaire national PS école, collège, lycée
Conseiller régional Ile-de-France