Il y a cinquante ans, Charles de Gaulle disparaissait d’une rupture d’anévrisme à Colombey-les-Deux-Eglises. Raphael Piastra revient sur ce 9 novembre 1970 et sur les dernières volontés du Général.
Ce 9 novembre 1970 est un jour d’automne comme il n’en existe presque que dans la Haute-Marne. La matinée est brumeuse, humide et froide sur Colombey-les-deux-Eglises. Il a arpenté une nouvelle fois son parc. Il en connait les moindres recoins. Cette terre, à défaut d’être natale, il se l’est saccaparé. Il la connait. Les gens du cru, il a appris depuis longtemps à les connaitre. Il est des leurs. Bien sûr il ne saurait y avoir de familiarité dans les rapports avec le commandeur. Mais ce dernier fait toujours preuve de cordialité, de simplicité et d’attention.
Après le déjeuner, comme il le fait parfois le général s’est reposé. Puis il a lu. En fin d’après-midi, comme il est de coutume, il a amené à Yvonne le thé préparé par Charlotte la fidèle femme de chambre. La nuit vient de tomber sur La Boisserie où les de Gaulle se sentent si bien. Il va tirer les volets de son bureau. Fermant ainsi une fenêtre à la vue imprenable sur un océan d’arbres et de prés qu’il a tant contemplé. Qui l’a tant inspiré. Il est environ 18h30. Il s’installe à sa table de bridge dans la bibliothèque. Préalablement il a allumé la télévision mais il ne peut la regarder sans s’occuper les mains avec des cartes. Même les plus grands ont leurs manies ! Peut-être aussi que les informations de ce monde qu’il a un peu quitté ne l’intéressent plus vraiment. Il les entend plus qu’il ne les écoute.
Visiblement il a neigé sur les Vosges. Soudain il s’écrie : « Oh j’ai mal, là, dans le dos ». Yvonne, affairée à son tricot, se précipite vers lui. Il porte la main à son côté, s’affaisse, ses lunettes sont tombées à terre. Avec l’aide de Charlotte, Honorine la cuisinière et Francis le chauffeur, ils parviennent difficilement à l’allonger par terre. Il est aussi un géant physique (1,96 m) qu’il n’est pas aisé de manipuler. Le médecin et le prêtre sont requis. Il gémit. Le premier fait une improbable piqure de morphine. Alors que le second administre déjà les saints sacrements. Il est 19h35 très exactement. Le docteur Lacheny fait signe à Yvonne. Charles de Gaulle qui n’a pas encore 80 ans vient de succomber à une rupture d’anévrisme.
C’est Yvonne qui, dans l’attente de l’arrivée de son fils et de sa fille, va prendre en mains la suite. Toute sa vie de femme durant et plus spécialement depuis 1958, elle a dû partager « son » de Gaulle avec la France. Elle a décidé qu’elle ne partagera pas sa mort. Il avait laissé un testament olographe : ” pour mes obsèques “.
Ce document fut manuscrit en trois exemplaires numérotés : le premier parvint à Georges Pompidou, directeur de cabinet, le second et le troisième à Elisabeth et à Philippe de Gaulle.
16 janvier 1952.
Je veux que mes obsèques aient lieu à Colombey-les-Deux-Eglises. Si je meurs ailleurs, il faudra transporter mon corps chez moi, sans la moindre cérémonie publique.
Ma tombe sera celle où repose déjà ma fille Anne et où, un jour reposera ma femme. Inscription : Charles de Gaulle (1890-….). Rien d’autre.
La cérémonie sera réglée par mon fils, ma fille, mon gendre, ma belle-fille, aidés par mon cabinet, de telle sorte qu’elle soit extrêmement simple. Je ne veux pas d’obsèques nationales. Ni président, ni ministres, ni bureaux d’assemblées, ni corps constitués. Seules, les Armées françaises pourront participer officiellement, en tant que telles ; mais leur participation devra être de dimension très modeste, sans musiques, ni fanfares, ni sonneries.
Aucun discours ne devra être prononcé, ni à l’Église ni ailleurs. Pas d’oraison funèbre au Parlement. Aucun emplacement réservé pendant la cérémonie, sinon à ma famille, à mes Compagnons membres de l’ordre de la Libération, au Conseil municipal de Colombey. Les hommes et femmes de France et d’autres pays du monde pourront, s’ils le désirent, faire à ma mémoire l’honneur d’accompagner mon corps jusque sa dernière demeure. Mais c’est dans le silence que je souhaite qu’il y soit conduit. Je déclare refuser d’avance toute distinction, promotion, dignité, citation, décoration, qu’elle soit française ou étrangère. Si l’une quelconque m’était décernée, ce serait en violation de mes dernières volontés.
Yvonne décidera tout de même que la dépouille de son époux soit transportée jusqu’à l’église sur un blindé de reconnaissance. Simplement recouvert du drapeau tricolore. Elle souhaita ainsi rappeler, s’il en était besoin, que si Charles de Gaulle avait été un « politique », il était avant tout un militaire, un combattant. Le cercueil confectionné par un menuisier de Colombey est long (2,10 m) et sans garniture.
Il faut quand même savoir qu’apprenant la nouvelle, le président Pompidou téléphonera à la Boisserie pour annoncer sa venue. Yvonne lui fit poliment répondre que ce n’était pas possible (ou pas la peine c’est selon !). Elle avait décidé, et ça n’était pas négociable, qu’aucun « étranger » ne verrait le général mort. Même la fermeture du cercueil se fit entre elle et ses enfants. Comme un dernier hommage du clan à son fondateur. Imaginons un instant ce que ce fut que de refermer ce cercueil…. Ce sont des jeunes du village qui eurent l’insigne honneur de porter la dépouille au cimetière. Que ce soit à ce dernier ou à l’église le rituel fut aussi bref que simple. Dans un premier temps seuls la famille et les très proches eurent accès à la tombe.
Le chef de l’Etat prit tout de même l’initiative, à nos yeux légitime, d’organiser le même jour un requiem à Notre Dame. La très grande majorité des chefs de l’Etat de la planète furent présents ou représentés. « Eh bien, on ne nous y verra pas » avait énoncé Yvonne. Durant sa vie de première dame, elle n’a jamais supporté l’Elysée et les pesanteurs du pouvoir. Et la politique tout court. Elle a composé. Pour lui. Pour la France aussi. Elle confiera : « Il a tant souffert au cours de ces dernières années. C’était un roc ». On le sait chère madame. Plus qu’un roc, c’était une montagne sur laquelle ce cher et vieux pays s’est tant de fois appuyé…
Précisons que ce sont des milliers de personnes pour la plupart anonymes qui sont venus à Colombey en ce 12 novembre. Les 350 compagnons de la Libération sont présents comme l’avait souhaité le géant. Il y a du monde 10 kilomètres à la ronde. Pour lui rendre hommage, on est venu en voiture, en bus, en vélo même. Ce furent des « funérailles de chevalier » s’exclama le fidèle Malraux. Par la suite une fois que le cimetière sera rendu au public ce seront des visites permanentes sur la tombe à la blancheur aussi simple que les inscriptions qui y figurent. Et la tombe du général est toujours celle des présidents de la Ve défunts qui est la plus visitée. Celle de Pompidou à Orvilliers ou de Mitterrand à Jarnac sont presque tombées dans l’oubli. Chirac à Montparnasse attire du monde car cela fait peu de temps qu’il est passé ad patres. Quant à ceux qui sont encore de ce monde mais qui ne manqueront pas de mourir, l’histoire jugera !
Pour conclure nous reprendrons des lignes magnifiques de Jean Cau alors qu’il assiste aux obsèques :
« (…). En ce jour, je le crois, le peuple de mon pays, dans ce village perdu, a dit un dernier « Oui », déchirant de reconnaissance et de fidélité, à son dernier et plus noble berger. Il est 18 h, ce 12 novembre 1970. L’avenir fanera les fleurs et secouera les cendres. Je le sais. Pourtant, laissez qu’en ce crépuscule qui commence à noyer un cimetière de campagne et les champs et les forêts qui l’étreignent, laissez que nous soyons pareils à des enfants au chagrin très naïf. On dit que le général de Gaulle est mort. Ce n’est pas vrai.
Nous étions à Colombey et nous en revenons, heureux, pour vous annoncer la bonne nouvelle. Il est vivant ».
Raphael Piastra
Membre des Amis de l’Institut Charles de Gaulle