Jacky Isabello explore les parallèles intrigants entre les actions d’Elon Musk et les interventions ambiguës de Zeus dans l’Iliade, soulignant comment le magnat des affaires navigue entre technologie, politique et pouvoir, façonnant ainsi le destin de notre époque.
Dans la saga mythologique de l’Iliade rapportée par l’illustre et toutefois très méconnu Homère, Zeus y campe le roi des dieux de l’Olympe mais aussi l’une des divinités les plus énigmatiques. Ses affinités sont souvent changeantes, au fil des contraintes imposées par ses nombreuses aventures amoureuses. Dans l’Iliade, qui rapporte notamment une partie de l’un des conflits les plus connus de l’histoire du monde, la guerre de Troie, il oscille entre son soutien aux Troyens et aux Achéens 1.
Son attitude résonne curieusement avec les actions contemporaines d’un entrepreneur moderne devenu très puissant : Elon Musk.
Toute proportion gardée puisqu’il n’a échappé à personne que, contrairement à Zeus, Musk n’est pas un être divin, mais un entrepreneur motivé par des intérêts commerciaux. Et contrairement au dieu des dieux, sa vie n’est nullement parsemée par des comportements aujourd’hui inadmissibles vis-à-vis des femmes. Or à l’instar du « potentissimus deorum» 2 de la mythologie grecque, Musk semble jouer un rôle ambigu, tous deux se tenant au carrefour de la technologie, de la politique et de la diplomatie. Et ceci à plus de 25 siècles de distance.
Elon Musk, le magnat des affaires dirige d’une main et d’une parole de fer un empire technologique diversifié. Il est souvent comparé à un innovateur visionnaire, défiant les limites de l’espace, du transport, et des technologies numériques.
Cependant, son comportement dans les récents événements liés à l’Ukraine et à la Russie, a évoqué des parallèles surprenants avec les actions fluctuantes de Zeus dans l’Iliade.
Tout comme Zeus, dont les interventions divines pouvaient faire basculer le cours de la guerre de Troie, Elon Musk, un peu Zeus mais souvent Cardinal de Retz ne sort que rarement de son ambiguïté. Connait-il ses classiques et infère-t-il que ce serait à ses dépens. Prenons quelques exemples.
La société Starlink, dispose de technologies qui peuvent influencer le cours de la guerre. Certes le déploiement de ses terminaux, au début du conflit, pour fournir Internet et soutenir l’Ukraine cette nation agressée, fut salué par la communauté internationale. Or depuis peu, les autorités de Kiev accusent le fournisseur d’accès à Internet par satellite de laisser les forces armées russes utiliser ces mêmes technologies. « Des interceptions radio montrent que des terminaux Starlink ont été installés, par exemple, dans des unités de la 83e brigade aéroportée dans l’oblast de Donetsk », a ainsi assuré le service de renseignement du ministère de la défense ukrainien (GUR). Starlink et Musk démentent, mais le doute de double-jeu s’est instillé.
D’autant que M. Musk entretien d’autres formes de liens avec la Russie.
SpaceX, une autre de ses entreprises, achète depuis des années des moteurs de fusée RD-180 à la Russie pour ses lanceurs Falcon 9. Roscosmos, l’agence spatiale russe, est un partenaire clé de la Station spatiale internationale (ISS), où les astronautes sont transportés par les capsules SpaceX 3
Poursuivons l’analogie. Dans l’Iliade, Zeus intervient pour soutenir les Grecs au début de l’épopée, lorsque ceux-ci subissent des pertes importantes sur le champ de bataille. Lorsqu’Agamemnon, le chef des Achéens, est sur le point de perdre la bataille contre les Troyens, Zeus envoie un signe au héros grec Achille, qui à ce moment précis brillait davantage par ses caprices – chut, une histoire de femme qui l’oppose à Agamemnon – que par sa puissance guerrière incomparable mais là n’est pas le propos, pour qu’il ordonne à son ami Patrocle de rejoindre la bataille, permettant à celui-ci de rallier les troupes grecques et de repousser les Troyens.
Mais souvent Dieu varie et les atermoiements de Zeus sont désormais légendaires. Une autre fois, toujours sous l’influence de Zeus, le tout puissant Apollon descend du mont Olympe pour soutenir le Troyen Hector. Il lui insuffle une force surhumaine et lui confère une protection divine, lui permettant ainsi de repousser l’assaut de Patrocle. Avec l’aide d’Apollon, Hector trouve la faiblesse dans l’armure d’Achille que ce dernier avait confié aux bons soins de son « frère de cœur » Patrocle.
Cependant, la comparaison entre Musk et Zeus ne s’arrête pas là. Comme le dieu de la mythologie, Musk est souvent entouré d’un air de mystère et d’une aura de fascination. Ses ambitions audacieuses et son ingéniosité technologique lui confèrent une influence considérable sur la manière dont l’humanité envisage son avenir dans l’espace et au-delà.
Lorsque Musk s’investit pour livrer au monde son idée de la liberté d’expression en rachetant Twitter, plateforme devenue X, pour maintenir l’ordre parmi les dieux et éviter les querelles constantes, Zeus intervient en garantissant à chaque divinité un domaine spécifique sur lequel il aura autorité. Cette répartition des pouvoirs divins est une tentative de Zeus pour apaiser les conflits et instaurer l’harmonie parmi les dieux. En quelque sorte une « deus cratie ». Leur liberté d’expression partagée s’applique sur terre et s’amuse du destin des hommes sur lequel chacune et chacun peut s’exercer.
Alors que nous observons les actions de Musk et réfléchissons à leurs implications, nous devons nous rappeler que, tout comme dans l’Iliade, le rôle des dieux – ou des entrepreneurs – dans les affaires humaines est souvent complexe et difficile à interpréter.
Tout comme Zeus était à la fois un protecteur et un manipulateur, Musk peut être vu comme un bienfaiteur et un prestidigitateur énigmatique dans le théâtre mondial contemporain.
En fin de compte, la saga d’Elon Musk et de ses entreprises évoque des parallèles fascinants avec les récits épiques de la mythologie grecque. Tout comme les dieux de l’Olympe, Musk navigue entre les mondes de la technologie, de la politique et de la puissance, façonnant ainsi à sa façon le destin de notre époque devenue « Technopolitique » et je reprends à mon compte ce néologisme et vous renvoie pour en détailler les enjeux, sans en dévoiler le propos, à l’excellent ouvrage au nom éponyme d’Asma Mhalla paru dernièrement aux éditions du Seuil.
Jacky Isabello
Source photo : Frederic Legrand – COMEO / Shutterstock.com
- Dans les épopées homériques, le terme désigne l’ensemble des Grecs rassemblés devant Troie, dirigés par les rois Ménélas et Agamemnon. Les autres noms utilisés sont « Argiens ». ou encore « Danéens ». ↩
- Le plus puissant des dieux (selon mon traducteur. Mon latin étant enfoui dans les méandres inaccessibles de ma mémoire. ↩
- La Russie a annoncé qu’elle allait quitter l’ISS. ↩