Cette question est cruciale dans un contexte où l’intelligence artificielle (IA) est en passe de remodeler en profondeur notre société. À la fois promesse de révolutions technologiques et sujet de vives controverses, l’IA s’impose comme une force décisive, mais son potentiel soulève des interrogations fondamentales.
Dans une époque marquée par une surabondance d’informations, l’IA générative apparaît comme un antidote. Elle offre un moyen unique d’exploiter d’importants volumes de données pour détecter des schémas utiles. Mais cette capacité, bien que révolutionnaire, se heurte à des défis éthiques majeurs. Comment maximiser les bénéfices de l’IA sans tomber dans les travers d’une utilisation manipulatrice ou déshumanisante ?
Le débat sociétal actuel oscille entre deux visions. D’une part, l’IA pourrait permettre une prospérité sans précédent. D’autre part, elle pourrait représenter une menace existentielle, en renforçant des dynamiques d’asservissement à des technologies surpuissantes.
Ces scénarios extrêmes soulignent l’urgence d’une réflexion approfondie sur la place de l’IA dans nos économies et nos sociétés.
Depuis le lancement de ChatGPT en 2022, l’IA est devenue une priorité majeure pour les investisseurs. Le rapport 2024 State of European Tech d’Atomico a révélé que l’IA et l’apprentissage automatique dominaient dans les transactions de moins de 5 millions de dollars, devant des secteurs stratégiques comme l’énergie. Cette dynamique traduit un enthousiasme sans précédent, mais pose la question de la viabilité à long terme de ces investissements. En effet, le modèle économique de l’IA repose, en grande partie, sur des coûts opérationnels élevés, notamment en termes de puissance de calcul et de consommation énergétique. Selon Satya Nadella, directeur général de Microsoft, le succès futur se mesurera à l’aune du « token per dollar per watt », un indicateur reflétant l’efficience économique et énergétique des systèmes d’IA. Or, sans une baisse substantielle des coûts marginaux, les marges de rentabilité pourraient rester fragiles, car trois obstacles majeurs restent à surmonter.
Tout d’abord, un paradigme industriel à repenser. L’industrie technologique adopte une approche qui vise trop souvent à remplacer les êtres humains par des machines, au lieu de les outiller pour mieux performer. Ce modèle limite les gains de productivité à long terme et alimente des peurs autour du remplacement des emplois. Pour répondre à ce défi, il est impératif d’établir un paradigme valorisant l’amélioration des capacités humaines par l’IA. Les entreprises qui sauront intégrer l’IA en tant qu’outil de support, en investissant dans la formation et la collaboration, seront celles qui prospéreront.
Ensuite, il convient d’investir dans le capital humain. Pour que l’IA devienne un vecteur d’autonomisation, il est nécessaire de former les individus à son utilisation. L’histoire nous enseigne que chaque révolution technologique – de l’imprimerie à l’Internet – a demandé des décennies d’adaptation. Or, l’IA évolue à une cadence bien plus rapide. Sans une stratégie ambitieuse de formation, les inégalités entre ceux qui maîtrisent ces technologies et les autres risquent de s’accentuer dramatiquement.
Enfin, revoir un modèle économique présent, qui est concentré et déséquilibré. L’écosystème de l’IA est dominé par une poignée de grandes entreprises (GAFAM, BATX), qui monopolisent les ressources clés (capitaux, données, talents). Cette concentration limite l’émergence de nouveaux modèles économiques et perpétue une dépendance aux plateformes existantes.
Pour libérer le potentiel de l’IA, il est nécessaire de favoriser une réglementation permettant l’accès équitable aux données et une redistribution des ressources.
Pour transformer l’IA en un outil véritablement bénéfique, une mobilisation collective est indispensable. Les travailleurs, les citoyens et les décideurs doivent orienter cette technologie vers des objectifs sociaux et économiques positifs selon trois axes :
▪ Un nouveau narratif. Les médias, les cercles politiques et la société civile doivent adopter un discours valorisant une IA centrée sur l’humain, plutôt qu’une technologie de remplacement.
▪ Une gouvernance proactive. Les États doivent anticiper les défis posés par l’IA en mettant en place des politiques et des réglementations ambitieuses, favorisant l’innovation tout en protégeant les citoyens.
▪ Un cadre éthique clair. Il est indispensable d’établir des normes éthiques et des garde-fous pour prévenir les dérives potentielles de l’IA, notamment en termes de vie privée et de manipulation.
Ainsi, la révolution en cours n’est pas seulement une avancée technologique. C’est un bouleversement qui redéfinit en profondeur notre manière de vivre, de travailler, de se former et de donner du sens à nos actions.
La décennie qui s’ouvre sera déterminante pour décider si l’IA générative sera un levier de prospérité durable et d’émancipation collective ou une force d’asservissement. Ceci n’est pas sans conséquences.
Au plan économique, ces changements redistribuent les cartes. Les entreprises sont poussées à innover non seulement pour rester compétitives, mais pour répondre aussi aux exigences d’un monde où l’automatisation et la durabilité sont devenues des impératifs et la nouvelle norme.
Du côté des investisseurs, les secteurs liés à l’IA, à la transition énergétique et aux infrastructures numériques sont en plein essor. Ceci ne signifie pas, pour autant, qu’il suffit de suivre ces tendances aveuglément. Ils doivent aussi considérer les risques : les inégalités croissantes, les vulnérabilités économiques ou encore les défis éthiques posés par ces nouvelles technologies.
À cet égard, 2025 pourrait être un tournant si les marchés réévaluent le modèle économique de l’IA générative, en valorisant une approche plus durable et centrée sur l’humain.
Dans ce contexte, chacun de nous doit aussi s’interroger : quel rôle voulons-nous jouer dans cette transformation ? Comment pouvons-nous nous rendre utiles dans un monde où l’utilité elle-même se redéfinit ?
Olivier LEVY & Michel RUIMY