
Depuis plusieurs jours, experts jeunes et moins jeunes, répandent une catéchèse inquiète dont le but implicite est de rappeler qu’ils seraient les seuls garants d’un savoir rationnel et gardien d’une démocratie morale. A voir… car il y a dans l’anti-complotisme officiel et systématique beaucoup d’ambivalences non dépourvues de préjugés idéologiques. Mais là n’est pas l’essentiel, ou plutôt seulement une partie de celui-ci, car l’enjeu de la liberté n’est plus vraiment une aspiration pour les classes intellectuelles mais bien plutôt à leurs yeux un problème – ce qui en dit long quelque part sur l’évolution de l’époque…
Pour autant le sujet Musk va au-delà de cette question : il dit quelque chose de ce qui se joue dans notre orbe politique. Et il n’est pas le seul, loin s’en faut, à interroger celui-ci. Car la controverse autour de Musk et de sa conception de la liberté, cette dernière au demeurant pouvant se défendre, surtout au moment où d’insidieuses censures en sont légitimées au nom de visées moins innocentes que les proclamations qui les accompagnent, occulte un problème bien plus aigu : celui de ces nouveaux magnats dont l’empire est en passe d’excéder les États, de les concurrencer, et de s’affranchir des frontières et autres territoires avec une puissance stratégique et financière telle qu’ils tendent à s’ériger en acteurs politiques majeurs du prochain quart de siècle.
Gafam, Natu, ou gestionnaires d’actifs sur un autre segment émergent comme de nouveaux continents qui échappent aux contrôles des États comme des organisations interétatiques.
Tout se passe comme si un monde post-étatique s’installait à côté du monde des États, disputant aux seconds leur leadership. C’est cette « grande transformation » qui opère là où les nations démocratiques sont soumises à la pression de ces nouvelles forces techno-économiques ou financières et leur délèguent aussi parfois des pouvoirs stratégiques ou quasi-régaliens : stratégiques lorsqu’il s’agit comme la NASA de développer de nouveaux lanceurs comme SpaceX ou quasi-régaliens lorsque l’on confie aux grandes plateformes la responsabilité de modérer les propos de leurs utilisateurs…
Du côté des pouvoirs autoritaires l’enjeu est soit d’interdire ou de limiter l’accès aux réseaux par exemple, soit de développer des infrastructures qui leur sont utiles dans la bataille qu’ils entendent conduire pour leur dominance à l’échelle planétaire. C’est notamment le cas de la Chine avec Huawei, outil parfaitement intégré autour de son initiative des « routes de la soie »…
Mais là où les Etats non-démocratiques maintiennent leur prévalence, les démocraties, elles, sont confrontées à un défi qui peut aller jusqu’à transformer en profondeur leur assise politique.
Sans doute est-ce la problématique principale qui se profile à l’horizon au travers de l’achat de Twitter par Elon Musk : l’exemple parmi d’autres de l’émergence de nouvelles forces dont le destin pourrait ne pas être exclusivement technologique ou économique, mais également politique. Une révolution copernicienne en quelque sorte…