Les résultats des élections législatives, totalement inédits depuis 1958, conduisent immédiatement à évoquer la possibilité pour le Président Macron de prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale en espérant que, cette fois, les électeurs désigneront une majorité claire et cohérente, dans son esprit favorable à sa politique. La nouvelle Assemblée nationale ne ressemble ni à une assemblée de cohabitation avec une majorité parlementaire clairement hostile à la politique présidentielle (1986, 1993, 2007) ni à une assemblée donnant naissance à un gouvernement minoritaire (1988). L’écart par rapport à la majorité absolue de 289 sièges est trop important pour qu’un gouvernement du type de celui de Michel Rocard en 1988 ait une chance de survivre et de pouvoir gouverner. Si M. Macron décide, dans quelques semaines ou mois, de dissoudre l’Assemblée nationale, il le fera à ses risques et périls. Rien ne peu garantir une opération réussie.
Les règles constitutionnelles de l’usage de la dissolution sont contenues dans l’article 12 de la Constitution. Celui-ci tient compte des verrous qui avaient été prévus tant sous la IIIe que la IVe République. Les rédacteurs de la Constitution de 1958, à commencer par le général de Gaulle et Michel Debré, voulaient que la dissolution soit une vraie prérogative régalienne du Président de la République. C’est pourquoi elle n’est soumise à aucune autre condition que la consultation officielle du Premier ministre et des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. Les avis donnés par ces trois personnalités éclairent la décision du Président de la République, mais il n’est aucunement obligé d’en tenir compte.
Le décret de dissolution de l’Assemblée nationale fait partie des rares décisions sans contreseing du Premier ministre.
Dans la logique de 1958 il s’agit, face à une situation politique complexe (par exemple le renversement du gouvernement) de permettre au Président de la République de faire trancher le conflit directement par le peuple.
Les élections générales ont alors lieu dans un court délai avec, d’ailleurs, une campagne électorale plus courte qu’habituellement. Il s’agit d’aller vite et de dégager une nouvelle majorité.
Les seules restrictions à cette prérogative découlent de la dernière phrase de l’article 12 et de l’éventuel exercice des pouvoirs exceptionnels de l’article 16. L’ultime alinéa de l’article 12 se lit comme suit : « Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit ces élections ». Le démonstratif « ces » fait référence aux « élections générales » qui viennent d’avoir lieu et dont le régime est fixé par les deux alinéas précédents. Il n’est en aucun cas un renvoi aux élections générales ordinaires, celles qui ont lieu tous les cinq ans au terme de la législature (comme les 12 et 19 juin 2022). Si les rédacteurs de la Constitution, extrêmement attentifs à tout ce qui concerne la mécanique institutionnelle, avaient voulu prohiber une dissolution faisant suite à des élections générales ordinaires, ils auraient inséré un alinéa rédigé de la manière suivante : « Il ne peut être procédé à une dissolution dans l’année qui suit des élections générales ». Cette rédaction aurait couvert tous les types d’élections générales. En réalité, la Constitution a voulu éviter les dissolutions à répétition, telles qu’elles sont parfois intervenues dans pays en crise. Le texte constitutionnel exprime l’adage « Dissolution sur dissolution ne vaut ». La première dissolution n’est pas encadrée. S’il est nécessaire de répéter l’opération, il faut attendre un an et trouver le moyen dans cet intervalle de gouverner dans un environnement politique instable.
En ce qui concerne une période de crise majeure (article 16), il est logique de ne pas plonger en plus le pays dans une bagarre électorale.
Au-delà de règles constitutionnelles simples et cohérentes, la mise en œuvre du droit de dissolution de l’Assemblée nationale est nécessairement un pari politique.
En 1962, il s’agissait de réagir au vote d’une motion de censure contre le gouvernement Pompidou I. En 1968, il s’agissait de répondre à la crise politique et sociale. En 1981 et 1988, les dissolutions ont été consécutives à l’élection ou à la réélection du Président Mitterrand. Ces quatre dissolutions ont donné satisfaction au Président de la République. Celle décidée par Jacques Chirac en 1997, mal comprise par le corps électoral, a débouché sur l’instauration d’une cohabitation de cinq années dirigée par Lionel Jospin, Premier ministre.
Rien n’interdit donc à M. Macron, s’il le juge utile et opportun, de prononcer, le moment venu, la dissolution de l’Assemblée nationale. Encore faut-il que les circonstances politiques lui redeviennent favorables. On prête à Oscar Wilde la réflexion suivante : « La prévision est un art difficile, surtout lorsqu’il s’agit de l’avenir ». Seul Le Président de la République fait face à cet avenir.
Didier Maus
Ancien conseiller d’État
Président émérite de l’Association française de droit constitutionnel