L’article 49-3 est sans doute le plus célèbre de la Constitution de la Ve tant il a fait couler d’encre ! Il convient tout de même d’en rappeler les termes : « Le Premier ministre peut […] engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée […] Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »
Le gouvernement d’Elisabeth Borne, nommé depuis environ huit mois, en a fait usage à huit reprises pour le vote de la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale. Les gouvernements de François Mitterrand de 1988 à 1993, notamment le ministère Rocard, y avait recouru à 28 reprises. M. Valls l’utilisa 6 fois entre 2014 et 2017 pour mettre en œuvre « sa politique de l’offre .» Au total, le 49-3 a été utilisé en une centaine d’occasions depuis l’instauration de la Ve République.
L’utilisation qui est faite de cet article par le gouvernement d’Elisabeth Borne bat ainsi tous les records d’intensité en rythme mensuel : en moyenne une fois par mois contre 0,13 par mois sur l’ensemble des 768 mois d’existence de la VeRépublique, ou 0,33 par mois sous le second septennat de François Mitterrand (28/84) et 0,11 par mois (6/60) sous le quinquennat de François Hollande.
De fait, le principe qui consiste à obtenir l’adoption d’un texte sans vote de l’Assemblée nationale peut à la rigueur se justifier à titre strictement exceptionnel.
Mais sa banalisation revient à suspendre de fait la démocratie parlementaire : à quoi bon élire des députés s’ils n’ont même plus le pouvoir de voter la loi c’est-à-dire d’exercer le pouvoir législatif – leur raison d’être ?
En réalité, les circonstances politiques se prêtent à une utilisation abondante et sans risque de cet article.
Certes l’exécutif ne dispose pas d’une majorité présidentielle absolue qui lui permettrait de recourir à la discipline partisane pour faire voter ses textes. Cependant, il a affaire à l’Assemblée à une opposition qui n’est pas seulement divisée – Nupes, RN et LR – , mais déchirée.
Ces trois courants, notamment les deux premiers, sont séparés non par une rivalité politique normale, mais par une haine de principe par laquelle ils s’interdisent de voter ensemble. Le risque d’adoption d’une motion de censure est donc quasiment inexistant pour le pouvoir exécutif.
La contrepartie au confort que représente pour le gouvernement l’usage de l’article 49-3 – la perspective d’une motion de censure – est ainsi annihilée.
Dans ce contexte, c’est le principe même de la démocratie parlementaire qui est menacé. Aux élections de juin 2022, les Français ont manifesté une volonté franche, résolue et délibérée de refuser au président de la République et au Gouvernement une majorité absolue à l’Assemblée nationale.
Ils ont fait ce choix dans l’espoir de mettre fin à l’exercice d’une autorité verticale, ou jupitérienne et de rendre une place légitime en démocratie au débat et à la discussion avant toute décision.
À cet égard, la combinaison de l’usage intensif du 49-3 et la fragmentation haineuse de l’opposition revient à bafouer frontalement la volonté populaire et à renvoyer l’espérance d’un retour à la démocratie parlementaire au cimetière des illusions perdues.
Cependant, les débats de société qui ne peuvent pas se dérouler dans le cadre démocratique d’une Assemblée nationale ont toutes les chances de se produire sous une autre forme : celle des émeutes et de la violence dans la rue.
Plus que jamais, la fracture démocratique fait rage entre d’une part les élites dirigeantes, ressenties comme arrogantes et déconnectées, et le peuple dans son immense majorité, qui a le sentiment d’être méprisé et abandonné.
Le spectacle qu’offre la scène politique, en particulier celui d’une Assemblée nationale en plein chaos, enterre l’espoir d’un retour à la démocratie parlementaire. Un recours supplémentaire au 49-3, sur un sujet aussi sensible et dramatique que celui des retraites, risque d’amplifier encore davantage le climat de révolte larvée qui caractérise la France actuelle.
Maxime Tandonnet
Essayiste
Haut fonctionnaire