Comment et à quelle date la guerre en Ukraine peut-elle se régler et prendre fin ? Ces questions et ces questionnements sont inséparables du devenir de cette guerre et des raisons qui ont causé le déclenchement de ce conflit.
Cette guerre, c’est d’abord, l’histoire de deux pays unis par une culture et religion communes mais cette « petite Russie « après une relecture de son histoire et en quête d’identité va proclamer son indépendance le 24 août 1991 au lendemain de l’effondrement de l’Union soviétique.
Le 23 février 2022, les troupes russes envahissent l’Ukraine et V. Poutine se lance d’abord à l’assaut de Kiev, le « berceau national de la Russie » selon la doctrine officielle du Kremlin. Pour le président russe, il n’existe pas de nation ukrainienne.
Certes, il est délicat de faire une analyse à long terme mais l’actualité nous fournit quelques éléments fondamentaux qui nous permettent de mieux comprendre l’évolution de ce conflit. Celle-ci est intéressante pour quatre raisons principales :
- L’Ukraine est face à la deuxième armée du monde et depuis un an elle tente par tous les moyens de résister à cette invasion avec le soutien militaire de l’Europe et de l’OTAN. Cette guerre a été aussi un catalyseur pour regrouper l’Europe et elle a aussi renforcé et centré l’OTAN sur ces missions de défense collective. Il faut également marquer que des Etats historiquement neutres au nord de l’Europe comme la Suède, la Finlande ont revu leur position. Il faut y ajouter l’Irlande, la Suisse et l’Autriche. La guerre en Ukraine a remis au premier plan en Europe la question de la sécurité.
- Une coalition de 40 pays occidentaux s’est formée pour lutter contre la Russie. Cette coalition pèse les deux tiers du PIB mondial. Elle y inclut notamment le Japon, la Corée du sud et l’Australie. Ces pays fournissent à l’Ukraine des batteries, des chars modernes et bientôt des chasseurs bombardiers. On assiste à un tournant important des relations géopolitiques mondiales.
- On observe à l’heure actuelle un contre-balancement de la situation militaire. En effet, les Ukrainiens ont pu reconquérir 45 % des territoires conquis par la Russie ce qui est un échec de la stratégie russe. Celle-ci avait pour objectif d’envahir la totalité de l’Ukraine en quelques mois. Sans doute, les prochaines semaines seront décisives pour l’avenir de ce conflit.
- L’ adhésion de la Finlande à l’OTAN a été signée le 4 avril 2023 devenant ainsi le 31e membre. C’est un apport majeur pour les forces de l’OTAN car la Finlande est dotée d’une armée de 280 000 militaires en temps de guerre et elle est l’une des plus grandes artilleries d’Europe. La menace représentée par la Russie, pays frontalier de la Finlande de 1 3O0 km, a été une raison stratégique pour rejoindre l’Alliance atlantique. Cette décision est concomitante avec l’installation d’armes nucléaires tactiques sur le territoire de la Biélorussie. Cette décision a été annoncée le 28 mars 2023. C’est sans doute une des réponses au renforcement militaire de l’OTAN près de ses frontières
Nous examinerons ce conflit d’un triple point de vue : juridique , politique et militaire.
Les mandats d’arrêt internationaux et les nouvelles procédures
La convention de Rome de 1998 a mis en place de nouvelles procédures d’arrestation contre des dirigeants internationaux quel que soit leur statut en tant que chef d’Etat ou de gouvernement.
Pendant longtemps les responsables d’Etat dans le cadre de leurs activités étatiques et de souveraineté bénéficiaient de l’immunité juridictionnelle. Cela signifiait que les sujets et les représentants d’Etat ne pouvaient pas faire l’objet d’une instance juridictionnelle de la part d’un autre Etat. La convention de Rome abolit en partie ce principe. Cette règle était absolue mais l’évolution est allée dans le sens d’une restriction progressive de ce principe.
Les mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale à l’encontre de V. Poutine et AL. Belova (commissaire russe à l’enfance) ont été délivrés pour des déportations illégales d’enfants ukrainiens.
Près de 16 000 mineurs russes ont fait l’objet de déportations.
Ces enfants auraient été emmenés en Russie ou dans les territoires occupés et localisés par l’association Save Ukraine. Il faut en effet reconnaître le rôle important joué par les ONG dans la protection des droits de l’homme à propos de ce ce conflit. Une autre association Humans Rights Watch a elle aussi dénoncé les nombreuses violations au droit international commises par l’armée.
La diplomatie européenne se mobilise et projette d’organiser une conférence internationale afin d’exercer une pression internationale sur la Russie. L’objectif est « d’aider les organes de l’ONU et les organisations internationales concernées à obtenir des informations plus complètes » sur les enfants déportés et « russifiés ». Il s’agit de retrouver la trace de ces enfants enlevés et perdus pour les parents ukrainiens sur le territoire russe.
Pour certains, ce mandat d’arrêt serait purement symbolique dans la mesure où le statut de Rome n’a été ratifié ni par la Russie et les Etats-Unis, ni même par l’Ukraine.
Cependant, cette mesure a des effets juridiques parmi les 123 Etats membres de la CPI.
Dans ces différents Etats, le président V. Poutine est passible d’une arrestation car le mandat d’arrêt délivré contre lui autorise un Etat membre de la CPI à l’arrêter sur leurs territoires. Les Etats membres de la CPI sont tenus d’exécuter les mandats d’arrêt. Le président de la CPI P. Hofmanski a toutefois reconnu que l’exécution des mandats « dépendait de la coopération internationale » conformément au principe de complémentarité (article 1 du statut de la CPI). En effet, la CPI ne disposant pas de forces de police a besoin des polices nationales pour mener leurs enquêtes et les arrêter éventuellement.
La Hongrie a déclaré qu’elle ne livrerait pas V. Poutine à la CPI s’il entrait sur son territoire faute de base légale malgré la ratification de ce pays au statut de Rome. Selon V. Orban, « Nous
n’avons pas les lois nécessaires pour arrêter le président russe »…. Il est ainsi le quatrième chef d’Etat à être déclaré « wanted » alors qu’il est au pouvoir. Il y eut d’abord le président de Serbie, Slobodan Milosevic, par le Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) en 1999 et ensuite la CPI a condamné en 2012 Charles Taylor pour des crimes de guerre et contre l’humanité. Les présidents soudanais Omar Al-Bachir, en 2009 et libyen Mouammar Kadhafi en 2011 ont été aussi visés par des mandats d’arrêt de la CPI. V. Poutine en particulier est le premier chef d’Etat d’un pays membre du Conseil de sécurité des Nations Unies qui est poursuivi par la Cour pénale internationale. Cet organe est le garant de la sécurité internationale. ll faut souligner que V. Poutine est présumé innocent jusqu’au verdict des juges malgré ce mandat d’arrêt international. Certains experts considèrent que ce mandat d’arrêt international lancé contre le président V. Poutine pourrait avoir un réel impact sur l’action diplomatique de Moscou et peser sur un éventuel accord de paix.
Il est intéressant et paradoxal de noter que parmi les Etats non signataires de la CPI, certains pays dont les Etats-Unis ont pu saisir le Conseil de sécurité des Nations unies afin que ce dernier défère le cas du Soudan et la politique du président d’Omar – Al -Bachir devant la Cour pénale internationale en 2005. La lutte contre l’impunité permet ainsi à des Etats non membres de la CPI de mettre en oeuvre des procédures juridiques afin d’appliquer leur propre politique.
Dans l’attente d’un éventuel procès, la société internationale s’organise en ouvrant des bureaux de liaison sous la tutelle de la CPI. Celle-ci va ouvrir « un bureau de pays » en Ukraine. Déjà, la CPI dispose d’un bureau de liaison au siège des Nations-Unies, à New-York et d’autres bureaux sur le terrain à Kinshasa en République démocratique du Congo, Kampala en Ouganda, Bangui en République centrafricaine, Abidjan en Côte d’ Ivoire, Tbilissi en Georgie et Bamako au Mali . Ce sont des outils essentiels dans la lutte contre l’impunité et contre les auteurs de crimes internationaux les plus graves.
Quel règlement politique pour la paix en Ukraine ?
La Chine a publié le 24 février 2023 un document en 12 points pour un « règlement politique » de la guerre en Ukraine.
La Chine se présente comme un acteur neutre et un possible médiateur entre Kiev et Moscou.
Le plan de paix s’articule autour de plusieurs principes: ce document reconnaît que les principes de « la souveraineté, de l’indépendance et de l’intégrité territoriale de tous les pays doivent être défendus ». D’autres points méritent d’être soulignés, l’appel au dialogue, le refus du recours au nucléaire et de l’usage d’armes chimiques et biologiques ainsi que le respect du droit humanitaire en particulier les attaques contre des civils ou des bâtiments civils.
La politique étrangère de la Chine s’articule autour de plusieurs lignes directrices : le refus de la guerre froide et la protection de l’économie mondiale. L’ « abandon » de la mentalité de la guerre froide est un argument régulièrement employé par la diplomatie chinoise. Il s’agit de manière plus précise d’une critique voilée contre l’OTAN et de la domination des Etats-Unis sur la sécurité d’une et plusieurs régions dans le monde.
La Chine critique aussi les sanctions économiques unilatérales contre la Russie qui impactent l’économie mondiale.
En effet, une des priorités pour la Chine est de « maintenir la stabilité des chaînes industrielles et d’approvisionnement , et pour cela toutes les parties impliquées doivent « s’opposer à l’utilisation de l’économie mondiale comme outil ou arme à des fins politiques ». C’est une dimension fondamentale de la politique étrangère de la Chine. Un de ses objectifs principaux est de créer les conditions nécessaires au règlement politique d’un conflit afin d’ouvrir la porte à des négociations entre des parties.
D’ailleurs, la diplomatie américaine n’exclut pas des négociations à terme sur les frontières de l’Ukraine. Le chef de la diplomatie américaine, A. Blinkent, a entrouvert la porte le 23 mars 2023 à de possibles négociations sur les contours de l’Ukraine, tout en réitérant qu’il appartenait aux Ukrainiens d’en décider. S’exprimant devant une commission parlementaire à Washington, il a réaffirmé que toute paix éventuelle avec la Russie devra être « juste et durable », c’est à dire qui respecte l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Ukraine, « comme cela est défini précisément sur le terrain, nous attendons des Ukrainiens qu’ils nous le disent ».
Il semble entériner le fait que les Ukrainiens auraient du mal à récupérer tous les territoires annexés par la Russie, en particulier la Crimée : « Je pense qu’il va y avoir des territoires en Ukraine pour lesquels les Ukrainiens seront déterminés à se battre sur le terrain, et peut-être des territoires qu’ils devront tenter de récupérer par d’autres moyens ». La position américaine tout comme celle de la Chine dans ce conflit sont évolutives, flexibles, voire ambivalentes. Certaines déclarations américaines laissent croire que l’Ukraine pourrait récupérer la totalité des terres envahies par la Russie. On observe la même conduite dans la politique étrangère de la Chine qui a un discours à deux niveaux. D’un côté, elle affirme sa volonté de travailler avec l’armée russe sur plusieurs fronts (stratégique, communication, coordination..) et de l’autre elle se présente comme un arbitre neutre et sans parti pris dans le règlement politique de ce conflit comme l’atteste le plan.
La solution militaire et le risque d’un chaos
Dans l’histoire des guerres, le facteur militaire est certes un paramètre important du règlement d’un conflit mais il n’est pas toujours le critère exclusif d’une victoire. Comment ne pas penser aux victoires américaines au Vietnam (1955-1975) et en Afghanistan (2001-2021) mais défaits sur le plan politique ?
Il faut souligner cette détermination et la formidable bravoure manifestée par l’armée ukrainienne face à une armée russe plus nombreuse et mieux équipée. C’est avant tout le déséquilibre des forces et des moyens qui caractérisent ce combat malgré le soutien important apporté par l’OTAN à l’Ukraine. Nous sommes en ce moment (avril 2023) dans une phase de neutralisation des forces. La période actuelle est sans doute annonciatrice de nouvelles stratégies offensives et défensives.
Depuis la guerre de Crimée de 2014, l’armée ukrainienne a dû s’adapter et se transformer pour faire face à l’invasion de la Russie dans son territoire. Il est intéressant à ce propos de mentionner la nouvelle ambition de V. Zelensky de reconquérir la Crimée.
Cette mue a été observée dans de nombreux domaines et d’ailleurs pour certains experts, ces changements augurent une nouvelle ère dans la manière de faire la guerre. Ces mutations ont été remarquées spécialement dans la sphère digitale et l’utilisation de portables permettant des connexions rapides entre les unités de combattants. Certains ont pu déclarer sur un ton anecdotique « qu’il y avait autant de portables que d’habitants », c’est à dire 43 millions de portables. Ces appareils et internet sont devenus des outils indispensables de la communication et de l’information pour l’armée en temps de paix et de guerre.
La technologie moderne via les satellites renforce et développe en même temps la notion de transparence. Cette dernière s’oppose à la culture de l’impunité contre certains crimes commis comme ce fut le cas avec le massacre de Boutcha entre le 27 février et le 31 mars 2022.
Comment ce déséquilibre entre les forces russes et ukrainiennes peut-il être compensé ? Il y a l’esprit de résistance des Ukrainiens mais aussi la forte implication de la population civile dans ce conflit. Des réunions secrètes sont organisées entre fabricants, concepteurs de logiciels, militaires et l’ensemble de la société civile et politique dans un but de protection territoriale et de défense de l’Ukraine. Les jeunes Ukrainiens semblent cependant exprimer à l’heure actuelle certaines réticences à s’engager dans l’armée.
Au bout d’une année de guerre, on peut s’interroger légitimement sur le développement et l’avenir de ce conflit. Il y a des faits récents qui peuvent avoir un impact substantiel sur l’évolution de la guerre : il y a notamment la nouvelle doctrine russe qui désigne l’Occident comme l’origine « de la menace existentielle » pour la Russie, l’apparition de divisions internes dans l’armée russe, le rôle ambigüe voire le double jeu de la Chine dans ce conflit, l’arrivée sur le champ de bataille de chars occidentaux allemands et britanniques et le bombardement russe le 3 avril 2023 avec des drones russes qui ont frappé le port et la ville d’Odessa…
Quelles sont les solutions pour aboutir à un accord de paix ou du moins à la fin de ce conflit ? Il y a bien sûr des solutions militaires qui risquent de s’achever par un chaos total. Il y a la solution pacifique ce qui suppose un dialogue entre les parties. Quelles sont les conditions que poseront les parties pour accepter des discussions ?
Deux territoires sont au coeur de ce conflit : la région du Donbass et la Crimée.
Une médiation internationale sera sans doute nécessaire et utile en raison des forts antagonismes existant entre les parties. Les grandes puissances telles que la Chine, les Etats-Unis et l’Europe devront apporter leur contribution pour trouver des solutions communes. Les organisations (ONU, OTAN..) ont elles aussi des responsabilités majeures dans la conclusion de cette guerre.
Pour l’avenir, la reconstruction de l’Ukraine et le règlement du conflit devraient être l’une des priorités de l’Europe. L’intervention de la Cour pénale internationale pourrait être requise pour aboutir à une paix juste et durable même si son recours apparaît problématique dans les conditions actuelles. On peut penser que la construction de la paix ou du moins le processus de règlement de ce conflit peut encore durer longtemps.
La solution pacifique est dans l’intérêt général de la communauté internationale à moins que le monde connaisse un nouveau chapitre de la « guerre froide » dominé par la politique des blocs. Le dialogue entre les différentes parties est la condition centrale d’un règlement de paix. Les visites du président E. Macron et de la présidente de la commission européenne U. Von der Leyen en Chine auprès du président Xi Jinping les 6, 7 et 8 avril 2023 peuvent être considérées comme les prémisses de pourparlers d’un futur règlement de paix entre la Russie et l’Ukraine.
Arnaud de Raulin
Professeur émérite des universités