Les faits : L’Assemblée nationale a saisi le Conseil constitutionnel pour défaut de sincérité d’une étude d’impact sur le Loi de programmation militaire. Ce sujet est loin d’être théorique ou réservé à une élite spécialiste du droit parlementaire, il concerne chaque citoyen puisqu’il concerne la fabrication de la loi. Le Parlement doit être en possession de données qui éclairent son travail et conditionnent les votes. Si les données sont tronquées, comment peut-on, nous parlementaires, légiférer en toute connaissance de cause ?
Les dernières années ont montré un amoindrissement des droits du Parlement, de façon directe ou indirecte. Procédures d’urgence, applications plus ou moins drastiques des dispositions des articles 40 et 45 de la Constitution, entrainant une restriction du droit d’amendement, pourtant droit inaliénable des parlementaires, recours aux cabinets conseils aux lieu et place de la haute fonction publique et des compétences internes à l’administration, sans aucune garantie déontologique et aucune considération des conflits d’intérêts éventuels.
Petit jeu de passe-passe pour faire porter par un parlementaire de la majorité présidentielle une proposition de loi pour éviter les contraintes d’un projet de loi dont le passage par le Conseil d’Etat et l’étude d’impact…
Enfin la multiplication de conventions citoyennes devenues des organes quasi législatifs a parachevé cette « œuvre » de piétinement des droits du Parlement.
C’est dans ce contexte que la Conférence des Présidents de l’Assemblée nationale a décidé, mardi 11 avril 2023, de saisir le Conseil constitutionnel pour défaut de sincérité de l’étude d’impact jointe au projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (dit « LPM »). Il s’agit d’une application de l’article 47‑1 du Règlement de l’Assemblée nationale qui prévoit que « La Conférence des présidents est compétente pour constater, s’agissant des projets de loi déposés sur le bureau de l’Assemblée, une éventuelle méconnaissance des conditions de présentation fixées par la loi organique relative à l’application de l’article 39 de la Constitution.
Dans le relevé de décision, il fait bien mention du fait que le « PJL LPM, déposé le 4 avril 2023, n’a pas été inscrit à l’ordre du jour, la Conférence des présidents, saisie par le président du groupe Les Républicains, ayant considéré que l’étude d’impact qui lui est jointe méconnaissait les règles de présentation fixées par la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 ».
Cette procédure est très rarement mise en œuvre depuis sa création à l’issue de la réforme constitutionnelle de 2008. Outre le règlement de l’Assemblée nationale, elle est également prévue dans le règlement du Sénat à l’article 29 alinéa 6 qui dispose :
« 6. – La Conférence des Présidents peut, dans un délai de dix jours suivant le dépôt d’un projet de loi, constater que les règles fixées par la loi organique pour la présentation de ce projet de loi sont méconnues ; dans ce cas, le projet de loi ne peut être inscrit à l’ordre du jour du Sénat. En cas de désaccord entre la Conférence des Présidents et le Gouvernement, le Président du Sénat ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours. »
Lorsque l’on constate les dégâts, pour ne pas dire les ravages, de textes votés avec des études d’impacts que l’on peut qualifier d’alibi, on est en droit de s’interroger sur un meilleur usage de cette disposition qui confère aux Conférences des Présidents des deux chambres un outil de contrôle puissant.
Il en est ainsi de la loi dite « Climat résilience », dans son chapitre III du titre V, qui instaure la règle du Zéro artificialisation nette (ZAN). Cette règle, déjà entrée en application, outre son extrême complexité administratrice, s’avère totalement ruralicide pour les territoires ruraux désormais interdit de constructions.
Cette loi, dont certaines dispositions sont bien fondées, aboutit à un éteignoir pour les territoires les plus ruraux.
Rien dans l’étude d’impact ne laissait prévoir de telles conséquences.
On peut considérer que les études d’impact « alibis » ou bâclées sont constitutives de dol. Elles vicient, en quelque sorte, le consentement des parlementaires qui ont été insuffisamment éclairés.
L’usage par l’Assemblée de l’article 47-1 de son règlement fait écho à la position défendue par le Président du CNEN, M. Alain Lambert, qui milite en faveur de l’introduction d’un recours contre les études d’impact insuffisantes. On pense évidemment aux coûts toujours sous-évalués des normes nouvelles imposées aux collectivités territoriales, et jamais ou peu compensées.
L’Assemblée nationale en exhumant cette disposition sur un texte majeur, la loi de programmation militaire ouvre des perspectives lumineuses pour ressusciter le contrôle parlementaire.
Le Conférence des Présidents c’est à dire l’organe de décision de l’Assemblée et du Sénat peut soulever la question de l’insincérité des études d’impact et en cas de désaccord entre elle, et le Gouvernement le président du Sénat peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de 8 jours.
Cette disposition dont je n’ai pas souvenir en 16 ans de mandat qu’elle ait été appliquée au Sénat mérite d’être révisée. Révisée pour donner aux présidents des groupes politiques la possibilité de contester eux aussi la qualité des études d’impact. Cette possibilité serait assortie d’un vote du Sénat.
En effet on pourrait craindre que cette nouvelle procédure conduise à un blocage de tous les textes provenant du Gouvernement, à raison, ou par suspicion ou encore par volonté de blocage et d’obstruction.
Dans la mesure où les examens de textes frappés de l’urgence sont devenus la règle et non l’exception, compte tenu des délais très courts pour que les commissions saisies au fond étudient les textes en question, compte-tenu des mauvaises habitudes prises par les gouvernements successifs de dépôts d’amendements en dernière minute, il semble légitime que les parlementaires reprennent la main grâce à leur règlement.
Décidément, il faut un changement de méthode et un rééquilibrage des pouvoirs du Parlement souvent dernier informé après les journalistes d’une parole présidentielle dont il faut rappeler qu’ELLE NE CREE PAS LE DROIT
Et que dire en ce jour où nous attendons la copie du Conseil constitutionnel sur le texte de réforme des retraites du refus par le Gouvernement de produire aux élus l’avis du Conseil d’Etat ?
Le Conseil constitutionnel renforcerait ainsi sa place devenue centrale dans nos institutions
C’est sur la base de tous ces constats que j’ai déposé une proposition de résolution qui vise à modifier le Règlement du Sénat afin de permettre à un président de groupe d’engager la procédure permettant le contrôle des études d’impact par le Conseil constitutionnel si la Conférence des Présidents ne le faisait pas. Cette faculté serait conditionnée à un vote favorable du Sénat.
L’ADN du Parlement c’est de contrôler l’action du Gouvernement, donnons nous plus de moyens
Un outil en plus n’est jamais un outil de trop.
Nathalie Goulet
Sénateur de l’Orne
Vice-présidente de la Commission des lois
Photo : Jo Bouroch/Shutterstock.com