A défaut de remporter une majorité absolue à l’Assemblée, les deux autres coalitions arrivées en tête des élections, le Nouveau Front populaire et la coalition présidentielle n’ont eu qu’un credo : « faire barrage » au RN. Une stratégie risquée qui a impliqué de demander à certains de leurs candidats de se désister pour favoriser la victoire d’un autre parti, considéré comme un moindre mal.
Historiquement cette stratégie du barrage républicain a été utilisée dès 2002 (JM Le Pen au second tour de la présidentielle) pour empêcher le Front national devenu Rassemblement National de parvenir au pouvoir. Or, ces dernières années, ce réflexe républicain est de plus en plus soumis à conditions par certains acteurs politiques. Ce scrutin de 2024 n’a pas échappé pas à la règle. Bien au contraire. Des ennemis d’hier ont pactisé allègrement pour empêcher le RN de gagner.
Se désister consiste pour un candidat à se retirer avant ou pendant le scrutin, éventuellement au profit d’un autre candidat. Ce peut être spontanément (rare) ou suite à ces négociations (le plus fréquent). Pour ce second tour il y a eu plus de 200 désistements qui se sont produits contre le RN. Cela a, c’est certain, réduit sa marge de manœuvre et l’a donc empêché d’atteindre une majorité (absolue et bien sûr relative). Mais d’ailleurs, on le dit peu, il n’y a pas de majorité à l’Assemblée. Cas unique sous la Ve.
Le désistement a toujours existé depuis que l’on pratique le suffrage universel. Il n’est fixé dans aucune règle constitutionnel ni dans une loi. C’est une sorte de coutume. Stéphane Le Rudulier, sénateur LR des Bouches-du-Rhône, a fait une proposition de loi visant à interdire les désistements dans l’entre-deux-tours des élections législatives et départementales. Selon lui, cette pratique renforce « l’aversion des Français pour la vie politique » « Protéger le choix des électeurs lors du second tour et sanctuariser la démocratie. Le principe même de désistement suscite chez les Français incompréhension et révulsion. Se faire battre à deux points près, à cause de magouilles, cela tue la démocratie, installe un malaise et provoque un écœurement ». Cette proposition, pas inintéressante, si elle est adoptée (pas sûr) sera certainement soumise au Conseil constitutionnel. Et, à notre sens, censurée. En effet cette pratique n’élude en rien la liberté de l’électeur de choisir librement. Il a simplement moins de choix. On dira que la carte diminue mais l’électeur reste le roi de la table. Mais en rien le désistement n’empêche la souveraineté nationale de s’exercer. Et puis cela fait longtemps que la majorité des électeurs ne sont plus aux ordres !
Cet entre-deux-tours 2024 a aussi vu fleurir, comme de coutume, un certain nombre d’arrangements voire de « carabistouilles ». Ce sont les relents des IIIe et IVe Républiques sous lesquelles toutes les magouilles avaient cours ! Il n’est pas sûr du tout que ces pratiques aient été de nature à séduire un certain nombre d’électeurs. Mais certains, en voyant l’offre se réduire, ont dû tout de même faire un choix. Peut-être pas celui qu’il voulait. La macronie et ses alliés se sont enhardis à faire du RN le bouc-émissaire. Tout sauf le RN en quelque sorte. Attention aussi à ce « tout » qui peut servir les extrêmes de gauche (NFP). On a même vu Eric Dupont-Moretti crier halte au fascisme. Alors ce sont près de 34 % des électeurs du 1 er tour qui sont des fascistes ? Cela fait beaucoup dans un état démocratique comme le nôtre, non ? Il n’est pas sûr que dans un état fasciste, il règne la délinquance et la criminalité que nous connaissons. Forcément dans la famille de l’actuel ministre de la Justice, on a dû connaitre les méfaits du mussolinisme. Un peu de mesure de sa part serait d’autant plus nécessaire.
Et puis le « ni-ni » est réapparu impulsé par JP Raffarin. Rappelons que ce « ni-ni » a été popularisé en 1988 par François Mitterrand après sa réélection pour un second mandat. Sa formule résumait la nouvelle doctrine de sa ligne économique : ni nationalisation, ni privatisation… Ce concept a été repris par L. Jospin en 1997. Aujourd’hui la séquence politique du « ni ni » renvoie dos à dos le RN et le NFP. Elle a été réactualisée par E. Philippe. L’ancien Premier ministre a ainsi jugé qu’« aucune voix ne doit se porter sur les candidats du Rassemblement national, ni sur ceux de La France insoumise avec lesquels nous divergeons non pas seulement sur des programmes, mais sur de valeurs fondamentales. » L’ancien Premier ministre, n’étant pas à un renoncement près (sa nomination en 2017 le prouve), a ensuite changé d’avis et annoncé qu’il voterait communiste ! Suivant en cela la position de Xavier Bertrand qui, il y a encore quelques semaines, fustigeait le NFP. Ce qu’il ne faut pas oublier c’est que le « ni-ni », s’il peut s’entendre, peut générer de l’abstention (c’est ce qu’a prôné JP Raffarin) voire des votes blancs ou nuls. C’est pas la meilleure façon d’exercer son droit de vote.
Attention aussi à une règle connue des sociologues. A force de trop cibler quelqu’un, on finit par créer de l’empathie pour lui. Jusqu’à la victimisation parfois. Et c’est l’effet inverse qui se produit alors. C’est le cas pour beaucoup d’électeurs par rapport au RN. Et puis attention aussi car toutes ces techniques pour s’arranger avant un scrutin, sont souvent mal comprises et génératrices de frustrations voire de colère. Et puis, que Diable, les électeurs sont libres. Parfois même des électrons libres ! Nous ne sommes ni en Russie, ni en Chine. Et de toute façon, comme le disait Guizot « les électeurs n’appartiennent à personne ».
L’électorat est le décideur suprême dans notre démocratie. « Tout part du peuple et tout revient au peuple » disait de Gaulle. Et n’oublions pas que selon l’art. 3 C de la Constitution : Il (ndlr : le suffrage) est toujours universel, égal et secret. Donc à ce titre Mmes et MM qui prônaient l’anti-RN, vos désirs ne peuvent être des ordres. Mais pour ce second tour des législatives, ça a plutôt bien fonctionné puisque le groupe RN se retrouve seulement avec 143 sièges (sur les plus de 200 annoncés). Le grand paradoxe c’est que le mode scrutin des législatives amène le RN a tout de même obtenir le plus de voix (un peu plus de 10 millions d’électeurs). Il apparait que le parti de J. Bardella est le premier parti de France (200000 adhérents) mais du fait des désistements et autres combines, cela ne se traduit pas en termes de siège à l’issue du scrutin. Attention on risque de retrouver cela aux municipales (2026 on les oublie) et en 2027 le grand moment de vérité.
A l’heure où nous écrivons ces lignes, la France n’a qu’un gouvernement de transition qui expédie les affaires courantes. Et un président, qui a juste réussi à sauver quelques meubles ! Dans l’arrière-boutique de l’Elysée et au siège des partis, les combinazione ont repris. Le NFP qui est sorti vainqueur se pousse du col dans le sillage de Maximilien Mélenchon. Mais ça tangue avec les socialistes. Le groupe Ensemble, coaché de l’Elysée, n’a pas déposé les armes. Le RN sait qu’il n’obtiendra pas de marocain. Alors qui à Matignon ? Le président est le maitre des horloges, il l’a dit. L’art. 8 de la Constitution lui permet de nommer le Premier ministre à sa guise (pouvoir propre). Bien sûr il doit tenir compte de la composition de la majorité. Et comme il n’y en a pas ! Wait and see.
“Devine, si tu peux ; et choisis, si tu l’oses. ” (Corneille).
Raphael Piastra
Universitaire
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