En lançant mercredi, avec le feu vert de l’Elysée un avertissement solennel aux autorités algériennes, le Premier ministre, qui assure ne « pas chercher l’escalade », s’engage aussi à obtenir des résultats concrets…
C’est un déjeuner décisif qui comptera peut-être dans l’histoire des relations internationales de la France. Un déjeuner qui n’était pas inscrit à l’agenda officiel du Premier ministre, envoyé en début de semaine à la presse. C’est en effet entre la poire et le fromage, mardi 25 février, que François Bayrou a obtenu l’accord du président de la République pour lancer le lendemain un ultimatum au pouvoir algérien, sommé de respecter les accords bilatéraux passés entre les deux pays depuis la fin de la guerre d’Algérie.
A dire vrai, le Premier ministre n’a guère eu de mal à convaincre Emmanuel Macron sur le fond. Voilà un moment que ce dernier est exaspéré par l’hostilité manifestée par le pouvoir algérien. Voilà déjà plus de trois ans, le chef de l’Etat avait lui-même dénoncé en 2021 « une rente mémorielle entretenue par le système politico-militaire », et, pire encore pour l’Algérie, avait reconnu l’an dernier la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Les refus répétés de l’Algérie de reprendre ses ressortissants délinquants ou criminels, et l’attentat meurtrier de Mulhouse commis le week-end par un Algérien sous obligation de quitter le territoire français, ont fait le reste. Face à l’indignation croissante de l’opinion, y compris à gauche, il fallait hausser le ton.
Du coup, rien ne s’est passé comme prévu. L’annonce de François Bayrou en conférence de presse, le lendemain mercredi, sur la volonté de « la France » de « réexaminer la totalité des accords » entre la France et l’Algérie, n’était pas prévue à l’origine dans l’ordre du jour du Comité interministériel sur le contrôle de l’immigration. Il s’agissait avant tout de parler du contrôle des frontières, des modalités du pacte asile-immigration européen, et des prérogatives réciproques de la place Beauvau et du Quai d’Orsay dans l’attribution des visas et des procédures d’éloignement du territoire, dont les fameuses OQTF. Les relations avec l’Algérie ne figuraient pas au programme initial.
C’était sans compter sur la pression d’un Bruno Retailleau qui, indigné au soir de l’attentat de Mulhouse, avait lancé un sonore « ça suffit ! » et plaidé pour un « changement des règles » face à une situation « inacceptable ». Sans compter encore l’amicale pression de quelques conseillers extérieurs et amis du Premier ministre qui l’ont mis en garde. Pouvait-il se contenter, à l’issue de ce Comité interministériel, d’annoncer quelques mesures techniques concernant l’attribution des visas et la répartition des rôles entre le ministère de l’Intérieur et le Quai d’Orsay, alors que d’après tous les sondages depuis des mois, voire des années, les Français attendent des mesures de fermeté en matière d’immigration ? Et alors qu’augmente le sentiment d’impuissance de l’Etat ? Le chef du gouvernement, qui juge lui aussi la situation « inadmissible », est également persuadé qu’il faut mettre publiquement le sujet sur la table.
Par ailleurs, le très politique Bayrou sait qu’il ne peut pas laisser Retailleau incarner à lui seul une ligne de fermeté plébiscitée par une large majorité de Français, au risque d’apparaître, lui, comme une caricature de centriste mollasson. Après son déjeuner avec Macron, il informe son ministre de l’Intérieur, lequel annule une intervention prévue au journal de 20h de France 2 mercredi soir afin de laisser Bayrou s’exprimer à sa guise. Après le feu vert présidentiel, le chef du gouvernement peut en effet parler désormais au nom de « la France » et décréter que « les refus de réadmission sont une atteinte directe aux accords que nous avons avec les autorités algériennes et nous ne l’accepterons pas ». En attendant, et en guise de premier message, le ministre des Affaires étrangères réduit déjà les visas diplomatiques attribués aux personnalités algériennes.
Quid après cet ultimatum, une première dans l’histoire de la Ve République depuis les accords d’Evian de 1962 ? Bayrou laisse 4 à 6 semaines à l’Algérie pour reprendre tous ses ressortissants condamnés à l’éloignement du territoire français, et pour respecter les règles passées entre les deux pays, faute de quoi les accords de 1968, mais aussi ceux de 1994 et de 2007 (déjà pointés du doigt par Gabriel Attal) seraient dénoncés unilatéralement.
On n’en est pas là. Mais, même si l’issue de cette affaire demeure incertaine, il était temps que l’exécutif français ne donne plus l’impression de tergiverser face aux provocations d’Alger et à l’emprisonnement arbitraire de Boualem Sansal, citoyen franco-algérien. A condition d’obtenir de vrais résultats…
Carole Barjon
Editorialiste