François Bayrou ouvre cette semaine le chantier de la proportionnelle, longtemps remisé au placard. Fervent défenseur de ce mode de scrutin qui permet souvent de gouverner au centre, il veut aussi se rallier les bonnes grâces du RN qui le réclame depuis longtemps. Mais le consensus risque d’être difficile à trouver, tant le sujet est complexe.
Elle est passée par ici, elle repassera par là… Voilà des lustres que la proportionnelle s’invite dans le débat public, sans jamais avoir été mise en place depuis que Jacques Chirac avait supprimé la réforme initiée par François Mitterrand en vue des élections législatives de 1986. Emmanuel Macron l’avait promis pendant sa campagne de 2017…et à nouveau en 2022. Cette semaine, François Bayrou, partisan convaincu depuis toujours de la nécessité d‘instaurer ce mode de scrutin, lance enfin ce chantier. Dans les jours qui viennent, le Premier ministre recevra les chefs de parti et présidents de groupes parlementaires pour tenter de faire émerger un consensus sur le sujet.
Pas si simple. Sur le principe, le Modem, parti de Bayrou, est à fond pour, tout comme le Rassemblement national, la France insoumise et les écologistes. En revanche, et notamment en raison de leur lointaine filiation gaulliste, les Républicains et le parti Horizons d’Edouard Philippe y sont farouchement opposés. Pas question de se couper du terrain et d’en revenir au « régime des partis » que fustigeait le général de Gaulle. Quant au Parti socialiste et à Renaissance, ils sont divisés. Au sein du PS, François Hollande est plutôt favorable, mais Olivier Faure est contre. Même incertitude chez les macronistes : Gabriel Attal est réticent alors qu’une partie de ses troupes est plus allante.
Au-delà du principe, reste encore à déterminer quel type de scrutin proportionnel adopter ? Départemental, sur le modèle de 1986, comme le souhaite Bayrou ? Régional comme le veulent les écologistes ? Avec une prime majoritaire comme le réclame Marine Le Pen ? Applicable, ou non, seulement dans les départements les plus peuplés, comme le souhaite la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet ? Bref, les discussions promettent d’être serrées et très techniques. D’autant que les opposants à la proportionnelle disposent d’un argument de poids : la tripartition, voire la fragmentation du champ politique a démontré, avec les résultats des élections législatives de 2022, que tous les partis peuvent être représentés à l’Assemblée nationale avec le scrutin majoritaire, sans avoir besoin de la proportionnelle.
Il n’empêche. Bayrou y tient. Au point d’agiter la carotte d’un possible retour au cumul des mandats pour surmonter les réticences… Le Premier ministre vise en effet à « libérer » le PS de son accord avec LFI et tient à se prémunir contre tout risque de censure. Le Rassemblement national, très offensif sur la question de la Programmation pluriannuelle de l’énergie, est demandeur depuis longtemps d’un changement de scrutin. Il pourrait se montrer plus bienveillant à son égard, pense le Premier ministre, si son vœu était exaucé sur ce point. Et ce n’est pas un hasard si Marine Le Pen et Jordan Bardella, conviés à Matignon mercredi 30 avril, ont droit à un traitement à part, alors que tous les autres responsables politiques sont invités ensemble.
Le chef du gouvernement veut aller vite. Vœu pieux ? Quand on sait qu’il existe des dizaines de types de proportionnelle, selon la taille de la circonscription retenue, le nombre de tours de scrutin, avec ou sans panachage, sans compter la fixation du score minimum pour avoir un élu, on imagine que les discussions pourraient au contraire s’éterniser… Bref, l’affaire n’est pas gagnée. D’autant moins que les Français, d’abord préoccupés par leur pouvoir d’achat, l’immigration ou les déserts médicaux, peuvent y voir une nouvelle preuve de la déconnexion tant dénoncée du pouvoir politique.
Carole Barjon
Editorialiste