Il y avait du Mitterrand dans la manière dont François Bayrou a répondu aux questions de Darius Rochebin lundi soir sur LCI. Sans pousser la comparaison sur le fond entre le vainqueur du congrès d’Epinay en 1971 et le démocrate-chrétien militant du Centre démocrate de Jean Lecanuet en 1978, il y avait pour le moins, entre les deux, des similitudes de style et d’approche dans la manière d’aborder la politique. Et ce, au-delà de leur commun amour de la littérature française, de la précision de leurs adjectifs qualificatifs et de leur sainte horreur du jargon technocratique. Bayrou ne parle pas des « actifs » comme dans les tableaux statistiques. Il parle des « Français qui travaillent »…
Selon ses détracteurs, François Mitterrand, chef de la gauche doté d’une culture de droite, était « le Prince de l’ambiguïté ». Que dire alors de Bayrou, centriste de droite qui a souvent penché vers la gauche, et qui entretient aujourd’hui un flou artistique sur ce qu’il entend faire exactement ? Sans majorité absolue, engagé dans des pourparlers délicats avec le Parti socialiste pour faire passer son budget, le Premier ministre préfère philosopher et tenter de concilier les contraires. Ainsi, entre son ministre de l’Economie Eric Lombard qui pense que la France a besoin de l’immigration et Bruno Retailleau qui veut la combattre « les deux ont raison ». Assumant l’idée, honnie par la gauche, de rejeter un référendum sur l’immigration, il charge aussitôt la balance de l’autre côté en évoquant un « sentiment de submersion » migratoire. Au risque de susciter un tollé à gauche et de menacer les négociations entamées avec le PS. Lequel semble avoir oublié que Mitterrand avait parlé de « seuil de tolérance » à la fin des années 80…
Comment enfin ne pas penser à l’ancien président qui, quelques mois avant sa mort, avait lancé « Je crois aux forces de l’esprit », en entendant François Bayrou confier : « Je ne crois pas que les morts soient morts. (…) La vie ne s’interrompt pas et ceux qui sont de l’autre côté continuent d’avoir une relation et influencent notre vie » ?
Plus généralement, c’est bien une posture présidentielle qu’adopte François Bayrou depuis sa nomination. Et ne manque pas de se situer aussi, excusez du peu, dans le sillage de De Gaulle… « un révolutionnaire qui a révolutionné la France sans mettre le pays à feu et à sang »… Plutôt que d’égrener des mesures techniques, d’entrer dans le détail, comme le font souvent les Premiers ministres, il préfère embrasser large et voir loin. Manière de donner sa vision de la France et de la politique au sens noble, et bien pratique aussi pour éviter les pièges et les éventuels reculs.
Du reste, il n’hésite pas à parler de « co-responsabilité » avec Emmanuel Macron. Une première alors que le pays n’est pas dans une cohabitation franche entre un président de la République élu par un camp et un chef de gouvernement issu d’une majorité opposée. Il a ainsi motivé son rejet d’un référendum sur l’immigration en précisant que, d’après la Constitution, c’est au gouvernement qu’il revient de proposer au chef de l’Etat la soumission d’un texte à référendum… Un rappel au règlement, comme on dit au Parlement, qui en dit long sur le rapport de forces au sommet de l’Etat.
Carole Barjon
Editorialiste