La proposition du chef de l’Etat d’un « label » élaboré par les professionnels de la presse pour lutter contre les « fake news » sur les réseaux sociaux suscite un tollé, notamment à droite qui dénonce une police de la pensée. Ce n’est pourtant pas la première fois que Macron soutient ce genre de mesure, initiée à l’origine par Jean-Luc Mélenchon…
Donc, on avait mal compris… En conseil des ministres mardi, Emmanuel Macron s’est évertué à démentir le soupçon dont il fait l’objet, celui de vouloir créer un label distinguant les médias fiables des autres. Pas du tout, assure la porte-parole du gouvernement qui a rapporté les propos du chef de l’Etat. Il n’a « jamais » envisagé la création d’un « label d’Etat », « et encore moins (celle) d’un ministère de la Vérité », comme l’en ont accusé Bruno Retailleau et David Lisnard, maire LR de Cannes et président de l’Association des maires de France. Devant ses ministres, Macron a juré que « Le gouvernement ne va pas créer tel ou tel label destiné à la presse. Ce n’est pas, ce ne sera jamais son rôle de le faire ».
Nous voilà -presque- rassurés. En déplacement à Arras il y a deux semaines, dans le cadre de sa tournée destinée à alerter sur les dangers des réseaux sociaux, le président de la République avait bien évoqué devant les lecteurs de la presse régionale un projet de « label » pour distinguer les sites et les réseaux qui font de l’information selon les règles déontologiques, et les autres. Il faut « distinguer les réseaux et les sites qui font de l’argent avec de la pub personnalisée, et les réseaux et les sites d’information » avait-il déclaré. S’il est exact qu’il n’a pas parlé de « label d’Etat », cette distinction doit cependant passer selon lui par un « label » attribué par des journalistes qui validerait la « déontologie » de la profession. L’information étant « une matière dangereuse » il doit y avoir des règles déontologiques », avait-il insisté, ajoutant : « Le rôle des journalistes partout dans le monde est de travailler autour d’initiatives de labellisation ».
Tollé à droite. A la suite du Journal du Dimanche qui titre en manchette « Vers un contrôle de l’information », CNews et Europe 1 s’émeuvent, suivis par nombre de parlementaires LR dont Bruno Retailleau qui dénonce la volonté de mettre en place « un ministère de la Vérité ». Réactions excessives ? Peut-être… Mais dans le monde politique et de la presse, chacun se souvient que la labélisation de l’information, donc une certaine forme de contrôle, est une idée chère à Macron depuis bien longtemps. En janvier 2018, il évoquait déjà une « forme de certification des organes de presse respectant la déontologie du métier ».
L’année suivante, dans un rapport remis au gouvernement, l’ancien directeur de l’AFP Emmanuel Hoog préconisait la création d’un « Conseil déontologique de la presse » en précisant qu’il devait être à l’initiative des volontaires parmi les professionnels du métier. Précision sans doute destinée à se différencier de l’idée défendue à l’origine par un certain…Jean-Luc Mélenchon. En décembre 2017, le leader de la France insoumise avait en effet lancé une pétition pour la création d’un « Conseil de déontologie du journalisme en France »…
Depuis, dans le même esprit, Emmanuel Macron vante régulièrement l’action de la « Journalism Trust Initiative », un dispositif de certification créé par l’ONG Reporters sans frontières (RSF), qu’ont adopté quelques médias français, comme France Télévisions et Radio France ainsi que le groupe Ebra, qui compte neuf titres régionaux comme Les Dernières Nouvelles d’Alsace, Le Dauphiné Libéré ou Le Progrès. Mais la référence du président à Reporters sans Frontières n’est sans doute pas la plus opportune au moment même où cette association, qui tentait de démontrer la partialité de CNews et ses manquements à la déontologie, vient de se faire désavouer par l’Arcom, instance de régulation des médias… Ce qui pose question sur l’impartialité de RSF et sa légitimité à accorder des certificats de bonne conduite déontologique…
RSF ou pas, on ne voit pas bien quel organisme pourrait recueillir l’assentiment unanime des grands médias écrits ou audiovisuels, attachés à la liberté d’expression et, surtout, à leur liberté éditoriale. Sans remonter jusqu’aux « libelles » de la Révolution française, la presse d’opinion a toujours existé, de « L’Aurore » à « l’Humanité », en passant par « Minute » ou « Rouge ». Au nom de quelle logique pourrait-on soumettre les choix d’un média à un contrôle de son contenu, sans risquer le procès de vouloir instaurer une police de la pensée ? La polémique actuelle intervient en effet au moment où l’audience des médias Bolloré, comme CNews ou Europe 1, grimpe. S’agirait-il de les museler pour limiter leur influence ? On n’ose y croire. L’Elysée dément en tout cas toute intention de s’attaquer au pluralisme de la presse.
D’où vient alors que la polémique ait enflé à ce point, sinon de l’ambiguïté même de la parole du chef de l’Etat ? En alertant, légitimement, sur les dangers des réseaux sociaux et des fake news, Macron a en fait mélangé -délibérément ?- deux domaines pourtant bien distincts : d’une part, la presse écrite et audiovisuelle déjà bien régulée, et d’autre part, la jungle d’internet et de ses plateformes diverses et variées où règne la désinformation. Dans le premier secteur, la diffamation, l’injure, les délits de fausse nouvelle ou d’incitation à la haine ou les modalités du droit de réponse sont régis par le droit de la presse. Les directeurs de publication et les auteurs des articles sont responsables devant la loi, ce qui incite, en amont, à la vérification des informations et de la fiabilité des sources d’information. C’est loin d’être le cas sur la toile où, anonymat aidant, pullulent les fake news.
Le vrai sujet est donc ailleurs. Aux yeux de Macron, rappelle son ancienne conseillère presse Sibeth Ndiaye, « les citoyens et les politiques sont victimes d’une sorte de Far West où n’importe qui s’institue journaliste ». Exact. Ce funeste mélange des genres accroit en effet la défiance de l’opinion à l’encontre de la presse traditionnelle. Mais le chef de l’Etat n’ignore sans doute pas que la Commission de la carte professionnelle des journalistes est impuissante à faire le ménage dans la jungle internet.
Le véritable combat à mener pour venir à bout des fake news est donc de s’attaquer à ses producteurs et surtout à ses diffuseurs, autrement dit aux plateformes numériques, les fameux GAFAM. Parvenir à les contraindre d’adopter un statut d’éditeur comme celui des journaux, et pas seulement d’hébergeur comme c’est aujourd’hui le cas en majorité. Vaste programme…qui dépasse le pouvoir du seul président de la République française.
Carole Barjon
Editorialiste politique













