La France est une société politiquement mature mais profondément fatiguée. Héritière d’un long parcours républicain, marquée par une identité à la fois rurale, déiste et laïque, cosmopolite et rebelle, elle oscille entre avancées progressistes et réflexes conservateurs. Sa devise liberté–égalité–fraternité peine à fonctionner harmonieusement, tandis que les crises répétées ont installé une lassitude politique persistante. Les vieux partis politiques n’offrent plus ni repères ni garanties. Traversés par leurs clivages et vidés de cohérence idéologique, ils se sont repliés en faisant place aux revendications catégorielles qui provoquent un éparpillement généralisé.
La classe politique souffre d’un profond discrédit. Le mythe de la rencontre entre un homme et un peuple est révolu, et plus aucune figure providentielle ne semble en mesure d’émerger. Cette carence de leadership désormais installée paralyse les institutions et favorise une forte apathie démocratique. Le plus grand parti du pays est celui des déçus : critiques, abstentionnistes, parfois protestataires, frappés par la perception d’une impuissance publique. L’État jacobin est isolé, trop éloigné des petites choses du quotidien des gens, trop technocrate pour peser sur les grands enjeux du monde. Malgré un climat social inflammable, l’explosion paraît encore contenue par des mécanismes invisibles de régulation. Mais le déclassement s’accélère.
Pour en sortir, il faudra réengager les citoyens et réactiver leur fierté d’être. Et pour cela, lancer sans délai un large courant patriote ouvert, réformiste et responsable. Le structurer hors partis traditionnels, d’abord aux municipales, puis rapidement dans une confédération politique mi 2026, articulée autour d’un « programme commun pour la France ». D’où qu’on vienne, il faut d’urgence mettre en commun tout ce qui fait la France et en sourdine tout ce qui la dévalue. Une majorité silencieuse — environ 65 % — aspire à l’évidence à un sursaut d’intérêt général. La seule piste est donc de bâtir pour elle en 2027 une offre politique transnationale et résolue, capable de rééquilibrer les institutions, d’en corriger l’hyper présidentialisation et de relancer le pays.
Sur le plan militaire, la France traverse également une phase de désillusion. Longtemps confiante dans sa dissuasion nucléaire et ses armées modernes, elle prend conscience d’un déclassement stratégique rapide. En dix ans, les questions de défense et de sécurité ont été dévoyées : confusion autour du domaine réservé, panne d’analyse et d’expertise stratégiques, contradictions entre ambitions européennes, penchants otaniens et manœuvres nationales dispersées, dotations différées. Les incohérences se sont accumulées, du retrait sahélien aux annonces industrielles spectaculaires, sans vision stable notamment de la capacité nucléaire. Si les armées sont bien équipées, elles manquent de volume, de stocks et d’effectifs pour faire face à un possible conflit de haute intensité et l’empêcher d’advenir. Le climat est fébrile, les doctrines incertaines, et les forces réclament davantage de moyens. Les Français de leur côté, se préoccupent davantage de sécurité intérieure que de stratégie extérieure et réclament une implication militaire dans l’ordre public plutôt qu’un soutien prolongé à l’Ukraine.
Dans l’immédiat, on recommandera de revenir à la posture de défense nationale dans l’espace européen : condenser et durcir les armées, activer la protection contre l’ingérence russe, mais aussi rouvrir un canal de sécurité nucléaire avec Moscou.
La diplomatie française, enfin, subit le même déclin relatif. Malgré un statut international enviable, elle voit ses marges de manœuvre diminuer dans un monde toujours plus dense, plus compétitif et durablement désordonné. Les contradictions internes – faillite économique, fractures sociales, perte d’autorité, confusion stratégique – ont brouillé l’image extérieure du pays. Le style diplomatique s’est écarté du réalisme altier gaullien, au profit d’une activité réactive, bavarde et souvent incohérente.
Pour retrouver une place crédible dans ce monde nouveau qui se structure, la France devra réévaluer son équation stratégique, assumer sa singularité, repenser son voisinage naturel, planifier des objectifs à long terme et développer des partenariats durables. Il lui faudra pour cela évacuer ses biais internes, reconnecter la politique étrangère aux attentes de la société et agir de manière lisible. En réaffirmant sa place en Europe, elle invitera le continent à affirmer la sienne dans le monde du XXIe siècle.
Jean Dufourcq,
Contre-amiral (2S), stratégiste

















