Les Boliviens sont appelés aux urnes le 18 octobre prochain pour élire un nouveau président. Le point par David Biroste docteur en droit, Vice-président de l’association France-Amérique latine, LATFRAN
En Bolivie, l’élection présidentielle et les élections parlementaires se dérouleront finalement le 18 octobre et, si un second tour est nécessaire pour le choix du chef de l’État, le 29 novembre suivant. Initialement prévus le 3 mai, puis le 6 septembre derniers, ces scrutins ont été reportés deux fois en raison de la pandémie de coronavirus. Elles sont destinées à conclure la période de transition politique que connaît le pays depuis près d’un an, à la suite de la réélection contestée d’Evo Morales à un quatrième mandat le 20 octobre 2019 et des violentes manifestations qui s’en sont suivies jusqu’à sa fuite à l’étranger le 10 novembre1. Pour comprendre les enjeux de ce scrutin historique, il convient de revenir sur le cadre constitutionnel et le cadre électoral en vigueur dans ce pays d’Amérique du sud où la démocratie vacille encore.
Le cadre constitutionnel bolivien
Devenu indépendant le 6 août 1825, l’ « État plurinational de Bolivie » est organisé aujourd’hui administrativement en neuf départements : Beni, Chuquisaca, Cochabamba, La Paz, Oruro, Pando, Potosi, Santa Cruz, Tarija. Il possède deux capitales : l’une administrative où siègent la présidence de la République, le gouvernement, le Parlement, le Tribunal suprême électoral (TSE) et la Banque centrale (La Paz) ; l’autre constitutionnelle où siègent le Tribunal constitutionnel et la Cour suprême de justice (Sucre)2.
La Constitution de février 2009 organise une République démocratique à régime présidentiel3. Elle prévoit donc la séparation des pouvoirs4 :
– les trois pouvoirs classiques (législatif, exécutif et judiciaire),
– ainsi qu’un pouvoir électoral chargé d’organiser et de contrôler tous les types de scrutin avec à sa tête le TSE5.
D’abord, la fonction exécutive est assurée par le président, le vice-président et les ministres (Constitution article 165 et suivants.) : le président de la République est à la fois chef de l’État et chef du gouvernement ; il ne peut pas dissoudre le parlement. En cas d’empêchement définitif du président ce dernier est remplacé par le vice-président ; à défaut, l’intérim est assuré par le président de la chambre haute ou, à défaut, par le président de la chambre basse ; dans ce dernier cas, de nouvelles élections sont déclenchées dans un délai maximum de 90 jours (Constitution, article 169).
Ensuite, la fonction législative est exercée par un parlement bicaméral (l’Assemblée législative plurinationale), présidé par le vice-président : ce parlement est composé d’une chambre des députés de 130 membres et d’une chambre des sénateurs de 36 membres (Constitution, articles 153, 146 et 148) ; le pouvoir législatif ne peut pas voter la défiance et renverser le gouvernement.
Enfin, la fonction judiciaire est confiée au Tribunal constitutionnel et à l’ensemble des tribunaux chapeautés par la Cour suprême (Constitution, article 179).
Le cadre électoral bolivien
Le président et le vice-président de la Bolivie sont élus sur un même « ticket » au suffrage universel, obligatoire, direct, libre et secret, dans le cadre d’un scrutin majoritaire à deux tours dans une circonscription nationale unique, pour un mandat de cinq ans renouvelable6. Pour gagner au premier tour, un candidat doit obtenir la majorité absolue des suffrages exprimés ou alors franchir la barre des 40 % de suffrages exprimés avec un écart d’au moins 10 points sur le candidat arrivé en deuxième position. Sinon, un second tour est organisé dans les deux mois qui suivent entre les deux candidats arrivés en tête.
Les parlementaires sont élus pour une durée renouvelable de cinq ans, au suffrage universel, direct et secret (Constitution, articles 146, 148 et 156). Les deux chambres sont renouvelées simultanément. Quatre sénateurs titulaires et quatre suppléants sont choisis au scrutin proportionnel au plus fort reste, dans chacune des neufs circonscriptions départementales, sur une liste unique avec le ticket président/vice-président de la République, dans le respect de la parité intégrale (loi n°026, articles 54 et 55). Les 130 députés sont élus, dans chaque département en fonction de la démographie, selon un double système : 70 sièges sont attribués au scrutin uninominal à un tour dans autant de circonscriptions législatives (dont 7 conçues pour représenter les populations indigènes) et 60 sont soumis au scrutin plurinominal dans le cadre des neufs circonscriptions départementales sur la base des suffrages accordés au ticket président/vice-président (loi n°026, articles 56 à 61). En résumé, chaque électeur est conduit à voter deux fois : d’une part pour l’un des 70 députés (et leurs suppléants de sexe opposé) élus au scrutin uninominal, et d’autre part, sur un seul et même bulletin, pour le ticket président/vice-président, les 36 sièges de sénateurs et les 60 sièges de députés restants.
Le contexte politique actuel
Le 18 octobre prochain, ce sont 7,3 millions d’électeurs boliviens qui doivent se rendre aux urnes, dans un pays extrêmement divisé et au terme d’une campagne électorale déjà émaillée de diverses violences, comme l’a déploré le bureau de l’ONU à la Paz7.
Avec plus de 137 000 cas positifs et plus de 8 000 décès de la Covid-19, cette campagne est encore plus inédite et a connu de nombreux rebondissements : la présidente par intérim du pays, Jeanine Áñez (conservatrice), a déclaré ne pas vouloir se présenter à la magistrature suprême lorsqu’elle a succédé à Evo Morales en novembre 2019 ; puis, elle a annoncé sa candidature en janvier 2020, avant finalement de se retirer mi-septembre dans le but de ne pas diviser la droite et d’empêcher l’élection du favori des sondages, Luis Arce, ancien ministre de l’Economie et champion d’Evo Morale ; parallèlement, le TSE a invalidé la candidature d’Evo Morales au Sénat au motif qu’il ne remplit pas la condition de résidence dans le pays tandis qu’il a validé celle de Luis Arce à la présidence de la République ; par ailleurs, l’annonce du deuxième report des élections nationale au 18 octobre a provoqué des violences et des blocages de routes en août dernier par les partisans du Mouvement vers le socialisme (MAS), parti de Messieurs Morales et Arce.
A l’approche du scrutin du 18 octobre, les tensions politiques augmentent sur fond de crise sanitaire, économique et sociale.
Un résultat trop serré ou des tentatives de fraude embraseraient certainement à nouveau le pays.
Conscient des risques, le TSE tente de donner tous les gages sur la sincérité du processus électoral. Il a ainsi demandé à des observateurs internationaux d’assister au déroulement des élections nationales : trois missions seront sur place à cette fin, une de l’Union européenne, une de l’Organisation des États américains (OEA) et une de l’Union des organisations électorales d’Amérique (UNIORE).
David Biroste
Docteur en droit, Vice-président de l’association France-Amérique latine, LATFRAN (www.latfran.fr)
Crédits photos : Cérémonies du Bicentenaire du début de la lutte pour l’indépendance, devant le Tribunal constitutionnel plurinational à Sucre en mai 2009 (© Exposition LATFRAN 2020)
- C. Meynial, « Bolivie : coup d’État ou fraude électorale ? », lepoint.fr, 19 novembre 2019. ↩
- Constitution (Const.), article (art.) 6. ↩
- A. A. Zalles, « Écueils et déboires de la nouvelle Constitution bolivienne », Alternatives Sud, 2009, vol. 16, pp. 95 et ss. ↩
- V. Souty, « La nouvelle « constitution politique de l’Etat » bolivienne », RFDC, 2011, pp. 203 et ss. ↩
- Const., art. 12 : « I. El Estado se organiza y estructura su poder público a través de los órganos Legislativo, Ejecutivo, Judicial y Electoral » ↩
- Articles 166 de la Constitution et 52 de la loi n°026 sur le régime électoral (loi n°026) du 30 juin 2010 (à la lumière de la sentence constitutionnelle n° 0084/2017 du 28 novembre 2017 interdisant le cumul de mandat dans le temps). ↩
- N. Amel, « La Bolivie de l’après Morales va-t-elle s’épargner une nouvelle crise politique ? » , franceculture.fr, 4 octobre 2020. ↩