« Les conditions ne sont pas réunies pour mener à bien le projet Notre Dame-des-Landes » a énoncé Edouard Philippe le 17 janvier dernier. L’exécutif en a décidé ainsi. Et ce malgré un référendum local (sans valeur décisionnelle) et plusieurs décisions de justice (y compris une européenne).
Donc « l’aéroport de la discorde » ne se fera pas. Quoi que l’on en pense, ce choix a au moins un avantage, celui d’exister. Il fait suite à des décennies de tergiversations. Contrairement à ce qui a été dit, si le projet date de 1967 (année où le site a été choisi), la DUP date de 2008. Il va falloir assurer à présent l’évacuation de la « ZAD » (zone à défendre est un néologisme militant utilisé pour désigner une forme de squat à vocation politique et publique) illégalement occupée par les zadistes. Ces derniers n’ont, bien sûr, pas manqué de crier victoire. A cet égard rappelons qu’en 2012 une opération similaire, dite César, avait échoué. « Nous mettrons fin à la zone de non-droit qui prospère depuis près de dix ans… » a énoncé Edouard Philippe. Précisant même, non sans ambiguïté, « nous commencerons les expulsions si nécessaires le 30 mars ». De son côté Gérard Collomb a indiqué que les routes traversant la zone seraient évacuées sous huit jours. Pour sa part la préfète a annoncé « le retour à l’état de droit sur la zone ». Sur ce point le gouvernement s’est donc engagé solennellement. Au bout de presque dix ans, ce serait la moindre des choses… Il en va de l’ordre public et surtout de l’autorité de l’Etat.
Mais ce renoncement laisse aussi des questions en suspens. Il génère surtout des conséquences financières. Tant pour le groupe Vinci que pour les collectivités locales concernées. Etudions-en les grandes lignes.
Tout d’abord c’est le géant du BTP, Vinci, désigné concessionnaire pour réaliser et exploiter le projet, qui va subir un manque à gagner certain. Les experts désignés récemment pour éclairer le gouvernement et faire une médiation, ont estimé dans leur rapport (préalable au choix exécutif) que quelle que soit l’issue, une négociation s’imposerait entre l’Etat et Vinci, concessionnaire de, feu, l’Aéroport du Grand Ouest (AGO). C’est fin 2010 que le groupe (détenant 85 % de l’AGO) avait aussi obtenu l’exploitation pour 55 ans du projet. L’abandon de ce dernier, s’il peut apparaitre comme une « trahison » voire « un déni de démocratie » (Mme Rolland, maire de Nantes), n’en constitue pas moins une décision légale. C’est ce qu’on appelle en droit administratif « le fait du prince ». Selon cette expression, l’Etat fait, au nom de l’intérêt général, un choix qui remet en cause l’exécution d’un contrat public. Un recours de Vinci devant le juge administratif est possible. Son issue est incertaine. Une négociation peut avoir lieu. C’est ce qu’a confirmé Gérard Collomb sur RMC le 18 janvier. Une indemnisation pourrait aussi être demandée. Comme l’a souligné encore l’actuel ministre de l’Intérieur, elle est chiffrée à environ 400 millions d’euros. Les experts cités ci-dessus ont cependant fait remarquer que le concessionnaire n’avait pas bouclé son financement ni entrepris les travaux prévus dans le contrat. « Le président Macron est un bon négociateur » a encore déclaré l’actuel ministre de l’Intérieur. De son côté Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, s’est dit « convaincu qu’un accord serait trouvé ». Quant au groupe Vinci il a expliqué être « aujourd’hui plus que jamais (…) à la disposition de l’Etat ».
Quid des collectivités locales concernées ? Les principales sont : Notre-Dame-des-Landes, La Paquelais, Vigneux-de-Bretagne et Le Temple-de-Bretagne. Le choix d’un réaménagement de l’aéroport existant a été estimé par les experts à 300 millions d’euros. C’est moins coûteux que la construction abandonnée mais c’est sans compter sur l’issue de la négociation avec Vinci. Les collectivités locales concernées ont déjà versées environ 30 millions d’euros pour le financement du projet (dont 18 millions à l’AGO). Elles ont déjà exprimé leur refus de verser un centime supplémentaire pour l’aménagement de l’aéroport de Nantes-Atlantique. Selon elles, ce dernier serait plus coûteux pour le contribuable. De leur côté les opposants au transfert opinent que l’aménagement de l’aéroport actuel (prolongation des pistes, de la ligne de tramway par exemple) n’engendrerait qu’un coût mineur pour l’Etat et les collectivités. Edouard Philippe a annoncé que l’extension de l’aéroport de Nantes se ferait afin qu’à l’horizon 2040 il y ait 10 millions de passagers. Il s’avère que le choix d’un nouvel aéroport aurait coûté environ 450 millions d’euros aux contribuables locaux.
Quid des terres à présents ? La ZAD regroupe autour de 1 600 hectares qui ont toujours eu une vocation agricole. Certains occupants souhaitent que cette zone devienne comme le Larzac. Les écologistes de la FNE veulent préserver cette zone de toute urbanisation ou agriculture intensive. Ce qui est certain c’est que les agriculteurs (les vrais !), frappés d’expropriation, retrouveront leurs terres et pérenniseront ainsi leur labeur.
Pour achever il faut préciser que le retour à l’ordre public aura aussi un coût. La libération des routes (dont certaines sont piégées) mobilisent déjà des centaines de gendarmes et CRS. Quant à l’expulsion des zadistes, elle nécessitera au moins 2 000 gendarmes mobiles sur place avec divers véhicules militaires. En plus de leur solde, il y aura des frais d’hôtellerie substantiels. Mais l’ordre public, bafoué depuis des années en ce lieu, a-t-il un coût ? Afin que « l’Etat ne se laisse(era) plus embarquer dans pareille impasse » (Nicolas Hulot). Mais on sait que de futures ZAD devraient se créer ou fructifier dans d’autres zones de projet (Roisbon, Bur)….
Raphael Piastra
Maître de conférences en droit public à l’Université Clermont Auvergne
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