Nous avons déjà eu l’occasion de décrire dans ces colonnes ce qu’il en était du 49-3 qui permet d’adopter une loi sans vote. Ce qui est pour le moins paradoxal dans un régime tout de même parlementaire ! Mais les textes constitutionnels sont ainsi faits. S’ils ne conviennent pas, ils sont aussi révisables. Mais quel pouvoir exécutif en place se risquera à supprimer cet article 49-3 ? Pas un seul. Avant d’accéder à l’Elysée, F. Hollande avait résumé ce que chaque opposant pense : « Le 49-3 est une brutalité, un déni de démocratie » (2006). Une fois au pouvoir, il est utilisé régulièrement par ceux qui nous gouvernent. Et François Hollande ne fit d’ailleurs pas exception !
A l’heure où la réforme des retraites n’en finit pas de générer la contestation, une idée a germé dans l’esprit de Mme Borne. Son gouvernement ne fait pas seulement face à un débat de fond, des interrogations se manifestent également sur la forme et les conditions de l’examen. Alors que le gouvernement semblait pencher jusqu’ici pour un amendement au budget de la Sécurité sociale pour réformer les retraites, il pense faire autrement. Ainsi afin de faire aboutir sa réforme elle a eu recours à un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLRFSS). C’est la troisième voie, sortie du chapeau de l’Elysée, pour faire la réforme des retraites.
Ni amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), ni texte spécifique, mais un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale.
Que signifie ce dernier ? De la même manière qu’un projet de loi de finances rectificative (ou collectif budgétaire) permet d’ajuster le budget de l’année en cours, le gouvernement peut revoir ou ajouter certaines dispositions liées aux comptes de la Sécurité sociale, via un PLFRSS. Ce dernier est extrêmement rare. De mémoire des spécialistes du Parlement, on n’en compte que deux : en 2011 (N. Sarkozy) et 2014 (F. Hollande).
On peut s’interroger. Concernant les retraites, sur quoi peut porter un PLFRSS ? Il peut aborder tous les sujets, à condition qu’ils soient liés exclusivement aux recettes ou aux dépenses du régime de base de la Sécurité sociale, dont la branche vieillesse fait partie. Concrètement, une mesure sur l’âge légal de départ à la retraite, la durée de cotisation ou les retraites minimales ont parfaitement leur place dans un PLFRSS. C’est imparable. Sur les régimes spéciaux c’est beaucoup moins sûr.
De la même manière que le PLF (budget) ou le PLFSS (budget de la Sécurité sociale), un PLFRSS voit sa durée d’examen limitée dans le temps. Pour un texte de financement de la Sécurité sociale, le Parlement a 50 jours pour se prononcer (70 jours quand il s’agit d’un projet de loi de finances) entre le dépôt du texte sur le bureau de l’Assemblée et l’adoption définitive par le Parlement. Avantage pour le gouvernement : permettre d’éviter d’avoir un examen qui s’enlise et laisser la contestation s’installer. Nous sommes dans ce contexte.
Avec ce PLFRSS, le gouvernement bénéficierait d’un éventuel « 49.3 bis » mais également de délais d’examen bordés (cf. ci-dessus).
Ce sont les dispositions du premier alinéa de l’article 47-1 de la Constitution, c’est-à-dire « un certain nombre de règles qui permettent de lever les obstructions et les blocages », selon la Première ministre.
Que dit cet article ? Le Parlement vote les projets de loi de financement de la sécurité sociale dans les conditions prévues par une loi organique.
Si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Il est ensuite procédé dans les conditions prévues à l’article 45 (1).
Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance.
Les délais prévus au présent article sont suspendus lorsque le Parlement n’est pas en session et, pour chaque assemblée, au cours des semaines où elle a décidé de ne pas tenir séance, conformément au deuxième alinéa de l’article 28 (2).
A coup sûr l’usage de cet article pourrait « peut-être » conduire les oppositions « à ne pas faire d’obstruction », imagine la Première ministre.
La stratégie de l’obstruction parlementaire par le dépôt massif d’amendements (plus de 7 000 aujourd’hui) divise actuellement les groupes de gauche même au sein de la NUPES. Sans parler des quelques hésitations d’élus MoDem, LR voire Renaissance.
A un moment donné l’obstruction systématique voire systémique n’a plus de sens. Mais attention tout de même à la pression de la rue. Car lorsqu’elle gronde, elle reflète aussi ce qui se passe dans la société. Comme le disait le grand Hugo : La rue est le cordon ombilical qui relie l’individu à la société. Même si « la rue ne gouverne pas » (J.-P. Raffarin), elle a fait tomber combien de réformes (et de gouvernements) !… Celle de 1997 sur les retraites par exemple !
Alors avec cette procédure, Mme Borne « espère que le débat sera lisible, projet contre projet ».
Il faut préciser que si la réforme des retraites est adoptée, il y aura une conséquence immédiate : la saisine du Conseil constitutionnel.
Ce dernier pourrait censurer certains articles du PLFRSS, s’il venait à conclure que ces derniers se trouvent en dehors du périmètre d’un texte budgétaire. D’ailleurs devant des journalistes, le président du Conseil, Laurent Fabius, a notamment pris pour exemple l’index des seniors, destiné à mesurer leur emploi au sein des entreprises, ou encore l’inscription de nouveaux critères de pénibilité. Élisabeth Borne assure que le texte sera dans les clous. « On s’efforce de présenter des projets de loi dont toutes les mesures sont constitutionnelles », a assuré Mme Borne. Les experts du Gouvernement (membres du Conseil d’Etat pour la plupart) ont du pain sur la planche.
Emmanuel Macron veut absolument boucler le report de l’âge de départ à la retraite avant le printemps. Car il veut alors ouvrir une autre ère de son dernier mandat. La retraite sera peut-être la seule réforme structurelle de celui-ci. Mais, on est en droit de s’interroger. N’y avait-il pas plus urgent que cette réforme ? Lorsqu’on voit l’état de l’hôpital public, on se dit qu’au minimum, des état généraux de celui-ci eurent été plus opportuns. Et on pourrait parler aussi enfin bien plus au fond dans ce pays de l’immigration voire de l’insécurité.
Raphael Piastra
Maitre de Conférences en droit public des Universités
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1) Article 45 : Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux assemblées du Parlement en vue de l’adoption d’un texte identique. Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis.
Lorsque, par suite d’un désaccord entre les deux assemblées, un projet ou une proposition de loi n’a pu être adopté après deux lectures par chaque assemblée ou, si le Gouvernement a décidé d’engager la procédure accélérée sans que les Conférences des présidents s’y soient conjointement opposées, après une seule lecture par chacune d’entre elles, le Premier ministre ou, pour une proposition de loi, les présidents des deux assemblées agissant conjointement, ont la faculté de provoquer la réunion d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion.
Le texte élaboré par la commission mixte peut être soumis par le Gouvernement pour approbation aux deux assemblées. Aucun amendement n’est recevable sauf accord du Gouvernement.
Si la commission mixte ne parvient pas à l’adoption d’un texte commun ou si ce texte n’est pas adopté dans les conditions prévues à l’alinéa précédent, le Gouvernement peut, après une nouvelle lecture par l’Assemblée nationale et par le Sénat, demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement. En ce cas, l’Assemblée nationale peut reprendre soit le texte élaboré par la commission mixte, soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat.
2) Le Parlement se réunit de plein droit en une session ordinaire qui commence le premier jour ouvrable d’octobre et prend fin le dernier jour ouvrable de juin.
Le nombre de jours de séance que chaque assemblée peut tenir au cours de la session ordinaire ne peut excéder cent vingt. Les semaines de séance sont fixées par chaque assemblée.
Le Premier ministre, après consultation du président de l’assemblée concernée, ou la majorité des membres de chaque assemblée peut décider la tenue de jours supplémentaires de séance. Les jours et les horaires des séances sont déterminés par le règlement de chaque assemblée.