Les Emirats arabes unis et Israël viennent d’annoncer la normalisation de leurs relations diplomatiques qui sera actée début septembre. Accord de paix ou sordide arrangement ? s’interroge Alexis Bachelay.
Symbolique de l’époque, c’est par un tweet que Donald Trump a annoncé jeudi 13 août qu’Israël et les Emirats arabes unis, sous l’égide des Etats-Unis, étaient prêt à signer un « accord de paix historique » : « Enorme percée aujourd’hui ! Accord historique entre deux grands amis, Israël et les Emirats arabes unis ! »
L’état hébreu et les Emirats arabes unis doivent donc acter, début septembre, la normalisation de leurs relations diplomatiques.
Faut-il voir dans cette annonce l’amorce d’une « paix régionale » comme le proclame le trio Donald Trump – Benyamin Netanyahou – Mohammed Ben Zayed, ou bien « un sordide arrangement » pour reprendre les termes de la romancière libanaise Dominique Eddé, comme semble le penser de nombreux observateurs.
Pour commencer, il faut rappeler que jamais les EAU et Israël n’ont été en guerre. Contrairement à l’Egypte en 1979, ou bien à la Jordanie en 1994, le terme traité de paix est diplomatiquement impropre. Les termes de normalisation des relations diplomatiques, voire d’officialisation d’une amitié ancienne, entre les EAU et Israël, seraient plus adaptés à la situation réelle.
L’emphase du Président Trump et sa volonté de se placer en parrain de cet accord s’expliquent par deux raisons principales :
- la première, c’est une campagne électorale difficile pour le président sortant, donné battu dans les sondages, cherchant à remobiliser sa base. Tout ce qui va dans le sens d’une sécurisation de l’allié israélien est considéré par Donald Trump et son équipe comme un signal positif envoyé à ses électeurs. La mise en scène, sur Fox news, d’un président des Etats-Unis lisant annonçant par une déclaration millimétrée sur un accord de paix entre Israël et un pays arabe, constitue une tribune exceptionnelle. Donald Trump a besoin de montrer qu’il a une stature internationale. Par cette annonce, il se hisse à la hauteur de ses prédécesseurs Jimmy Carter (accords de camp David) et Bill Clinton (accords d’Oslo). Peu importe qu’Israël et les EAU ne soient pas en guerre. Peu importe que ces deux pays entretiennent officieusement d’excellentes relations. Ce qui importe pour Trump, c’est de se poser en faiseur de paix, dans une région où les soubresauts ne manquent pas.
- la seconde raison, c’est que l’administration Trump est totalement acquise à la stratégie d’isolement de l’Iran, dont les deux principaux artisans régionaux sont Benyamin Netanyahou et Mohammed Ben Zayed. En terme diplomatique, l’adage selon lequel les ennemis de mes ennemis sont mes amis se vérifie très souvent. Les meilleurs alliés des Etats-Unis dans la région et adversaires déclarés de l’Iran officialisent un rapprochement déjà tacite, dans une logique gagnant-gagnant.
Gagnant Benyamin Netanyahou, Premier ministre israélien en sursis, embourbé dans des affaires judiciaires, qui, sans concession majeure obtient un « traité » de paix avec un pays ami !
Gagnant Mohammed Ben Zayed, l’homme fort de la péninsule arabique embourbé dans le conflit au Yémen, critiqué pour un activisme militaro-diplomatique en Libye, qui voit l’occasion de faire plaisir à l’allié américain tout en confortant son statut de gendarme de la péninsule et de rempart à la menace iranienne !
Gagnant enfin Donald Trump qui, en septembre, pourra annoncer qu’il a obtenu une avancée historique pour la paix entre Israël et ses voisins comme il l’avait promis au début de son mandat ! En vérité, c’est partiellement un leurre que seuls des commentateurs avisés et quelques snipers démocrates pourront lui contester ce succès apparent. Que retiendront réellement les Américains de la situation entre Israël et les EAU, du rôle des Etats-Unis ?
S’il y a des gagnants potentiels, c’est parce qu’il y aura aussi des perdants. Un autre adage se vérifie souvent en diplomatie : les absents ont toujours tort.
Sous l’administration Trump, il y a un protagoniste qui n’est jamais invité à la table des discussions : l’autorité palestinienne.
Les grands perdants de ce ballet diplomatique, ce sont bel et bien les Palestiniens. On a presque envie d’ajouter, comme une fatalité. Car depuis la signature des accords d’Oslo en 1993, qui avait institué une autorité palestinienne comme partenaire incontournable de la paix régionale, les deux décennies suivantes s’apparentent à une lente agonie. Lente agonie du processus de paix après l’assassinat de Yitzhak Rabin, le décès de Yasser Arafat, les divisions palestiniennes et la dérive ultra-nationaliste des gouvernements israéliens.
L’autre grand perdant de cet accord, c’est l’unité des pays arabes face à Israël sur la question de la paix au Proche-Orient. Depuis le sommet de la ligue arabe en 2002, une initiative de paix avait été proposée pour résoudre le conflit israélo-arabe. En échange du retrait total des territoires occupés et d’une solution viable pour les réfugiés palestiniens, la ligue arabe proposer un accord de paix avec Israël et une normalisation des relations dans la cadre d’un accord global. Cette position a été réaffirmée en 2007, avec le soutien de l’autorité palestinienne.
Pour les Palestiniens, comme pour une partie de pays de la ligue arabe, cet accord bilatérale EAU-Israël constitue un manquement aux engagements pris en 2002 puis 2007.
Mais ce que certains analystes considèrent comme sordide, c’est la manière dont les dirigeants américains, israéliens ou arabes semblent galvauder et vider de sa substance la notion de paix.
Dans le monde d’avant, celui de la diplomatie à l’ancienne, un accord de paix était le fruit d’âpres négociations, des mois, parfois des années avant d’arracher un accord entre les adversaires d’hier, appelés demain à substituer le commerce, l’échange, l’amitié, aux bruits de bottes et des canons.
Dans le monde de 2020, un accord de paix peut servir à muscler la campagne électorale de l’un, à officialiser une amitié jusque-là honteuse pour l’autre et à valider le principe du fait accompli par la force au détriment du partenaire le plus faible pour le troisième.
Tout cela annoncé promptement sur un réseau social privé, dans un message d’à peine 280 signes. C’est peut-être cela le plus sordide.
Alexis Bachelay
Entrepreneur, consultant, ancien député des Hauts-de-Seine