Cette semaine, le Gouvernement présente son projet de loi sur le pouvoir d’achat devant le Parlement, afin de compenser, en partie, les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire puis, surtout, de la guerre en Ukraine. Si les mesures font, en grande partie, consensus à l’Assemblée, deux d’entre elles provoquent de vifs débats.
Tout d’abord, celle de leur pérennisation. En effet, la plupart des mesures annoncées sont de nature exceptionnelle et le Gouvernement souligne bien leur caractère temporaire : poursuite de la prime Macron ; plafonnement des prix du carburant ; baisse des cotisations pour les indépendants ; etc.
Ensuite, les mesures proposées interrogent quant à leur financement : le Gouvernement a indiqué s’opposer à toute hausse d’impôt, ainsi qu’à tout emprunt supplémentaire pour ne pas creuser les déficits publics. Dès lors, même s’ils leur durée de vie est courte, comment financer ces dispositifs ?
La renationalisation d’EDF est présentée comme une première réponse (même si les bénéfices ne seront pas immédiats). Pour le reste, mystère… Mais les oppositions ont mis en avant une idée « serpent de mer » qui embarrasse le Gouvernement : celle de taxer les « super » profits des entreprises qui ont vu leurs marges s’accroitre depuis le début de la guerre en Ukraine, notamment dans les secteurs de l’énergie, de l’industrie pharmaceutique, des hydrocarbures, du transport maritime et des banques.
Cette idée n’est pas nouvelle. Rappelons-nous que durant la crise sanitaire, elle avait déjà été évoquée, mais elle était dirigée en priorité vers le secteur des industries pharmaceutiques, premières à avoir bénéficier des effets de la crise sanitaire (course aux vaccins et aux traitements). Elle a aussi été mise sur la table dans le cadre de la réglementation des GAFAM et des grandes entreprises internationales accusées de ne pas payer suffisamment de taxes en France. On se souvient ainsi de l’affaire Mc Donald : le jeudi 16 juin 2022, le tribunal administratif à condamner le groupe à verser une amende record de 1,25 milliard d’euros au fisc français afin d’éviter des poursuites pour fraude fiscale.
Taxer les grandes entreprises n’est donc pas une nouveauté, même si c’est un travail très complexe et long, surtout quand il s’agit de multinationales.
Dans un registre similaire, François Hollande avait mis en place une « super fiscalité » appliquée à la rémunération des dirigeants des grandes entreprises françaises : 75 % de prélèvement au-dessus d’un million d’euros. Au vu des conséquences de telle mesure, elle fut supprimée deux ans après.
Mais l’idée de taxer les « super » profits (pour ne pas dire les « profiteurs de guerre »…), est différente et commence à s’imposer dans certains pays d’Europe : Espagne, Italie, Royaume-Uni, Roumanie, Hongrie…
En France, les députés LFI la réclament également, arguant du fait qu’elle pourrait contribuer à financer une partie de la loi pouvoir d’achat. C’est d’ailleurs l’argument qui a poussé les Italiens à y avoir recours : ils évaluent ainsi que la taxe pourrait rapporter environ 10 milliards d’euros, soit un tiers du coût des mesures sur le pouvoir d’achat mises en place par le gouvernement de Mario Draghi.
Mais est-ce vraiment une bonne idée ? Sur le papier, tout concourt pour que nous répondions en chœur « oui ! ». Mais en pratique, l’enjeu est bien plus compliqué qu’il n’y paraît.
Tout d’abord, taxer les « super » profits envoie un message risqué aux entreprises et aux investisseurs : celui de l’incertitude économique du pays. En France, nous sommes des champions !
Ensuite, il y a la complexité du dispositif. Une belle usine à gaz en perspective dont il serait utile d’en mesurer les impacts avant de la mettre en route. En effet, la question n’est pas qu’une entreprise réalise trop de bénéfices. La question est : qu’en fait-elle ? Investissements et R&D, rémunérations des collaborateurs, acquisitions, versement de dividendes ? Et si dividendes il y a, qui sont les bénéficiaires ? Les petits épargnants ou des investisseurs français ? Des grandes familles ? Des Fonds de pensions américains ? Aucune situation d’entreprise n’est comparable. Accessoirement, il ne faut pas perdre de vue la nécessité de rester compétitif pour un pays. N’oublions jamais que la France culmine sur le podium des plus forts taux de prélèvements obligatoires (> à 44 % en 2021).
Enfin, il y a la légalité d’une telle fiscalité au regard de l’égalité devant l’impôt.
Pour autant, ne rien faire ne constitue pas une option. Dans ce cas, le Gouvernement serait bien inspiré de garder ce « super impôt » comme une arme de dernier ressort, et de privilégier l’encouragement volontaire à un meilleur partage de la valeur ajoutée.
En pratique, Bercy pourrait publier la liste des 1 000 entreprises qui ont vu, en France, leur profits augmenter de façon significative entre 2020 et 2022. Nous saurions ainsi qui sont les potentiels « bénéficiaires » des dernières crises, de leurs effets d’aubaine ou des spéculations qu’elles ont engendré.
Ensuite, il sera intéressant de voir celles qui décident de contribuer de façon volontaire à « l’effort de guerre » et de le faire savoir. Pour les autres, nous observerons avec le plus grand intérêt de quelles manières elles se justifient, ou non. Là encore, Bercy pourra le faire savoir. Ensuite, chacun, client et consommateur en tête, pourra en tirer les conséquences.
À une époque qui montre sans cesse les limites de l’efficacité de la loi, il serait judicieux de profiter de la situation pour expérimenter une nouvelle façon de favoriser la contribution des entreprises au budget de la Nation.
Alexandre Malafaye
Président fondateur de Synopia