« Tyrans descendez au cercueil » : la phrase du Chant du départ est malheureusement d’actualité plus que jamais. Tyrannie et non dictature. Mais qu’est-ce qu’une tyrannie ? Une menace pour aujourd’hui.
Le Conseil d’Etat s’est alarmé dès septembre 2021 : « L’activité de police administrative a ceci de particulier qu’elle vise à prévenir des comportements que la société juge dangereux (…) Si les objectifs qui lui sont assignés sont trop exigeants ou utopistes, elle peut conduire à entraver toute liberté individuelle. Elle porte en elle les germes de la tyrannie comme l’a parfaitement démontré Georges Orwell dans son livre 1984 ».
Une nef grecque se dirige vers la côte orientale de la Sicile. A son bord, de jeunes citoyens grecs expatriés à la recherche de nouveaux territoires. Ils ont besoin d’un port pour abriter leur navire, de terres à blé et de femmes. Ce sont de jeunes hommes et leur manière de conquérir le monde est l’usage de la force, la menace de la force, l’opposition d’une force supérieure ou supérieurement organisée. La stratégie féminine (recueillir-protéger-augmenter) est aussi absente de leur esprit, que les femmes elles-mêmes, de leur navire. Ces hommes sont incapables de diriger par la persuasion, la douceur et la patience qui sont le propre de l’autorité féminine. Faut-il s’étonner que ces néocités grecques aient été menées par des tyrans ? « Le tyran arrivé au pouvoir dans le sang, gouverne selon son bon plaisir sans autre légitimité que la force », explique le Pr Jean Tulard.
Denys de Syracuse est l’archétype indépassable du Tyran. Sa soif de pouvoir l’a conduit à mener une vie de bête traquée d’où le récit de l’épée de Damoclès. « Rends-toi compte Damoclès, vivrais-tu heureux avec une épée suspendue au-dessus de ta tête et maintenue par un fil près de se rompre ? ». Denys se faisait raser par ses filles avec des coquilles de noix pour éviter le risque d’un égorgement et ne rejoignait jamais ses femmes sans faire fouiller préalablement leur appartement de fond en comble.
Denys a résumé tous les travers des tyrans : guerres civiles, liquidation de classes sociales entières, déportation de population, pillage, esclavage, fascination pour les nouvelles technologies, embrigadement des intellectuels, destruction des familles… Après avoir disséqué son anatomie politique, il faut le comparer à ses descendants et continuateurs, à Savonarole et à Calvin qui voulaient rendre le bien obligatoire, à Robespierre l’inlassable épurateur épuré, à Staline l’inventeur du goulag et à Mao Tsé-toung dont la bombe atomique fit des millions de victimes mortes de faim avant d’avoir explosé.
Que résulte-t-il de cette comparaison ? Certains points sont communs à tous les tyrans et permettent de tracer un nouveau cercle de l’enfer dans l’œuvre de Dante. En voici un parmi dix : la mise en place d’un passeport intérieur.
Déjà, lors de la journée révolutionnaire du 31 mai 1793, à Paris, « on ne pouvait sortir de son logis, traverser une rue, entrer dans la maison la plus voisine de la sienne, sans être muni d’un passeport (…) Des particuliers, pour n’être point retardés dans leur marche, collaient ce passeport à leur chapeau ».
En Union soviétique, sous Staline, nul ne pouvait se déplacer, prendre un train, descendre dans un hôtel, s’absenter de chez lui plus de vingt-quatre-heures, sans que des visas fussent apposés sur son passeport. Ce passeport était délivré par le bureau spécial du GPU (renseignements militaires) qui fonctionnait dans chaque entreprise et chaque kolkhoze. Les personnes démunies étaient passibles d’amendes et, en cas de récidive, de la peine de mort. Le passeport contenait non seulement le signalement d’identité ordinaire mais encore une biographie sociale, politique et intime : les ascendants jusqu’au deuxième degré, avec leur appartenance de classe et leur activité sociale, les membres actuels de la famille, les divorces éventuels, les renvois du travail et leur motif, les organisations dont le porteur faisait partie, les souscriptions aux « emprunts volontaires ».
En juillet 1951, Mao attribua à chaque Chinois un emploi et un lieu de travail dont il lui était interdit de s’éloigner. En 1958, il fut interdit à quiconque de se déplacer sans autorisation, « de vagabonder sans aucun contrôle ».
Le tyran est opposé aux frontières extérieures, mais comme la frontière est inéluctable, elle se reconstitue à l’intérieur. Il en joue en maître pour jouer des oppositions de clans et de classes, pour diviser toujours et à son profit. Jamais il ne réunit ni ne fédère, jamais il n’inspire un idéal commun et un noble enthousiasme. Jamais il ne suscite l’amour et la vénération d’un peuple. Il n’obtient rien que par la force (Potestas disaient les Romains) et jamais par l’Auctoritas (Autorité).
Or le passe vaccinal avec ses chantages insidieux, sa désignation du bouc émissaire mis à la portée des caniches, sa libération de la rancune des aigris, sa mise en scène de la peur, est la preuve indéniable de la dérive tyrannique de notre société. Appréciés des médiocres qui prennent leur revanche sur les meilleurs des intellectuels, fascinés par le despotisme éclairé, la tyrannie ne demande qu’à revenir.
Qui nous délivrera de cette éternelle illusion de la pensée tyrannique que le monde se trouverait meilleur si les imbéciles étaient privés de leur liberté ? Une illusion qui fascine les oligarques et qui nous mettrait sous la coupe du Léviathan, personnification d’un Etat tyrannique, ce dieu mortel qui voit toute chose au-dessous de lui.
Aujourd’hui la Tyrannie, Philippe Bornet, Presses de la Délivrance. 15 euros.