On aurait pu titrer aux frais de la Princesse. L’expression signifie que l’on bénéficie de quelque chose gratuitement, payé par une personne riche, une entreprise ou une administration. On l’emploie depuis 1828 sous le règne de Charles X. Depuis quelques décennies il s’avère que les dérives, les gaspillages d’argent public se font principalement sur le dos du contribuable orchestrés par la puissance publique.
En 2018, à l’initiative de l’ancien député René Dosière spécialiste des finances publiques, fut créé l’Observatoire de l’éthique publique. C’est un laboratoire qui fédère des chercheurs et des acteurs publics souhaitant faire progresser la transparence et la déontologie de la vie publique, ainsi que l’éthique des affaires (https://www.observatoireethiquepublique.com).
Dans une note parue très récemment, René Dosière souligne que le budget de la présidence de la République “a dérapé” en 2023.
Pour l’année en cours, ce budget “voté à hauteur de 114,4 millions d’euros” pourrait en effet atteindre “entre 123 et 127 millions”. C’est un chiffre totalement inédit sous la Ve. Et l’inflation est loin de tout expliquer. Relevant une augmentation “entre 12 et 15 %” par rapport à l’année précédente, l’ancien vice-président de l’AN pointe du doigt “les dépenses de déplacements qui explosent”, à 23 millions au lieu des 16 prévus, selon des estimations officielles fournies dans le cadre du projet de loi de finances 2024.
“Si le président doit disposer des moyens nécessaires à son activité, dont on admet volontiers qu’elle varie en fonction de l’actualité, il est important qu’il le fasse au meilleur coût”, est-il encore écrit dans cette note, relevant que les coûts unitaires des déplacements pouvaient en général fortement varier en fonction des moyens de transport utilisés et de la taille des délégations. On a beaucoup reproché à F. Mitterrand de souvent se déplacer jusqu’à le surnommer « la Madone des aéroports ». Etant donné qu’il a présidé 14 ans, c’est un peu normal qu’il ait voyagé. Il s’avère qu’E. Macron en aura fait plus que lui à la fin de son second mandat (10 ans). La diva des aéronefs ?! A titre de comparaison, F. Hollande a été beaucoup moins voyageur que son successeur sur un mandat.
La note Dosière souligne toutefois que le budget élyséen “demeure modeste” ramené à l’ensemble des dépenses publiques, mais “les dérapages de l’année 2023 sont toutefois étonnants, du jamais vu depuis qu’existe un budget présidentiel”. Alors même que “la réorganisation des services mise en place par Emmanuel Macron avait pour finalité un fonctionnement plus efficace et économe”. Et René Dosière de déplorer des explications “encore partielles et parfois emberlificotées” de l’Elysée.
Et de rajouter à ce titre qu’il “faudra attendre” le prochain rapport de la Cour des comptes “pour avoir quelques explications”. Mais une fois n’est pas coutume, la Cour critiquera des dépenses étatiques exagérées, inexplicables, voire injustifiées. Elle “épinglera”, formulera même des recommandations. Mais aucun pouvoir de sanction précisons-le. Elle juge simplement les comptables publics et encore de façon rarissime. La majorité des recommandations ne sera pas suivie d’effet. Même si la Cour est censée contrôler si ce qu’elle formule est respecté. Une sorte de “cause toujours tu m’intéresses” règne. Ce qui gêne le plus les administrations contrôlées c’est l’image qui est donnée de leur mauvaise gestion lors de la publication du rapport et de la publicité qui en est faite.
Cela fait des décennies que la Cour des comptes pointe du doigt la mauvaise gestion des fonds publics, la dette…
Ainsi le rapport public annuel 2023 pointait “une situation des finances publiques en 2023 parmi les plus dégradées de la zone euro” et mettait en avant la nécessité de lancer rapidement des revues de dépenses publiques efficaces pour enfin trouver des sources d’économies. “Nous sommes préoccupés par le redressement des finances publiques. Ça passera forcément par des revues des dépenses publiques, et je ferai des propositions pour que la Cour y contribue”, explique Pierre Moscovici, le premier président de l’institution de la rue Cambon (www.lesechos.fr). Précisons que le gouvernement comme le législateur ne sont pas obligés de suivre ce que préconise la Cour. Le regretté Philippe Séguin, qui présida la Cour (2004-2020) et réforma beaucoup celle-ci, se lamenta souvent de l’état de nos comptes publics : “Ce n’est pas parce que les caisses sont vides qu’elles sont inépuisables”.
Le gouvernement est resté dans le flou jusqu’à présent. Et le budget 2024 en préparation ne semble guère l’être moins.
Ce qui apparait déjà c’est 40 milliards de dépenses publiques en plus… Autre point noir, il n’existe encore aucune évaluation des recettes publiques ou de l’Etat pour 2024 à ce stade, ce qui ne préjuge pas du solde budgétaire ni du solde public à venir et de sa bonne tenue par rapport au PSTAB 2023-2027 notifié à la Commission européenne en mai (www.ifrap.org).
Pour achever sa note R. Dosière évoque “les éléments inflationnistes conjoncturels” qui ont eu de l’impact sur les dépenses de l’Elysée, dont “la hausse de dépenses inéluctables comme les prix de l’énergie”, “les effets en année pleine des mesures salariales 2022” ou encore “la très forte activité présidentielle”. La présidence a aussi fait face à “un nombre croissant de demandes de révision de prix dans le cadre de ses marchés publics”, est-il précisé. Parmi tous les arguments ci-dessus énoncés, “la très forte activité présidentielle” nous interpelle. Il est clair que l’hôte de l’Elysée est soumis à une activité intense, à nul autre pareil dans notre République, car elle s’exerce tant au niveau interne qu’externe. E. Macron restera celui qui a le plus arpenté le pays (le découvrant parfois) notamment lors de l’après crise des Gilets jaunes lorsqu’il a été expliqué sa politique (une quinzaine de déplacements pour un total de 900 000 euros). Durant ce premier mandat il a aussi beaucoup voyagé hors de nos frontières. Selon un décompte établi par BFM, il a passé 78 jours à l’étranger et parcouru 201 000 kilomètres, soit 5 fois la circonférence de la planète. En tout, il a visité 31 pays différents, le tout en treize mois de pouvoir (www.bfmtv.com, 4 juin 2018). Jusqu’à ce que la Covid vienne mettre un frein à ces déplacements.
Le second mandat s’annonce aussi sous des auspices voyageurs. Même la crise des retraites n’a pas réfreiné son penchant. On a remarqué en effet que l’actuel président était surtout parti à l’occasion de journées de mobilisation contre la réforme des retraites (Chine, Pays-Bas). Désertion ? Indifférence ? Nul ne sait vraiment. Dans le cadre de ses fonctions, le président de la République s’est déplacé à 106 reprises en 2021, dont 54 fois en avion, a révélé le 13 juillet 2022 la Cour des comptes (www.ouest-france.fr/, 27 juillet 2022). Et il est celui qui fait les séjours les plus longs (4 jours de suite en Afrique subsaharienne au début de l’été). A y regarder de plus près, il s’avère que tous les présidents réélus ont beaucoup bougé durant le second mandat, laissant au gouvernement le soin de gérer “l’intendance”.
A l’étranger les voyages se font, bien entendu, en avion. Au-delà de l’aspect réchauffement climatique, il y a le coût. Le recours à l’Airbus A330 présidentiel n’est pas anodin. “Son coût d’utilisation dépasse les 20 000 € par heure de vol, il s’agit de l’avion le plus cher de la flotte gouvernementale”, indiquait le magazine spécialiste des questions économiques Capital, le 18 juillet 2022. La répercussion sur le budget aérien est donc importante et il s’avère que le coût des trajets d’Emmanuel Macron à bord des avions de la flotte gouvernementale a été multiplié par deux entre 2020 et 2021, avec une somme de 4,4 millions d’euros en 2021. Néanmoins, l’avion ne reflète que 48 % du total des dépenses de transport du chef de l’État, qui s’élèvent à 10,5 millions d’euros. Si l’avion ne représente pas une plus grande part du budget transport d’Emmanuel Macron, c’est parce que ses allées et venues par la route sont assez onéreuses. Elles “nécessitent la mise en place d’un convoi pour sécuriser le véhicule du chef de l’État”, détaille encore Capital. Et un convoi présidentiel peut représenter jusqu’à 150 000 euros de dépenses (matériel et agents ; source policière).
Toujours quant aux frais de l’Elysée, selon le rapport annuel de la Cour des comptes sur les dépenses 2022 de la présidence de la République, le budget de l’épouse d’Emmanuel Macron a été estimé à 315 808 euros. Pour comparaison c’est plus que Valérie Trierweiler, la compagne de François Hollande, mais beaucoup moins que Carla Bruni-Sarkozy, l’épouse de Nicolas Sarkozy (record à près de 400 000 euros).
Selon un décompte publié par le gouvernement allemand, les trois jours de visite officielle du roi du Royaume-Uni, fin mars, ont coûté autour de 440 000 euros au contribuable allemand. En France, aucun chiffre n’a encore filtré. Alors que des rumeurs circulent sur le coût supposé du luxueux repas organisé lors de la visite du roi d’Angleterre Charles III, l’Elysée refuse de donner un chiffre. Le média Chek News a avancé une somme dépassant les 6 millions d’euros. Interrogée l’Elysée a indiqué que le chiffre de 6 millions qui circule est aberrant” et que le vrai coût est “bien au-dessous de ce qui est propagé”. Mais relancé à plusieurs reprises sur la somme totale financée par des fonds publics, l’Elysée refuse toutefois de répondre : “Ce n’est pas d’usage de donner un chiffre. Mais il finira par être connu car toutes les dépenses sont enregistrées par la Cour des comptes” puisque “sa gestion comptable et budgétaire […] est contrôlée chaque année par la Cour des comptes, comme pour tout établissement public”. Le palais présidentiel de préciser : “Le château de Versailles, en sa qualité d’établissement public, ne suppose pas de coût locatif supplémentaire”.
A titre de comparaison, la Cour des Comptes avait épinglé un autre diner célèbre. Celui organisé le 13 juillet 2008, lors de la précédente présidence française de l’Union européenne, pour 43 chefs d’Etat étrangers au Petit Palais à Paris, sous Nicolas Sarkozy. L’autorité administrative avait estimé le coût total du dîner à pas moins de 1 072 437 € pour 200 personnes (soit plus de 5 000 € par convive). Il se trouve que René Dosière, à l’époque député PS et déjà traqueur de la mauvaise gestion publique, relevait que la Cour des comptes avait oublié une partie des frais, et notamment la location du lieu, auprès de la ville de Paris. Que c’est ballot pour une juridiction spécialisée dans les comptes publics !… Le député avait calculé que “si on rajoute le coût de location du Petit Palais, on arrive à un coût par invité entre 7 000 et 7 500 euros” pour un coût total plus proche de 1,4 million (www.liberation.fr, 26 septembre 2023).
Comme le révèle Politico, l’Elysée a réclamé une hausse de son budget 2024 de 12 millions d’euros. Ce n’est pas rien.
On peut tout de même s’étonner de cet emballement des dépenses noté par R. Dosière. Alors qu’E. Macron avait mis en place en 2020 une “réorganisation des services pour parvenir à un fonctionnement plus efficace et économe”. Rappelons que les services de l’Elysée rassemblent plus de 800 agents (2 000 euros de salaire moyen).
Pour conclure rappelons d’abord que le secrétaire général de l’Elysée (A. Kohler), personnalité la plus haut placée de l’organigramme hiérarchique du palais, perçoit environ 15 000 euros nets mensuels. Avec un salaire de 14 000 euros nets, Emmanuel Macron gagne donc moins bien sa vie que son principal collaborateur ! Mais il a tant d’autres avantages !!
Mais, même si la note de R. Dosière fait mal à lire, il convient de ne pas trop s’en faire. En effet tous ces dérapages des finances publiques sont “compensés” par un acteur majeur de l’économie française. Celui qui est toujours là, le bon citoyen sur lequel l’Etat compte : le contribuable !
Rappelons ensuite l’article 13 de la Déclaration de 1789 : “Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés”. C’est l’origine directe de l’impôt sur le revenu.
La France est un des pays de l’UE où l’IR comme on dit est le moins bien réparti.
Près de quarante millions de foyers fiscaux sont appelés à déclarer leurs revenus. En 2021, “seuls” 18 millions d’entre eux ont eu un impôt sur le revenu à payer. Moins d’un ménage sur deux. Comment expliquer cela ? En raison de la “progressivité” de l’impôt. Cela signifie que le taux moyen d’imposition croît avec le revenu, détaille François Ecalle, spécialiste des finances publiques. Mais cette progressivité est limitée, pour les plus hauts revenus, par les “niches fiscales” (35 milliards en 2021). Des mesures législatives aussi dérogatoires qu’injustes conduisent à une baisse de l’impôt (voire à une exemption…), par exemple au titre de l’investissement locatif, de l’emploi à domicile etc. L’IR est devenu injuste mais surtout illisible. Lorsque l’on feuillette la brochure fiscale 2023, on se rend compte avec effarement qu’elle compte 433 pages (et 409 niches) ! D’autres impôts, comme la CSG, ne sont pas “progressifs” mais “proportionnels”. Le taux de CSG est le même, quel que soit le salaire. En 2022, l’Etat a perçu 109,8 milliards d’euros de recettes brutes au titre de l’impôt sur le revenu, avant remboursements et dégrèvements. C’est 10 milliards d’euros de plus qu’un an auparavant. Il reste que nous nous sommes beaucoup éloignés du modèle posé par l’article 13. Le prélèvement à la source a permis toutefois d’élargir un peu le champ des contribuables. Mais, comme on est en France, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ! Cette réforme a été mise en œuvre en 2019. Elle révèle plus d’inconvénients que d’avantages. Comme nous l’a confessé un ancien inspecteur des impôts “c’est une usine à gaz cette réforme pourtant attendue dans son principe. Normal, elle a été conçue par quelques énarques donc en totale déconnexion avec les réalités !”.
On note tout de même dans notre pays qu’en matière d’imposition directe c’est le “Français moyen” qui paye le plus. Ce Français pas tout à fait pauvre mais pas tout à fait riche.
Ce Français qui touche environ 2 000 euros nets par mois. Français moyen c’est un terme, un peu fourre-tout qui couvre plusieurs réalités. “Ce n’est pas une appellation d’origine contrôlée”, avertit ainsi le sociologue Louis Chauvel. Ces classes moyennes, comme on dit aussi, sont en tout état de cause les plus courtisées par les politiques. Les plus imposées aussi. Les plus faciles à imposer dirons-nous. Et ce depuis des siècles !
Mazarin à Colbert : il y a quantité de gens qui sont entre les deux, ni pauvres, ni riches… Des Français qui travaillent, rêvant d’être riches et redoutant d’être pauvres ! C’est ceux-là que nous devons taxer, encore plus, toujours plus ! Ceux-là ! Plus tu leur prends, plus ils travaillent pour compenser… c’est un réservoir inépuisable (« Mémoires et lettres de S. E. [le cardinal Mazarin] et de Mr Colbert, adressant à Mgr Le Tellier, durant le voyage de Bordeaux, en l’année 1650 » ; https://gallica.bnf.fr/).
Raphael Piastra
Maitre de Conférences en droit public des Universités
Photo : Karolis Kavolelis/Shutterstock.com