Le bicentenaire de la mort de Napoléon constitue un événement mémoriel qui interpelle le politique. La mémoire de l’Empereur est aujourd’hui, comme elle le fut par le passé, l’objet de débats. Que reste t-il de son legs ? Quels en sont les enseignements ? Qu’est-ce que cette histoire nous révèle de nos fractures présentes et passées ? Comment les politiques s’approprient ou non cette dernière ? Il nous a semblé utile de les interroger. D’aucuns n’ont pas souhaité répondre, d’autres se sont prêtés à l’exercice. Ce sont leurs contributions que nous livrons à nos lectrices et à nos lecteurs. Un numéro à venir comportant les analyses de quelques uns des meilleurs spécialistes du sujet sera par ailleurs publié prochainement.
Revue Politique et Parlementaire – Lorsque vous pensez à Napoléon, quels aspects positifs et négatifs vous viennent à l’esprit ?
Bruno Retailleau – Napoléon est l’une des grandes figures tutélaires de la France. Il est l’un des personnages qui ont le plus marqué de leur empreinte à la fois l’histoire de France et celle du continent européen tout entier. Et comme tous ces grands personnages, il est d’une grande complexité. Il est à la fois le grand modernisateur de l’Etat et celui qui aura exercé un pouvoir personnel, sans véritables assemblées ; celui qui aura conservé les acquis de la Révolution et celui qui, pour maintenir les possessions françaises d’Outre-mer, sera revenu sur le décret abolissant l’esclavage, avant de l’interdire à nouveau lors de son retour d’Elbe ; celui qui aura porté la France à la dimension d’un empire pour finalement la laisser plus petite qu’il ne l’avait trouvée.
RPP – Comment définiriez-vous le bilan de l’action de Napoléon pour les peuples européens ?
Bruno Retailleau – Certains font parfois des guerres napoléoniennes l’unique legs de Napoléon à l’Europe. Mais c’est oublier que ces guerres sont en grande partie le prolongement des conflits engendrés par la Révolution, et que Napoléon n’a eu de cesse de vouloir faire la paix, que ce soit avec le Royaume-Uni avec le traité d’Amiens, l’Autriche-Hongrie à travers son second mariage, ou encore avec la Russie à travers la grande alliance avec Alexandre. C’est ensuite nier le fait que Napoléon a incontestablement et largement diffusé les idées de la Révolution. L’épopée napoléonienne a planté les germes de l’égalité devant la Loi mais également, on l’oublie trop souvent de la souveraineté des nations. C’est d’ailleurs, d’une certaine manière, ce qui causa sa perte ! N’oublions jamais que la bataille de Leipzig de 1813 est appelée la « bataille des nations » avec la défection de milliers de soldats bavarois et saxons qui rejoignent en plein cœur de la bataille l’armée prussienne. Ce ne sont plus des empires ou des dynasties qui s’affrontent mais des peuples.
RPP – Quels furent, selon vous, ses principales qualités et/ou défauts personnels ?
Bruno Retailleau – Ainsi que l’a relevé Hegel, qui l’admirait, Napoléon est avant tout un homme d’action. Il en avait les qualités et les défauts. Comme Alexandre et César, Napoléon n’était ni ce qu’il pensait, ni ce qu’il disait, mais ce qu’il faisait. Et Napoléon a beaucoup fait, en bien et parfois en moins bien. En cela, il est l’enfant de la Révolution, celui qui par la seule force de sa volonté, de ses talents, change son destin et celui de sa nation. Et comme la Révolution, il fut parfois un enfant terrible.
RPP – Quelles ont été les mesures prises par Napoléon pour l’Etat, la société française et les arts les plus notables pour vous ?
Bruno Retailleau – Il y en a tant ! Réalisons qu’en moins de quinze ans, Napoléon aura institué le corps préfectoral, réformé les universités et les lycées, forgé le Code civil et le Code pénal, mis en place le Conseil d’Etat, le Conseil des prud’hommes, la Cour des comptes et la Banque de France, créé le franc germinal, etc. Mais s’il faut choisir, et au risque de surprendre, j’évoquerais la Légion d’Honneur. Plus qu’une décoration, sa création fut le produit d’une conviction, héritée de 1789 : l’honneur doit aller au mérite et non plus au titre. Murat, Lannes et Ney, étaient fils d’aubergiste, de marchand agricole et d’artisan tonnelier.
Ceux qui jugent sévèrement l’Empire oublient que notre méritocratie républicaine – si maltraitée du reste par les promoteurs de la discrimination positive – est aussi le fruit de cette méritocratie napoléonienne.
RPP – Estimez-vous que Napoléon a été le continuateur ou le liquidateur des idéaux et acquis de la Révolution française ?
Bruno Retailleau – Je crois qu’avant tout, Napoléon a voulu être le réconciliateur des Français. Celui qui, enfin, refermerait les plaies de la Révolution. Et le Vendéen que je suis est sensible a cette dimension réconciliatrice : la Vendée a souffert dans sa chair de la morsure totalitaire de la Terreur, de cette folie révolutionnaire de faire table rase du passé, de créer un homme nouveau, dans le sang des massacres de masse, et sur les ruines de la liberté de conscience. Napoléon a voulu stopper cette mécanique infernale. Sans doute le général Vendémiaire le voulait-il davantage par esprit de raison que par esprit de compassion ! Il n’empêche : ce « génie électrique et réaliste », comme l’a qualifié François Furet, a vu juste en comprenant très vite qu’il fallait terminer la Révolution, faire une nouvelle synthèse française. Par le concordat. Mais aussi par le sacre. Car 1804 tente de sacraliser cette synthèse entre les deux France, deux légitimités : l’hérédité du Prince et la souveraineté du Peuple. Ce sont les mots si justes de Chateaubriand : « monté au trône, il y fit asseoir le peuple avec lui ».
RPP – Quels personnages historiques ou personnalités politiques actuelles sont pour vous dans sa filiation, celle du bonapartisme ?
Bruno Retailleau – Napoléon était unique parce que les conditions de son accession au pouvoir étaient uniques. Il est devenu fréquent, sinon systématique, de mettre en parallèle Napoléon et de Gaulle. Ce rapprochement a naturellement sa légitimité : pour le premier comme pour le second, la France devait être gouvernée et son Etat incarner la vitalité de sa nation tout comme la continuité de son histoire. Mais ils furent aussi très différents, par leurs tempéraments, leurs choix aussi. En définitive, je crois comme Patrice Gueniffey que Napoléon et de Gaulle sont d’abord comparables par « le regard que nous portons sur eux ». Un regard d’admiration, de fierté, pour ces deux héros français.
RPP – Vous-même, vous retrouvez-vous ou non dans la tradition politique bonapartiste ? Si oui en quoi ?
Bruno Retailleau – Je me retrouve dans cette exigence d’ordre qu’on rattache souvent à la tradition bonapartiste. Pour moi, la politique est d’abord un principe d’ordre. Et singulièrement la politique en démocratie puisqu’elle vise d’abord à ordonner les désaccords. J’ai la conviction que l’ordre est le véritable tuteur de la politique car s’abandonner au mouvement sans s’arrimer à ces repères sûrs et solides que sont la loi, la culture ou la souveraineté, c’est exposer son destin à tous les vents. L’ordre ne fait pas tout mais sans ordre, une nation ne peut rien.
RPP – Estimez-vous que la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon soit plutôt une bonne ou une mauvaise chose ? Pourquoi ?
Bruno Retailleau – C’est une bonne chose. Cette commémoration, nous la devons à Napoléon lui-même, à son œuvre, à son génie, dont témoignent notre droit, notre système éducatif, nos armées ou même notre art. Mais nous devons aussi cette commémoration aux Français, fatigués, blessés, par cette entreprise de culpabilisation que constitue la repentance. Napoléon n’est pas exempt de tout reproche, loin de là ! Mais aucun personnage historique, de France ou d’ailleurs, ne l’est. Albert Camus écrivait qu’il est bon « qu’une nation soit assez forte de tradition et d’honneur pour trouver le courage de dénoncer ses propres erreurs » mais, ajoutait-il immédiatement « elle ne doit pas oublier les raisons qu’elle peut avoir encore de s’estimer elle-même. »
J’ai le sentiment qu’aujourd’hui, la dénonciation a pris le pas sur l’estime.
Attention : la repentance creuse le vide de France ; ce vide dans lequel se déverse des idéologies anti-républicaines comme le « décolonialisme » et naturellement l’islamisme.
RPP – Concernant cette commémoration, pensez-vous que les autorités françaises en font trop, pas assez ou comme il faut ?
Bruno Retailleau – Je me félicite qu’après avoir laissé planer le doute, l’Elysée ait finalement indiqué que la mort de Napoléon sera commémorée. Pour le reste, j’attends de voir ! Car j’espère que cette commémoration sera à la hauteur de l’héritage immense laissé par Napoléon à la Nation française.
RPP – Selon vous, l’empreinte de Napoléon sur la France est-elle durable ou éphémère ?
Bruno Retailleau – La France moderne est entièrement marquée du sceau de Napoléon. Que ce soit dans son organisation territoriale et administrative, son droit, sa structure éducative, etc.
L’imaginaire national lui-même porte l’empreinte indélébile de Napoléon.
A travers la figure de l’homme providentiel qui, par la seule force de sa volonté, commande aux événements et transforme la France. A travers, aussi, cette conviction, enfouie dans notre psychologie nationale, que la France n’est vraiment elle-même qu’à l’avant-garde des nations conquérantes et entreprenantes. Raison pour laquelle, d’ailleurs, les échecs et les revers que nous subissons dans la crise sanitaire sont vécus par beaucoup de Français comme une véritable humiliation.
RPP – Si des activistes déboulonnaient des statues de Napoléon, les comprendriez-vous ou les condamneriez-vous ?
Bruno Retailleau – Je ne les condamnerai pas, je les combattrai. En France, on ne déboulonne pas des statues, on ne débaptise pas des noms de rue. Napoléon disait « De Clovis jusqu’au Comité de salut public, je me sens solidaire de tout ». L’histoire de France est un bloc et il ne saurait être question de le morceler, de le réduire ou de l’épurer. Il n’en va pas seulement de notre fierté, mais de notre unité. Alors que notre nation est de plus en plus fissurée, qu’elle est attaquée de plus en plus férocement par des minorités agissantes qui tentent d’importer des concepts étrangers à notre tradition républicaine, il est désormais vital d’assumer cette histoire de France, de partager la civilisation française.
Bruno Retailleau
Sénateur de la Vendée
Propos recueillis par Arnaud Benedetti