Le bicentenaire de la mort de Napoléon constitue un événement mémoriel qui interpelle le politique. La mémoire de l’Empereur est aujourd’hui, comme elle le fut par le passé, l’objet de débats. Que reste t-il de son legs ? Quels en sont les enseignements ? Qu’est-ce que cette histoire nous révèle de nos fractures présentes et passées ? Comment les politiques s’approprient ou non cette dernière ? Il nous a semblé utile de les interroger. D’aucuns n’ont pas souhaité répondre, d’autres se sont prêtés à l’exercice. Ce sont leurs contributions que nous livrons à nos lectrices et à nos lecteurs. Un numéro à venir comportant les analyses de quelques uns des meilleurs spécialistes du sujet sera par ailleurs publié prochainement.
Revue Politique et Parlementaire – Lorsque vous pensez à Napoléon, quels aspects positifs et négatifs vous viennent à l’esprit ?
David Lisnard – Il est d’abord l’un des plus grands hommes de notre histoire, ambitieux pour son pays et qui a inventé et mis en place les fondements de la France moderne avec la création de la Banque de France et d’une nouvelle monnaie, le Code civil, le corps des Préfets, les départements, le Conseil d’État, etc. sans oublier la paix civile et religieuse avec le Concordat. Il est aussi l’exemple absolu de la méritocratie française qui permet à un jeune garçon venu de Corse, une île qui venait à peine de devenir française, de sauver la France lors des guerres révolutionnaires puis de devenir l’homme le plus puissant et bâtisseur de son époque. La méritocratie a besoin de telles figures. Parmi les aspects négatifs, on ne peut passer sous silence qu’il fut un grand militaire qui a défendu la France, mais dont les conquêtes ont été payées au prix du sang. Et bien évidemment, le rétablissement de l’esclavage qui est une question bien plus complexe historiquement qu’une simple lecture moraliste et manichéenne contemporaine pourrait laisser croire.
RPP – Comment définiriez-vous le bilan de l’action de Napoléon pour les peuples européens ?
David Lisnard – Il s’agit d’une question complexe car il peut être synonyme de massacres, notamment en Espagne, et d’une soumission. Mais également de certains apports incontestables, par exemple sur le plan juridique. Son bilan ne peut pas être jugé à l’aune de nos références contemporaines. À l’époque, et par-delà les guerres, il est vu par beaucoup comme un grand homme. Ainsi Hegel : « J’ai vu l’Empereur — cette âme du monde — sortir de la ville pour aller en reconnaissance ; c’est effectivement une sensation merveilleuse de voir un pareil individu qui, concentré ici sur un point, assis sur un cheval, s’étend sur le monde et le domine ».
RPP – Quels furent, selon vous, ses principales qualités et/ou défauts personnels ?
David Lisnard – Incontestablement ses capacités créatrices, son génie militaire. Il était un stratège hors du commun. Napoléon, c’était aussi un style direct et sec au service d’une vision, de la puissance et des actes.
RPP – Quelles ont été les mesures prises par Napoléon pour l’Etat, la société française et les arts les plus notables pour vous ?
David Lisnard – On a déjà évoqué ces points précédemment. Napoléon a fait entrer l’appareil d’État dans une ère moderne. Quant aux arts, je crois que le style Empire est aujourd’hui encore assez admiré. Son goût pour l’art gréco-romain et le néo-classicisme se retrouve d’ailleurs dans nombre de réalisations architecturales de l’époque, à commencer par l’Arc de Triomphe dont les travaux débutèrent en 1806.
RPP – Estimez-vous que Napoléon a été le continuateur ou le liquidateur des idéaux et acquis de la Révolution française ?
David Lisnard – Napoléon met fin à la Révolution, il est celui qui permet son achèvement, de par ses victoires militaires d’abord, puis par la pacification de la nation.
RPP – Quels personnages historiques ou personnalités politiques actuelles sont pour vous dans sa filiation, celle du bonapartisme ?
David Lisnard – On ne peut pas faire l’économie de citer le général de Gaulle comme étant la figure la plus emblématique du siècle dernier à cet égard. Mais je crois qu’il ne faut pas chercher d’héritiers à Napoléon. Il est unique et il est surtout, comme nous le sommes tous à certains égards, un homme de son temps et de son époque.
RPP – Vous-même, vous retrouvez-vous ou non dans la tradition politique bonapartiste ? Si oui en quoi ?
David Lisnard – Je suis d’une pensée politique qui prend ses racines dans le libéralisme, le gaullisme, la démocratie chrétienne, l’orléanisme et bien évidemment le bonapartisme. Donc, oui, je m’y retrouve en ce qui concerne principalement l’autorité de l’État et la grandeur de la France.
RPP – Estimez-vous que la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon soit plutôt une bonne ou une mauvaise chose ? Pourquoi ?
David Lisnard – C’est une excellente chose. On ne peut passer sous silence l’un de nos plus grands personnages historiques et sans doute le Français le plus connu dans le monde, ainsi que tout ce qu’il a accompli et que nous avons en héritage.
RPP – Concernant cette commémoration, pensez-vous que les autorités françaises en font trop, pas assez ou comme il faut ?
David Lisnard – Il me semble, comme trop souvent, que les autorités sont assez ambigües sur le sujet. J’espère que cette commémoration sera à la hauteur de ce que représente Napoléon dans notre histoire.
RPP – Selon vous, l’empreinte de Napoléon sur la France est-elle durable ou éphémère ?
David Lisnard – Cette empreinte est là, bien présente, depuis deux siècles. Elle a traversé les époques et les régimes. On ne peut donc pas dire qu’elle soit éphémère. Il n’y a aucune raison qu’elle disparaisse. Elle s’inscrit dans une continuité historique de constitution de la nation française depuis Clovis.
RPP – Si des activistes déboulonnaient des statues de Napoléon, les comprendriez-vous ou les condamneriez-vous ?
David Lisnard – Je remarque d’abord qu’il y a peu de statues de Napoléon en France. Et pour être clair, à l’instar des statues déboulonnées ou vandalisées de Colbert ou d’autres personnages de notre histoire, je condamnerais sans réserve de tels agissements.
David Lisnard
Maire de Cannes
Propos recueillis par Arnaud Benedetti