Le Président Macron, et avant lui les autres locataires de l’Élysée, le savent bien : la République française, toute laïque qu’elle soit, doit avoir ses moments de sacralité.
Ceux-ci sont d’ailleurs incarnés par de nombreux symboles et rituels : le drapeau bleu blanc rouge, la Marseillaise, le vote et ses étapes solennelles, les vœux du Président de la République le jour du nouvel an, les passations de pouvoir, les commémorations… le politique s’empare, récupère, crée, invente sans cesse des instants chargés en sacré. Cette mise en sacralité de la République revêt bien entendu quelques fonctions essentielles : perpétuer l’image du pays, faire le lien entre passé et avenir, sceller l’unité sociale, s’inscrire dans l’Histoire, faire nation et donner de la légitimité et de l’autorité à ceux et celles qui nous gouvernent.
Cette semaine politique a justement été une séquence hautement chargée en sacralité. La visite de Charles III, roi d’Angleterre, la réception en son honneur à Versailles et évidemment pour clore le tout, la messe du Pape François au stade-cathédrale Vélodrome à Marseille, des rendez-vous que le Président de la République française ne saurait avoir manqués.
Le Président Macron s’est d’ailleurs, on l’a vu, inscrit avec force et détermination dans ce mouvement. Il a su se saisir de ces opportunités de mise en sacralisation de la fonction politique. Le Jupiter qu’il est ne pouvait que se réjouir de ces occasions de restaurer un peu de verticalité divine au pouvoir hexagonal.
Comme une coïncidence, cette semaine a d’ailleurs permis de mettre en scène les deux pans essentiels du monde du sacré : celui de la religion et celui de la monarchie. Une aubaine et un joli doublé !
Au château de Versailles le homard était bleu comme le sang royal et le vin, breuvage des dieux, coulait à flots, au Vélodrome, c’était la piété religieuse qui s’exprimait.
Nous pourrions continuer de commenter cette actualité plus que florissante, mais une question reste à l’esprit : dans quelle mesure ces actions à forte charge symbolique s’incarnent-elles dans un réel plus quotidien, en d’autres termes, comme ces moments redescendent-ils sur terre et apportent-ils du concret ?
Car l’instant magique ne doit pas venir mettre en abime une autre réalité bien plus triviale entre inflation et retraite repoussée, non, il doit savoir récupérer et entrainer avec lui le peuple, tout le peuple.
S’il est bon de remettre du divin dans un système par trop désacralisé, il est toujours risqué de créer une distorsion trop grande entre dorures et fin de mois difficiles, entre château et prix du mètre carré qui explose, entre grand-messe catholico-humanitaire et complexités identitaires actuelles.
C’est là le défi absolu de cette semaine : réunir les deux corps du roi théorisé par l’historien Ernest Kantorowicz. L’un est sacré, l’autre profane. L’un joue du divin, l’autre du réel.
Et le défi est là : Le Président de la République française doit retrouver l’homme Emmanuel Macron et ces deux personnages, ensemble, doivent retrouver, en toute empathie et responsabilité, le peuple français. On peut dire que – French Flair ou pas – ce sera un essai sacrément difficile à transformer.
Dr. Virginie Martin
Kedge Business School
Sorti dans La provence dimanche 24 dans la rubrique idées & opinions.