Nous vivons actuellement une situation inédite. Alain Meininger, membre du Comité éditorial de la Revue Politique et Parlementaire nous fait part des réflexions que lui inspirent ce contexte particulier.
Premier week-end de confinement ; on ne sait s’il faut se réjouir de la météorologie d’un samedi et d’un dimanche maussades qui encourage peu à sortir ou maudire le gris du ciel qui, en ajoutant une couche superfétatoire à la morosité ambiante, aide à rester chez soi. Tenir un journal c’est toujours tenir…. encore faut-il être conscient que les conditions dans lesquelles nous vivons les uns et les autres ce « confinement » sont loin d’être comparables. Même si vous êtes un écrivain en vue, mieux vaut donc éviter de se laisser dépasser par un subconscient qui vous pousse à vous réincarner en Marie-Antoinette jouant à la fermière dans les parages du Petit-Trianon. Les réseaux sociaux sauront vous rappeler que tout le monde n’a pas la chance de posséder une résidence secondaire et plusieurs hectares en Normandie ni même un appartement haussmannien dans l’Ouest parisien.
Il se confirme que la guerre est un art tout d’exécution ; économistes, producteurs agro-alimentaires et directeurs de grandes surfaces se sont relayés dans les media pour assurer qu’aucune pénurie de nourriture n’est à craindre, du moins jusqu’à présent. On ne contestera pas le principe mais les modalités sont parfois moins simples ; en termes concrets mieux vaut arriver peu de temps après la livraison des magasins ou l’approvisionnement des linéaires par des invisibles et des modestes que l’on eût trop tendance à prendre par temps calme – mais l’exemple vient de haut – pour des « sans dents » ou des « gens de rien ». On espère que la situation, en dépit du stress qu’elle leur inflige – eux aussi ont attendu pour disposer de masques – leur laisse le temps de savourer leur revanche et que viendront pour eux des jours meilleurs. Quoi qu’il en soit, la manœuvre se révèle peu commode quand on ne connaît pas les horaires de remplissage des rayons, de toutes façons aléatoires et qu’il nous est par ailleurs enjoint de sortir le moins possible.
De Napoléon à Albert Camus : à mal nommer les choses… mardi dernier nombre de Parisiens et d’habitants des grandes villes ont migré vers leurs résidences de vacances campagnardes ou plus souvent le long d’une côte atlantique dont quelques-unes des îles ou presqu’îles sont, on le sait, fort prisées. Les remarques acides des autochtones – quand la réprobation n’a pas pris la forme d’une hostilité plus rugueuse – craignant l’importation par ce biais d’un virus dont ils s’estimaient jusque-là, à tort ou à raison, préservés ont été largement rapportées par les médias ; une « xénophobie de niche » entre groupes presque homothétiques en quelque sorte qui pourrait justifier une réflexion sur le rejet de l’autre dont on voit qu’il peut parfois s’épanouir là où l’attendrait le moins. Plus scientifiquement, il est certain qu’en situation de pandémie, un surcroît de peuplement dans des régions où l’offre médicale est dimensionnée pour la population résidente à l’année est de nature à aggraver les problèmes de saturation des structures soignantes locales en cas de crise. On note que quelques médecins vendéens commencent à signaler une montée en puissance des contaminations une semaine après l’arrivée de ces intrus, habituellement plus appréciés en saison touristique pour leurs euros.
Fallait-il pour autant comparer avec un autre incivisme sévissant dans les zones dites sensibles comme furent tentés de le faire au moins implicitement certains responsables gouvernementaux ?
Discrètement, les médias « mainstream » font état de rebellions aux contrôles, perpétuation des guet-apens et agressions habituelles, incendies de voitures et caillassages de véhicules de police et de pompiers, sans parler de crachats sur les représentants de l’ordre dépourvus de protections adéquates. On s’étonne au passage que l’Etat n’ait pas pris modèle sur les capacités d’organisation des dealers qui, eux, ont été observés pourvus de masques, gants et gels hydroalcooliques. Nous voilà rassurés : il existe donc des compétences en France capables de préserver le petit commerce. Insouciance irréfléchie et égoïste d’un côté, rébellion à force ouverte contre l’Etat et l’état de droit de l’autre. Ajoutons que les premiers sont accessibles à des sanctions, qu’ils redoutent, alors que les seconds s’en moquent – leur récidive le prouve – du fait de leur « insolvabilité » et de la saturation de prisons que l’on cherche précisément à vider en ce moment du fait de la pandémie. La mise en parallèle était-elle si pertinente ?
Puisque la situation nous échappe faisons mine d’en être les instigateurs… La France détenait paraît-il un stock d’un milliard cinq cent millions de masques en réserve, il y a une petite dizaine d’années ; le gouvernement actuel n’en aurait trouvé que cent quarante-cinq millions dans les stocks. Faute de données irréfutables, on évitera soigneusement toutes les polémiques type commandes de vaccins H1N1, responsabilité de telle structure ou de tel ministre dans la disparition de cette réserve qui nous fait semble-il défaut aujourd’hui. Attendons le temps des enquêtes parlementaire ou (et) administrative et judiciaire qui permettra d’y voir clair.
On renvoie à plus tard les introspections nécessaires sur mondialisation, globalisation, délocalisations, flux tendus et stocks de sécurité dans les domaines stratégiques.
Une chose frappe les esprits un tant soit peu perspicaces : nécessité est devenue loi ; faute de disposer à temps du nombre de masques indispensable, il a été décrété qu’ils étaient inutiles dans beaucoup des usages que la population voulait en faire ; il en fut plus ou moins de même pour les tests de dépistage, pourtant si utilisés dans des pays qui semblent avoir contenu l’épidémie, au motif qu’ils n’entrent pas – ou qu’ils n’entrent plus à ce stade – dans la stratégie gouvernementale.
Bien d’autres thèmes méritent d’être abordés. En attendant, puisque la situation nous offre le luxe inespéré du temps de lire (ou de relire), on se permettra de conseiller un classique sur la vie au temps des pandémies : Le Hussard sur le toit de Jean Giono qui relate l’épidémie de choléra de 1832 en Provence. Le roman permet de parcourir, en imagination seulement, de Banon à Gap et de Sisteron à Manosque les paysages superbes de cette vallée de la Durance. Les cinéphiles reverront avec plaisir le film éponyme de Jean-Paul Rappeneau de 1995.
Alain Meininger
Membre du Comité éditorial