Nous vivons actuellement une situation inédite. Alain Meininger, membre du Comité éditorial de la Revue Politique et Parlementaire nous fait part des réflexions que lui inspirent ce contexte particulier.
Humanité confinée, nature libérée : on a tous vu ces daims en plein centre-ville, ces canards déambulant nonchalamment devant la Comédie française, les deux rorquals traçant des orbes dans les eaux du parc national des calanques ou l’Himalaya devenu, du fait de la diminution de la pollution, subitement visible à 200 km de distance. De leur côté, des sismologues belges, anglais et américains disent avoir constaté une diminution d’environ un tiers des vibrations d’origine humaine depuis le confinement, ramenant ce niveau à celui de la période de Noël. Si cette nouvelle originale se confirmait – on se souvient de celle, fausse, qui établissait que le tsunami de 2004 avait brièvement décalé l’axe de rotation de la terre – il y aurait là façon, dans tous les sens du terme, de se mettre plus à l’écoute de notre planète, puisque de meilleures mesures de l’activité sismique de faible niveau deviennent, de ce fait, possibles. En deviendrions-nous du même coup moins à l’écoute de nous-mêmes ? Alors que crises cardiaques, A.V.C., diabètes et autres pathologies chroniques souvent sévères semblent avoir soudain disparu, médecins et thérapeutes de toutes obédiences ne cessent de nous alerter sur notre réticence à fréquenter cabinets médicaux et services hospitaliers par peur des contagions. Inactivité, mauvaise alimentation, sédentarité, surpoids mais aussi maladies psychiatriques risquent de provoquer des retours à la normale difficiles lorsque le covid s’en sera allé.
Confinement et créativité littéraire : les uns voient leur inspiration décuplée les autres calent, en panne sèche. Par la part d’inconnu qu’elle recèle, la situation est anxiogène et l’angoisse, logée au plus profond de nous-mêmes, par nature diffuse et dénuée d’un point de focalisation précis, est souvent paralysante ; la peur, à l’inverse, moins caractéristique des ressentis actuels, se fixe à l’extérieur sur un objet plus ou moins bien identifié ; en concentrant l’énergie nécessaire à la survie par le combat contre l’intrus, elle peut dynamiser l’imagination littéraire. Difficile d’en dégager une loi tant les comportements créatifs de chacun sont susceptibles de réponses diverses devant l’immobilisation forcée. Chateaubriand dans sa « tour Velléda » de la Vallée aux loups, Proust dans sa chambre recouverte de liège du 102 boulevard Haussmann, où l’assistait sa fidèle Céleste Albaret, et tant d’autres, semblent attester que d’ordinaire l’écrivant, surtout s’il est en plus écrivain, cherche l’isolement. Ce retrait du monde peut être physique ou virtuel ; l’important est de savoir construire sa bulle y compris au milieu des autres ; de Zweig à Musil et de Kafka à Rilke, on ne mesure pas assez ce que la littérature doit à la Mittel-Europa des cafés.
Il y a fort à parier qu’au moment où ces lignes sont écrites, un nombre incalculable de journaux de confinement, spontanés ou de commande, sont en cours d’élaboration, laborieuse ou fébrile.
Tels les colchiques, ils fleuriront dès la fin de l’été ou au début de l’automne. Les habiles façonneront le leur à la manière, prédécoupée, des scenarii ; ne surtout pas reconduire l’erreur de Proust qui a négligé le rôle du cinéma naissant. Aujourd’hui, plus que la publication, le Graal est la transposition cinématographique, télévisuelle ou numérique, si possible en épisodes. Il faut donc faciliter le travail des adaptateurs. Mais dans ces circonstances dénuées de véritable précédent, sont-ce les littérateurs qui ont le plus à nous dire ou les humbles de nature, aux fonctions essentielles qui nous permettent de continuer à vivre ?
La pandémie telle qu’elle va : lundi 13 avril, l’intervention du président de la République, en dehors d’une fin possible du confinement le 11 mai, semble plus marquante par ce qu’elle ne précise pas que par ce qu’elle dit.
81 % des Français, défiants envers leurs autorités, pensent qu’au début de la crise, au moins, des informations importantes leur ont été cachées et estiment qu’aujourd’hui encore, on ne donne pas aux soignants les moyens qui leur sont indispensables.
Face à une épidémie qu’ils considèrent avoir été initialement sous-estimée par le pouvoir, ils ne veulent plus de phrases martiales ou grandiloquentes mais des éclaircissements sur la distribution de masques, la disponibilité des tests, la réouverture des écoles et de certains commerces, les dates des phases de déconfinement ou la tenue des festivals d’été. Demandes réalistes en phase avec ce que préparent nos voisins européens : Danemark et Norvège commencent à déconfiner, l’Autriche annonce l’assouplissement des restrictions assorti d’un port du masque obligatoire ; l’Italie, qui vient de passer le cap des 20 000 morts, s’apprête à rouvrir certains commerces tandis que l’Espagne – troisième pays le plus touché dans le monde – envisage la reprise rapide de quelques activités assortie d’une distribution de masques à la sortie des métros. Notons qu’en Chine, confrontée à de nouveaux cas importés, le docteur Ai Fen, à l’origine, parmi d’autres, de la révélation de la gravité de l’épidémie, a semble-t-il réapparu en bonne santé après une étrange éclipse de plusieurs semaines.
Un livre ? Etre Châteaubriand ou rien, avait proclamé le jeune Victor Hugo ; même si la postérité du message politique laisse dubitatif, la langue est sublime et nous fait revivre une époque qu’à bien des égards on se prend à regretter. Qui mieux que Jean d’Ormesson a parlé de François-René ? « Nourri de l’Ancien Régime, précurseur du romantisme, Chateaubriand appartient à deux mondes. Il y a en lui un libertin, un gentilhomme fidèle, un féodal consterné. Il y a aussi un génie qui avait de l’avenir dans l’esprit ». Publié en 1811, L’Itinéraire de Paris à Jérusalem mérite d’être relu ; Les Mémoires d’Outre-Tombe qui couvrent la période 1789-1841, d’abord autobiographiques pour évoluer vers le tableau historique, publiées à titre posthume dès 1849, un an après la mort de l’auteur, ont souvent été qualifiées de chef d’œuvre absolu. La tourmente passée, il vous restera à faire le tour des lieux de mémoire de celui dont Charles de Gaulle disait « C’était un désespéré. On le comprend, il avait prévu l’avenir » : Combourg, le château de l’enfance, Rome avec l’église Saint Louis des Français et la plaque à Pauline de Beaumont, Saint Onuphre au Janicule dont il souhaitait, la ville éternelle à ses pieds, faire sa dernière demeure, la Vallée aux loups, l’Hôtel des Missions étrangères du 120 rue du Bac où il mourut et l’îlot du Grand Bey, où il repose, au large de Saint Malo.
Alain Meininger
Membre du Comité éditorial