Nous vivons actuellement une situation inédite. Alain Meininger, membre du Comité éditorial de la Revue Politique et Parlementaire nous fait part des réflexions que lui inspirent ce contexte particulier.
Le retour au réel : 1929 et plus encore 2008 étaient des crises de la monnaie et du crédit : un virus – l’ironie veut que le terme ait été annexé depuis de nombreuses années par le monde virtuel – nous a ramené à la dimension réelle, tangible, physique de l’économie. On ne peut certes plus se déplacer mais surtout ni produire ni consommer. Intéressant.
De la vraie nature du Covid : nous sommes en guerre nous a répété notre président de la République à de multiples reprises dans son dernier discours. Comme nous le furent et le sommes toujours contre le terrorisme sur le territoire national et dans quelques contrées éloignées. Revenons aux grands classiques : Clausewitz nous enseigne que la guerre consiste – l’ordre chronologique est important – à détruire les moyens matériels et guerriers de l’adversaire pour ensuite contraindre sa volonté. Les spécialistes soucieux d’exactitude sémantique savent que le terrorisme est exactement l’inverse puisqu’il s’attache à annihiler le psychisme et donc la volonté de l’ennemi en le terrorisant pour faire l’économie d’une action préalable jugée impossible ou trop coûteuse contre ses moyens, ce que l’on retrouve souvent dans la problématique des conflits dits asymétriques. Raison pour laquelle il est difficile de faire la guerre au terrorisme qui est un mode opératoire mais plus logique de faire la guerre aux terroristes qu’il s’agit dès lors d’identifier et de désigner. Et le Covid dans tout cela ? S’il est incontestablement un ennemi, quel est son mode d’action au sens clausewitzien ?
Incontestablement plus proche du mode terroriste que du mode guerrier même si sa façon de s’en prendre aux hommes finit par neutraliser leurs moyens.
Véritable « alien » dont on ne sait pas grand-chose, pas même où il se trouve ni comment il se déplace – il est passé par ici, il repassera par là – sur notre vaisseau spatial confiné qu’est notre bonne vieille terre. Personnage central d’un conte fantastique, qu’on aurait préféré ignorer, il réveille les terreurs enfantines liées à l’exploration de l’inconnu, à la peur du noir et des forêts profondes, qui annihilent – provisoirement car on finit par se réveiller et s’extraire du cauchemar – nos capacités de réaction.
Puisque les métaphores guerrières sont tendance – attention à ne pas les user prématurément – quelques précisions semblent indispensables. Nous sommes en train de découvrir ce que les Américains avaient compris il y a bientôt 80 ans, aussi bien dans le Pacifique que pour le débarquement en Normandie ; cette guerre est une guerre logistique, à savoir que pour un soldat du front – le soignant – puisse combattre avec toutes les chances de l’emporter, un ratio incompressible de 8 à 9 éléments de soutien est indispensable (transports, alimentation, distribution, production de matériel médical etc..).
Il nous faudra se souvenir, dans quelques mois, du rôle décisif de ces « soutiers » de la victoire.
De même, les belles images des journaux télévisés ne dispenseront pas de se pencher plus tard sur l’état actuel du service de santé des Armées, de ce qui nous tient lieu d’hôpitaux de campagne, du transport aérien stratégique ou même de l’absence d’un navire-hôpital militaire.
L’hydroxychloroquine de la discorde : le Haut Conseil de la santé publique a tranché : la substance – miracle ou anodine ? – ne pourra être administrée qu’en milieu hospitalier et aux seuls patients gravement atteints ; hors de question en vertu sans doute du principe de précaution de l’employer plus largement en l’absence d’essais « randomisés » menés selon les canons établis par la communauté scientifique internationale. A première vue la position est irréfutable. A y regarder de plus près l’affaire est plus étonnante. Nous ne sommes pas en présence d’une nouvelle molécule, mais d’un médicament connu et prescrit depuis plus de 60 ans pour contrer entre autres le paludisme. Administré dans les règles, il s’est révélé sans effets indésirables notoires ; alors en l’absence actuelle de traitement que risque-t-on si ce n’est l’inefficacité ? Empêcher ou rendre illisibles d’autres essais thérapeutiques ?
La division du corps médical sur le sujet ne peut qu’impressionner le profane ; on ose espérer que ne se profilent pas derrière des questions de brevets et de royalties.
Un livre ? Alors un gros et même en plusieurs tomes puisque notre réclusion est paraît-il vouée à durer et à se durcir ; prenez donc l’œuvre d’un confiné célèbre, asthmatique et quelque peu hypocondriaque vers la fin de sa vie. Les quelques 2 700 pages du A la recherche du temps perdu de Marcel Proust permettent de voir venir. Du côté de chez Swann commence par « Longtemps, je me suis couché de bonne heure », ce qui tombe à pic quand on a peu à faire. Et puis on peut toujours s’amuser à deviner qui était vraiment Vinteuil, le compositeur de la fameuse sonate et plus tard, quand nous pourrons de nouveau aller et venir, aller visiter Illiers-Combray et Cabourg-Balbec. Si vous connaissez déjà la « Recherche » par cœur – c’est rare mais cela peut arriver – ne négligez pas Jean Santeuil, livre de jeunesse et première esquisse inachevée mais tout aussi talentueuse du grand-œuvre dont on doit l’édition tardive par Gallimard en 1952 au travail érudit du regretté Bernard de Fallois. Ce livre est un des deux seuls qui traitent de l’affaire Dreyfus bien qu’ayant été rédigé durant son déroulement. Clin d’œil à l’actualité on y trouve d’intéressants développements sur le colonel Picquart. Enfin en ces temps d’affrontements virulents sur la pertinence ou non de distinguer l’auteur de son œuvre, on ne peut que recommander de lire Contre Sainte Beuve ; on vous laisse trouver le point de vue de Proust et deviner l’opinion de l’auteur de ces lignes. Un film ? Proust passe difficilement le cap de la mise en scène ; Visconti, pourtant prédestiné a renoncé ; en 1984, Volker Schlöndorff dans « Un amour de Swann » s’en est plus qu’honorablement sorti ; il est vrai qu’il avait avec lui, outre Jeremy Irons et Fanny Ardant, Alain Delon en Charlus et Ornella Muti en Odette de Crécy.
Alain Meininger
Membre du Comité éditorial