Les Insoumis se prennent à rêver. L’ascension récente de Jean-Luc Mélenchon dans les sondages, se hissant à la troisième place, avec 15 % d’espérance de vote, leur permet d’espérer une possible présence au second tour. La gauche anticapitaliste serait-elle de retour ? Un second tour Macron vs Mélenchon est-il réellement envisageable ?
Si l’on s’en tient aux chiffres des sondages – tous instituts confondus – les 15 % attribués par Elabe sont un point haut. Le rolling Ipsos situe le leader LFI entre 12 % et 13 % ; pour Harris, Ifop et Opinion Way, le score oscille entre 13 % et 14 %. Par ailleurs, il nous faut noter qu’Elabe a toujours évalué assez favorablement le potentiel électoral de Jean-Luc Mélenchon, le situant régulièrement 2 à 3 points au-dessus des autres instituts. Notons enfin que, malgré une progression notable, son niveau reste assez éloigné de celui de Marine Le Pen, qui se situe entre 17 % et 20 %. Voler la seconde place à la candidate du RN supposerait donc de poursuivre l’ascension au-delà de 19 %. Est-ce possible ?
Sur le papier, oui. Certains diraient qu’un point ou deux supplémentaires combinés à une faute tactique, à un pied pris dans le tapis électoral de la part de Marine Le Pen, grâce à la marge d’erreur et en considérant de surcroît que celle-ci soit favorable à Mélenchon et défavorable à Le Pen, pourrait permettre à la gauche de se qualifier. Que dire, sinon qu’un tel alignement des astres reste peu probable ?
Nous pensons donc que l’espoir Insoumis sera douché tout comme il l’a été en 2017.
Les raisons de cet échec programmé ne se voient d’ailleurs pas tant dans les chiffres des enquêtes de popularité, ou d’espérance de vote, que dans les enquêtes d’opinion relatives aux thèmes que La France insoumise méprise, ceux qu’elle range dans le tiroir étiqueté « fasciste », ou « extrême droite », les fameux 3 i : immigration, insécurité, islam. Car pour Jean-Luc Mélenchon, ce sont des non-sujets. Mais pour les Français ?
Prenons, comme premier exemple, le voile. Au sein de LFI, il s’agit là d’un simple vêtement que chaque femme devrait être libre de porter si elle le souhaite. Malheureusement pour eux, les Français ne l’envisagent pas ainsi. Dans un sondage CSA pour Cnews daté du 24 mars 2022, les Français affirment à 61 % qu’ils sont opposés au port du voile dans la rue. Ce chiffre est énorme sachant que la contrainte visant à exclure le voile de la totalité de l’espace public – proposition portée par la candidate RN – est plus restrictive que celles qui étaient débattues jusqu’ici (interdiction à l’université, interdiction pour les accompagnatrices scolaires, interdiction pour les petites filles, etc.) Le décalage entre les cadres LFI et les Français est notable également sur les autres thématiques, notamment l’insécurité. Les Français ont pu voir avec quelle agressivité et quel mépris Jean-Luc Mélenchon s’était adressé à un policier de la BAC93 présent dans l’émission Face à Baba sur C8. Le soutien des Français à la police et la gendarmerie est à l’opposé de cette haine viscérale ; il oscille, selon une étude Elabe de décembre 2020, entre 60 % et 75 %. Par ailleurs, les Français se situent également à rebours de la tradition de l’humanisme pénal propre à la gauche, laquelle postule que l’incarcération serait contre-productive et que les peines alternatives seraient à privilégier, justifiant cela par l’idée, défendue en son temps par Jean Jaurès, que pour chaque crime, la société serait co-responsable : « Nous sommes tous solidaires de tous les hommes, même dans le crime ». Les Français, eux, jugent à l’inverse à 81 % que la justice est laxiste (sondage CSA, mai 2021), et que les peines de prison devraient être renforcées. Mais c’est peut-être le dernier thème, l’immigration, qui marque la coupure idéologique la plus grande entre Jean-Luc Mélenchon et les Français. L’afficionados du concept de créolisation, qui souhaite accueillir plus étrangers encore et les naturaliser se heurte aux 41 % de Français désireux stopper totalement l’immigration (CSA, octobre 2021), aux 69 % de Français qui jugent qu’il y a trop d’étrangers en France (Ifop novembre 2021), et aux 67 % de Français qui se déclarent inquiets du grand remplacement (Harris octobre 2021).
Le constat est sans appel : le logiciel insoumis est en faillite sur les questions régaliennes propres aux 3 i.
Or, pour rassembler les Français de gauche favorables (autant qu’il peut l’être) à la créolisation de la France, il faudrait qu’il soit le candidat d’un Front de gauche unifié. Ils sont 6 !, sans compter Lassalle (qui penche plus à gauche qu’à droite). L’équation du second tour est donc impossible… La gauche non libérale, si elle souhaite accéder de nouveau aux affaires, devra refonder entièrement son logiciel politique.
Frédéric Saint Clair
Ecrivain, Politologue
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