Emmanuel Macron a été réélu, ainsi que les sondages l’avaient anticipé, et même un peu mieux. En grande partie, faut-il le rappeler, grâce au sursaut antifasciste dont les élites médiatiques ont été les heureuses initiatrices. Ainsi, le stress d’entre-deux tour qui a résulté d’une possible accession de Marine Le Pen au pouvoir est retombé.
L’honneur de la France est sauf ! Le pétainisme ripoliné façon populisme social-xénophobe n’est pas passé ! La classe bourgeoise peut donc dormir tranquille. L’électorat communautarisé, qui avait massivement voté Jean-Luc Mélenchon au premier tour, également. Personne n’aura à faire les valises, ni pour rapatrier ses lingots en Suisse, ni pour rentrer au Bled afin d’échapper aux milices. Les « sans dents », eux, sont retournés au travail en ce début de semaine, avec un goût amer dans la bouche. Ce n’est pas tant qu’ils attendaient avec impatience la victoire de Marine Le Pen, car pour beaucoup le vote RN n’est pas un absolu – il symbolise surtout une aspiration à un autre mode de gouvernance, à un autre projet politique, plus proche d’eux –, mais c’est surtout qu’une fois de plus, ils se sont fait traiter de fachos pendant quinze jours par des élites surpayées, ignorantes des conditions de vie de ceux qu’elles dénigrent, parfois même évadées fiscales, comme les stars du cinéma français qui résident à Genève ou à Los Angeles et qui viennent pleurnicher sur France 5 leur inquiétude pour ce pays, la France, dans lequel elle ne vivent plus. Le goût amer que la France des petites communes et des villes moyennes a dans la bouche en ce lundi 25 avril au matin est lié à un sentiment étrange : celui d’avoir été trompé. Un peu comme si le projet politique auquel elle adhère n’avait pas été contesté à la régulière, c’est-à-dire politiquement.
Un peu comme si c’était une intervention supérieure, l’action d’une loi morale surplombant hiérarchiquement le commun des mortels, dominant la chose politique, qui avait disqualifié ce projet.
Et pour cause, c’est bien de cela dont il s’est agi, d’un diktat moral. Christophe Guilluy le résume mieux que quiconque dans un entretien accordé au Figaro : « Puisqu’on ne peut plus jouer sur l’alternance droite/gauche pour diviser les classes populaires, […] que les élites sécessionnistes n’ont plus pour cadre la nation ni comme objectif le bien commun, la dernière défense va consister à exclure non pas politiquement, mais moralement la majorité ordinaire. » Cette exclusion morale, qui a défini mieux que jamais auparavant les contours du camp du bien, a consisté, explique Guilluy, non pas à diaboliser le RN ou Marine Le Pen, comme les apparences pourraient le faire croire, mais de manière plus fondamentale à diaboliser « le diagnostic social, culturel et économique des classes populaires et moyennes, leur refus maintes fois exprimé du modèle [élitaire] ». Non plus diviser, mais anathémiser pour mieux régner ! Fasciser les Français moyens pour les contraindre à consentir à l’injonction supérieure, voire pour les pousser vers l’abstention, pour les inciter à aller à la pêche dimanche matin, honteux, plutôt qu’à l’isoloir où ils pourraient voter de la mauvaise manière, contrairement à l’éthique républicaine. Voter est important ? Oui !!! Mais seulement si l’on vote républicain, c’est-à-dire si l’on vote conformément au seul choix acceptable pour la démocratie et l’honneur de la France. Bien évidemment, lorsqu’on regarde du côté des îles, où les blonds aux yeux bleus ne sont pas légion, on est forcé de remarquer que les 70% de Marine Le Pen en Guadeloupe font « exploser le narratif » médiatique d’un électorat formé de « petits Blancs » racistes qui votent pour un parti pétainiste.
Qu’importe la faiblesse des arguments. Qu’importe les incohérences. Il fallait que le néolibéralisme mondialisé, l’Europe maastrichtienne, la société multiculturelle et le projet anthropologique post-moderne triomphent. Et ils ont triomphé !
Une question demeure cependant : comment gouverner ? Non pas comment réparer les fractures sociales et culturelles qui traversent la France, car une telle entreprise serait non seulement hasardeuse, mais coûteuse, et surtout elle ne rapporterait pas un point de PIB supplémentaire ; non, la question est : comment contenir cette majorité ordinaire, comment maintenir sur elle la domination morale et politique indispensable à la poursuite de l’opération de dépeçage néolibéral du pays, profitable exclusivement aux élites ? Comment éviter que le bloc populaire ne se rebiffe en cours de route, et que contrairement à 2018 et l’épisode des Gilets Jaunes, ce bloc décide de répondre positivement à l’injonction présidentielle : « Qu’ils viennent me chercher ! » ? Car nous ne sommes pas certains que la morale politico-médiatique propre au camp du bien suffise à garantir la paix sociale…
Frédéric Saint Clair
Écrivain, Politologue