Un débat comptable, sur-chiffré, sans grand intérêt, a opposé hier soir Emmanuel Macron et Marine Le Pen. L’absence de souffle, d’élan, de vision, de charisme, d’envolées verbales et philosophiques, d’une véritable disputatio, a ôté à cet exercice démocratique par excellence jusqu’à ses dernières lettres de noblesse. Ce matin, les Français sont frustrés, et ils ont bien raison.
Qu’attendait-on de ce débat ? Tous les éditorialistes le répètent en boucle ce matin : une vision de la France. Elle a été absente des deux côtés. C’est un échec magistral pour la démocratie. Non seulement le peuple est ressorti frustré d’un tel débat où l’ennui a dominé largement les 2h45 de confrontation, mais il en est ressorti avec le sentiment de n’avoir pas été compris, avec un sentiment de vide, de lassitude. Marine Le Pen porte une responsabilité plus grande qu’Emmanuel Macron dans cet échec, car elle avait vocation à être, durant cette soirée, non seulement le porte-voix de ses électeurs, mais celui égalementde tous ceux qui ne votent pas pour elle mais qui attendaient que le bilan du quinquennat soit critiqué et que le responsable rende des comptes, celui-là même qui s’est défilé durant l’ensemble du premier tour sous de faux prétextes, cherchant par tous les moyens à échapper à la moindre contradiction.
Marine Le Pen devait, en outre, incarner l’opposition à une vision néo-libérale du monde, multiculturaliste de la société, post-moderne de l’individu, une vision qu’Emmanuel Macron implémente au quotidien, avec la suffisance qu’on lui connaît et dont il a encore fait la démonstration hier soir, une vision qu’une large majorité de Français exècrent – y compris ceux qui votent pour lui faute de mieux. Ce rendez-vous démocratique devait être davantage qu’un moment de clarification sur les programmes, il devait être un moment de vérité pour la nation.
Marine Le Pen a échoué à dévoiler la réalité de ce quinquennat, tout comme elle a échoué à envelopper son programme d’une vision plus large qui permette aux téléspectateurs de se projeter au-delà des mesures chiffrées.
Intimidée dans un premier temps, paralysée par l’attitude de l’élève sage et méritante qu’elle s’est efforcée d’adopter pratiquement jusqu’au bout, elle s’est laissée gifler par un morveux arrogant et hautain, incapable de se tenir correctement sur sa chaise, même par respect pour ses électeurs.
De fait, qui a entendu parler hier soir du scandale d’Etat qu’a été la dépendance aux cabinets de conseil américains, McKinsey & Co, dans laquelle Emmanuel Macron a placé les plus hautes institutions de l’Etat ? Des sommes faramineuses dépensées au regard de la médiocrité des rapports rendus ? Des conflits d’intérêts ? Qui a entendu parler hier soir de la gestion de la crise du Covid, de la pénurie de masques, de gel hydro-alcoolique, de tests, de l’absence de vaccin français ? Des commandes non honorées aux entreprises françaises au profit d’entreprises chinoises ? De l’opacité de ce prétendu « conseil de défense sanitaire » ? De l’échec de la politique vaccinale ? Du caractère liberticide et non justifié des deux passes, sanitaire et vaccinal, au regard des données scientifiques disponible dès juillet 2021 ? Qui a entendu parler de la crise des Gilet Jaunes, de l’impuissance politique face aux Black-blocs quand des dizaines de Français se faisaient éborgner ou voyaient certains de leurs membres arrachés ? Qui a entendu parler de l’affaire Benalla et du coffre-fort manquant ? Du rapport accablant rendu par la commission d’enquête du Sénat ? Qui a entendu parler de la réforme des retraites fustigée par les grands économistes mêmes qui l’avaient pourtant élaborée ? De la vente et du rachat (partiel) de la branche énergie d’Alstom ? Du mensonge d’Emmanuel Macron à ce sujet face à la représentation nationale, mensonge dénoncé et documenté par Olivier Marleix au micro d’Yves Calvi ? Qui a entendu parler des cessions de Technip, d’Essilor, de PSA, d’ADP, etc., à des intérêts étrangers ? Qui a entendu parler de l’échec de Barkhane et de l’humiliation malienne ? De l’échec syrien ? Libanais ? Australo-américain ? De l’échec russo-ukrainien qui se profile ? Et surtout, de la suppression inacceptable du corps diplomatique ?
Ce quinquennat a été pour beaucoup de Français une mascarade insupportable ; ces Français attendaient de Marine Le Pen qu’elle démasque l’imposteur. Cela n’a pas été fait.
Pour beaucoup d’autres Français, ce quinquennat n’a pas été aussi négatif que certains le prétendent, mais il conserve cependant de sérieuses zones d’ombres qui méritaient d’être éclairées. Elles ne l’ont pas été. Marine Le Pen et ses conseillers ont préféré jouer la carte de la sécurité, ne parler que d’eux-mêmes et de leur programme plutôt que de prendre le risque d’apparaître offensifs. Ils ont réglé leurs montres sur l’heure du débat de 2017, craignant de renouveler l’erreur passée. Ils ont voulu apparaître sérieux, c’est-à-dire chiffrés. Le malheur, c’est qu’ils en ont oublié les lettres, ce que jadis on appelait les humanitas – celles-là même qui font, depuis Cicéron, le propre de l’homme, et qui constituent le véritable sel de la terre politique.
Frédéric Saint Clair
Ecrivain, politologue