La guerre en Ukraine serait-elle d’ores et déjà perdue pour le président russe Vladimir Poutine ? Alors que l’invasion de l’Ukraine ne devait être qu’une opération éclaire, suivie probablement de l’installation à Kiev d’un régime favorable à Moscou, la résistance armée ukrainienne, doublée d’une diplomatie particulièrement offensive du président Volodymyr Zelensky, semble mettre en échec les plans du maître du Kremlin.
En effet, tenant dûment compte du rapport de force largement déséquilibré en faveur de la Russie, beaucoup d’observateurs voyaient dans cette intervention russe en Ukraine un possible remake de l’« Opération Cyclone », suite à l’Insurrection de Budapest en 1956, ou encore l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie en août 1968 pour écraser le fameux Printemps de Prague. Ces deux opérations militaires, engagées par l’Union soviétique, dans un contexte international marqué par la Guerre froide, avaient été menées avec une grande célérité, comme une application lointaine de l’une des « Méthodes militaires de Maître Sun » qui disait justement : « La rapidité est l’essence même de la guerre » (cf. Sun Tzu, L’Art de la guerre, Vè siècle avant J.-C.).
Cependant, pour ce qui concerne l’Ukraine, et à bientôt deux mois du début de l’invasion déclenchée le 24 février dernier, tout porte à croire que ce conflit pourrait durer bien plus longtemps que les autres opérations de cet ordre réussies par les armées soviétique ou russe.
Quelle issue pour une guerre qui ne s’imposait vraiment pas ?
La question qui se pose désormais est celle de savoir quelle sera l’issue de cette guerre qui semble d’ores et déjà inscrire l’opération russe dans un échec.
Si l’hypothèse d’une victoire de la Russie, qui se traduirait par l’inféodation de Kiev à Moscou, semble s’éloigner chaque jour un peu plus, à quoi pourrait-on véritablement s’attendre désormais ?
En effet, de même que l’hypothèse d’une victoire finale de l’armée russe en Ukraine semble être nettement compromise en l’état actuel des choses, celle d’une défaite militaire de la Russie est tout aussi difficile à envisager pour au moins deux raisons : d’une part, le rapport de forces sur le terrain reste toujours largement favorable à la Russie et, d’autre part, il ne fait aucun doute que les Occidentaux ne sont pas disposés à entrer directement en guerre aux côtés de l’Ukraine.
Par ailleurs, la personnalité du maître du Kremlin, qui semble se retrancher dans sa propre logique, laisse craindre un enlisement à l’afghane dont les conséquences seraient forcément désastreuses pour les deux pays et même bien au-delà. Or, comme avertissait déjà Sun Tzu, « il n’existe pas d’exemple d’une nation qui aurait tiré profit d’une longue guerre » !
C’est pourquoi, même si certains reprochent aujourd’hui au président Emmanuel Macron de poursuivre le dialogue avec le Chef de l’Etat russe, la solution politique et diplomatique reste pour le moment la seule option sérieuse pour éviter le pire. N’en déplaise à tous ceux qui, comme le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, croient avoir raison en critiquant le président français dans sa volonté de continuer de dialoguer avec le chef du Kremlin, tout en restant ferme sur les principes.
Les conséquences pour le long terme
« Parvenir à battre son adversaire sans l’avoir affronté est la meilleure conduite », disait également Sun Tzu. Ce qui, possiblement, revient à dire qu’il existe bien d’autres moyens que la guerre pour défendre ses intérêts. Le président Poutine n’a visiblement pas la même approche des choses en déclenchant cette guerre qui ne s’imposait vraiment pas, comme celle engagée par George W. Bush en Irak en 2003, Saddam Hussein au Koweït en 1990 ou encore Mouammar Kadhafi au Tchad entre 1973 et 1989.
Il ne fait aucun doute qu’aujourd’hui, et à travers le monde, l’impopularité de cette agression russe contre l’Ukraine n’a d’égale que celle des Etats-Unis suite à l’invasion de l’Irak en 2003 !
Ce qui fait que sur le plan diplomatique, et en dépit du soutien de ses alliés, la Russie semble avoir déjà perdu la partie…
On peut donc objectivement considérer que, quelle que soit l’issue de cette invasion de l’Ukraine sur la base d’une décision presque personnelle du président Poutine, les conséquences déjà désastreuses pour les deux pays seront certainement plus durables encore qu’on ne l’imagine. En effet, outre les pertes en vies humaines d’ores et déjà lourdes de part et d’autre, l’impact de cette guerre dans les esprits est tel qu’il faudra sans doute plusieurs générations pour espérer réconcilier véritablement la Russie et l’Ukraine. Et cela n’est de l’intérêt d’aucun de ces deux pays si liés, non seulement par l’histoire et la géographie mais bien au-delà.
On se rend bien compte, finalement, qu’il faudra aussi observer une période relativement longue pour que la Russie puisse redorer son blason sur le plan mondial, y compris auprès de certains de ses propres alliés qui semblent être contrariés par cette nouvelle agression de l’Ukraine…
Roger Koudé, Professeur de Droit international
Titulaire de la Chaire UNESCO « Mémoire, Cultures et Interculturalité » à l’Université catholique de Lyon. Son dernier ouvrage, intitulé Discours sur la Paix, la Justice et les Institutions efficaces, est publié aux Éditions des Archives Contemporaines (Paris, 3/2021), avec la préface du Docteur Denis MUKWEGE, Prix Nobel de la Paix 2018.