Marine Le Pen était, mardi soir, l’invitée de l’émission Face à BFM. Une émission tout à fait particulière puisque la candidate a été plongée dans un bain russo-ukrainien bouillant, et que l’ensemble de son programme a été ausculté à travers ce filtre médiatique pour le moins polarisé. Retour sur une hystérie médiatique regrettable.
Quatre candidats avaient jusqu’ici répondu aux questions des journalistes de BFMTV dans ce format d’émission orienté « élection présidentielle » : Jean-Luc Mélenchon, Eric Zemmour, Yannick Jadot et Valérie Pécresse. Au regard du déroulé des émissions précédentes, on pouvait s’attendre à ce qu’il en soit de même pour Marine Le Pen, et qu’elle soit interrogée sur son programme dans le cadre strict de l’élection présidentielle, c’est-à-dire de l’avenir de la France. Mais non ! La guerre en Ukraine était au menu, à tout le menu : Guerre en Ukraine à l’apéritif, en entrée, au plat de résistance, au fromage et au dessert. Chaque séquence (relations internationales, économie, sécurité & immigration, politique, etc.) a été parasitée par des questions liées à la guerre russo-ukrainienne ; et entre deux séquences, les téléspectateurs ont eu droit à une séquence « actu » supplémentaire, où les journalistes évoquaient… la guerre en Ukraine !
Nombreux sont ceux qui se sont sûrement dit : c’est normal, c’est l’actualité. En réalité, il n’y a rien de « normal » dans tout cela. La même crise d’hystérie qui avait saisi les chaînes d’info en continu lors de la crise du Covid les a saisis à l’occasion de ce conflit. A une exception près : pour le Covid, la France était directement concernée. Dans le cas qui nous occupe, elle ne l’est qu’indirectement, car ce n’est pas la France qui est visée par les « thermobariques » russes ; ce n’est pas le siège de Paris qui est organisé par Vladimir Poutine ; et c’est Kharkiv, et non pas Marseille, qui ploie sous les bombes. Que le sujet soit d’importance, et qu’il mérite d’être couvert, voire largement couvert, tout le monde en conviendra ; qu’il soit d’une importance telle qu’il hypothèque désormais la totalité de la campagne présidentielle, et qu’il soumette l’avenir de la France à la relation que les candidats pourraient entretenir avec Vladimir Poutine, à leur conception de la menace russe, à leur volonté d’accueillir les réfugiés ukrainiens, etc., n’a d’autre justification que l’absence totale de discernement d’une caste médiatique complètement hors-sol.
Cette caste médiatique qui n’a de cesse de psychanalyser les dirigeants qu’elle juge « illégitimes », de Donald Trump à Kim Jong-Un en passant par Viktor Orban et désormais Vladimir Poutine, devrait s’allonger elle-même sur le divan, afin de traiter une bonne fois pour toutes ses névroses, ses troubles obsessionnels, voire sa schizophrénie. Car dans l’ordre de la détestation des Français, si les médias devancent la classe politique, c’est-à-dire si la crise médiatique est plus importante que la crise démocratique, ce n’est pas un hasard.
Les Français doivent désormais se protéger des médias. Ils doivent trouver des refuges où cette agression politico-médiatique n’atteint pas.
Qu’est-ce à dire ? Non pas seulement tourner le bouton pour éteindre la télévision, car se couper du monde ne suffit pas à régler le problème ; il leur faut saper la tentative de maraboutage mental et moral continuel qui opère sur eux, chercher des contre-pouvoirs. Les réseaux sociaux tant décriés en sont un. Les rencontres au café – quand elles sont autorisées – en sont un autre. Dans tous les cas, on discute, on glose, on moque ces soi-disant sachants qui, assis autour d’une table dans un entre-soi intellectuellement confortable, expliquent au « petit peuple » comment il convient de penser.
Ce que nous avons vu mardi soir avec Marine Le Pen, et qui ne manquera pas de se reproduire avec d’autres candidats si la guerre se poursuit quelques temps, c’est la confiscation de l’intelligence au profit d’un totalitarisme de type orwellien. Les Français ont été contraints d’avaler de la « guerre en Ukraine » pendant plus de deux heures et d’évaluer un candidat à la présidentielle sous l’angle unique et étroit constitué par sa capacité à gérer cette crise. Que se passera-t-il dans quelques mois, en juillet par exemple, lorsque l’on regardera en arrière, étonnés de voir la place majeure prise par ce qui nous apparaîtra alors comme un « non-sujet » ? Car les médias auront à ce moment-là oublié l’Ukraine, comme ils ont oublié hier soir le Covid et les mesures de santé publique – pas une seule question à Marine Le Pen sur l’hôpital ! Les médias seront-ils sommés, dès lors, de faire leur mea culpa ? Seront-ils soumis à un fact-checking, eux qui passent leur temps à fact-checker les autres ? S’en soucieront-ils seulement, ces journalistes corporatistes persuadés que leur profession est le véritable cœur de la démocratie, c’est-à-dire oublieux du fait que le « demos », ce n’est pas eux ?
Frédéric Saint Clair
Ecrivain, Politologue