Edouard Philippe est de retour. Dans un article du Parisien, il s’affiche en soutien rigoureux du Président et critique vertement le programme économique, entre autres, de Marine Le Pen, qu’il qualifie de « dangereux ». L’ancien Premier ministre aurait-il décidé d’oublier les tensions passées, la fusion avortée avec Agir du fait même d’Emmanuel Macron, et de s’impliquer plus pleinement dans la campagne présidentielle, de s’inscrire dans la lignée de son « mentor » ?
Rien de tout ça. Ni philanthropie, ni admiration, ni filiation politique. Des intérêts de pouvoir, uniquement. Edouard Philippe sait qu’Emmanuel Macron est un adversaire plus encore qu’un allié, et il est bien décidé, après une période de silence médiatique savamment maîtrisée, de l’utiliser au mieux pour pousser ses pions. Tant que le Président de la République caracolait dans les sondages, en apparence intouchable, Edouard Philippe n’avait pour ainsi dire aucune carte à jouer. Afficher un soutien ? A quoi bon si la réélection est assurée ? Rangé dans le tiroir des inutiles, il attendait donc patiemment le moment de monnayer son soutien pour les élections législatives, s’activant en coulisse afin de constituer une écurie avec laquelle LREM devrait compter pour offrir une majorité (encore hypothétique à l’heure actuelle) au Président réélu.
Sauf que le brouillard de la Covid et de la guerre en Ukraine, en se dissipant peu à peu, a laissé entrevoir une silhouette macronienne moins sexy qu’en 2017. Le programme du Président-candidat n’a rien de véritablement séduisant ; quant à son bilan il est fort contestable, et contesté. Il suffirait que les médias mainstream acceptent de s’emparer du « scandale d’Etat » McKinsey pour que la popularité de l’idole des bobos s’effrite réellement et ouvre à Marine Le Pen un boulevard pour le deuxième tour. Déjà, alors que rien de tel ne s’est encore produit, le sondage qui la place à 47,5 % face à Emmanuel Macron – connaissant la marge d’erreur d’au moins 3 % – accroît le niveau d’inquiétude en macronie.
Edouard Philippe a désormais une carte à jouer.
Pour que cette carte soit un véritable atout, il faut que la menace soit d’ampleur. Ce n’est donc pas pour rien qu’en début d’interview, Edouard Philippe alerte : « Bien sûr, Marine Le Pen peut gagner. » Plus Marine Le Pen menace, plus Edouard Philippe, en s’appuyant sur elle, prend de l’ampleur, et peut espérer incarner la figure du sauveur de la macronie auprès de l’électorat de centre droit, hésitant entre un vote Macron et un vote Pécresse. Il faut donc faire peur à la macronie, et s’imposer comme l’indispensable allié. Edouard Philippe s’affiche ainsi aux yeux de cet électorat, non seulement comme celui qui, par sa clairvoyance politique, débusque les pièges tendus par la candidate RN (d’où la critique du programme), mais également comme celui qui est capable de prendre du recul sur le bilan présidentiel et de tracer une ligne d’horizon : « Ce que j’ai observé pendant cinq ans, c’est que le Président de la République a fait le maximum pour que la France aille mieux. Il a obtenu des résultats, mais il y a encore beaucoup à faire »
Un soutien qui semble plein et entier mais qui ne l’est qu’en apparence…
Tout d’abord, Edouard Philippe se place en position d’observateur de l’action du Président ; il se place pour ainsi dire en surplomb ; il le domine. Ensuite, il semble accorder un satisfecit : « il a obtenu des résultats », mais celui-ci est en demi-teinte : « il reste beaucoup à faire ». Et surtout, il glisse l’idée que pour obtenir ces résultats malgré tout insuffisants, « le Président de la République a fait le maximum ». Comprendre : Il s’est donné du mal. Il fait beaucoup d’effort. Mais il n’y arrive pas véritablement. Peut mieux faire, donc. Emmanuel Macron n’aura donc ni la mention très bien, ni même la mention bien ; seulement les encouragements !
L’érosion du score de Valérie Pécresse, qui pourrait tomber sous la barre des 9 % et menacer la cohésion de LR, la marginalisation du projet d’union des droites d’Eric Zemmour, la montée en puissance de Marine Le Pen et la réélection d’Emmanuel Macron pourraient servir les intérêts d’Edouard Philippe, qui rêve d’une recomposition des droites libérales-modérées autour de lui, d’être l’homme fort « législatif » du quinquennat n°2 d’Emmanuel Macron, et de préparer ainsi 2027.
Frédéric Saint Clair