La campagne présidentielle de 2012 avait connu une forte poussée d’anti-sarkozysme, chacun s’en souvient probablement, dont François Hollande avait largement profité. Dix ans plus tard, c’est l’anti-macronisme et l’anti-zemmourisme qui sont à l’honneur. Valérie Pécresse s’y livre à corps perdu. Ses lieutenants répètent à l’envi qu’elle est la seule à pouvoir battre Emmanuel Macron et faire barrage à l’extrême droite. Cela suffit-il à faire une politique ?
Machiste ou pas, tout le monde en conviendra : le grand meeting de Valérie Pécresse a tourné au fiasco, et pas seulement à cause de son défaut de charisme, ou de son lyrisme haletant, mais surtout à cause de son absence totale d’incarnation. Il y avait quelques écueils à éviter, et Valérie Pécresse a foncé dedans tête baissée, notamment : dérouler un programme sans offrir de vision politique ; utiliser des marqueurs sémantiques, tels que le fameux « grand remplacement », destinés à séduire la frange droitière de son électorat sans les assumer pleinement ; flirter sans réelle conviction avec la notion très « people » consistant à « fendre l’armure » ; et enfin multiplier les punchlines contre ses principaux opposants sans jamais inscrire celles-ci dans une construction politique d’ensemble qui permette à l’auditoire de s’identifier à un projet cohérent. Faut-il le rappeler encore ?, le « ni ni » ne fait pas une politique. Pas plus que le « moi je serai » ne permet à une vision politique de s’incarner. En un mot, après une heure et demie de meeting, on n’en connaissait pas davantage sur Valérie Pécresse ni sur sa « nouvelle France » qu’auparavant.
Pour comprendre, revenons quelques semaines en arrière, au moment du congrès LR. Les commentateurs médiatiques au flair imparable attendaient Bertrand et Barnier. C’est le couple Pécresse-Ciotti qui est sorti des urnes au premier tour. Mais, qui a créé la véritable surprise ? Valérie Pécresse ? Non, Eric Ciotti ! Le défaut de fabrication de la campagne présidentielle des Républicains vient tout entier de là, c’est-à-dire de la manière dont les fédérations militantes se sont raidies à l’idée qu’un responsable politique assumant à la fois sa filiation gaulliste, son ancrage de long terme dans sa famille politique et sa proximité avec Eric Zemmour (c’est-à-dire l’extrême droite) soit élu. Les voix se sont donc reportées au second tour sur la candidate d’obédience gaulliste-sociale, qui avait un peu dopé son programme en matière régalienne pour l’occasion.
Il y avait donc là, dès l’origine, une supercherie évidente ; supercherie que les militants ont refusé de prendre en compte et qu’ils payent désormais.
Retour au présent et à la « nouvelle France » de Valérie Pécresse. Qu’est-elle donc cette nouvelle France, sinon un clin d’œil on ne peut plus appuyé à la « nouvelle société » de Jacques Chaban-Delmas – projet politique théorisé alors qu’il venait d’être nommé premier ministre en 1969, et repris pour la campagne présidentielle de 1974, où il était le candidat de l’UDR ? Qui était Chaban-Delmas ? Qu’était l’UDR – l’Union des démocrates pour la République ? Réponse : le représentant centriste d’un parti centriste. A cette époque, Jacques Chaban-Delmas, gaulliste historique, incarnait mieux que quiconque le gaullisme social, un centrisme soucieux à la fois d’industrialisation de la France, d’amaigrissement de l’Etat providence – un Etat qu’il jugeait tentaculaire et inefficace – et de maintien de l’ordre. Le courant politique même que Valérie Pécresse incarne aujourd’hui sans toutefois l’assumer pleinement.
La raison de ce malaise positionnel politique ? Emmanuel Macron occupe également ce créneau, de façon légèrement décentrée sur la gauche. Pour le dire autrement : les deux familles LR et LREM sont cousines, mais elles se détestent car il n’y a qu’un siège et chacun se juge légitime pour l’occuper. La branche cadette, LREM, a dérobé son trône à la branche ainée, LR, lui reprochant son inaction et ses échecs répétés. Une sorte de version républicanisée des luttes fratricides d’Ancien Régime. La conséquence de ce malaise positionnel politique ? Un décentrage plus à droite de Pécresse, pour tenter d’occuper un espace de plus en plus convoité depuis l’arrivée d’Eric Zemmour, celui de la droite identitaire, un espace solide et électoralement juteux mais considéré comme toujours aussi sulfureux pour tous ceux qui, comme Pécresse, valident la pertinence du fameux cordon sanitaire entre la droite et l’extrême droite tracé artificiellement par Jacques Chirac. Valérie Pécresse se retrouve donc coincée entre un alter-égo qu’elle rejette et un allié politique potentiel qu’elle refoule. Qui s’étonnera qu’elle ne parvienne pas à incarner une réelle alternative à droite ? Mais la véritable question est : le message mille fois répété, « Elle est la seule à pouvoir battre Emmanuel Macron et faire barrage à l’extrême droite », n’est-il pas aussi artificiel que le reste ?
Frédéric Saint Clair
Écrivain, Politologue