« Ouvrir une école, c’est fermer une prison ». Cette citation, attribuée à Victor Hugo, semble également se prêter à la formulation inverse.
Témoin de ce que fut l’immense ambition de l’école républicaine française, cette phrase, conforme aux idées sociales du moment, semble bien mise à mal ces dernières années.
L’éducation est souvent présentée comme un préalable indispensable à l’épanouissement d’un individu mais aussi au développement harmonieux d’une société prônant la vie collective, le lien social. Le XIXe siècle a vu naître l’enseignement obligatoire avec la naissance de l’école primaire publique gratuite et laïque à travers les lois Jules Ferry.
Ces lois ont fondé le système scolaire tel qu’il existe encore aujourd’hui en France ; système souhaitant mettre en œuvre une démocratisation de l’école afin de garantir l’unité de la République française.
Héritage d’une école longtemps dominée par l’Église, l’école publique coexiste donc avec l’enseignement privé (religieux ou non), car il ne faut pas oublier que l’école des temps anciens prend forme en France avec l’Église.
L’école repose pendant tout le XIXe siècle sur la liberté d’enseignement, elle-même fondée sur l’ordre moral et le cléricalisme. Jules Ferry, président du Conseil des ministres (1880-1885) et ministre de l’Instruction publique (1879-1883), élabore la première grande politique publique pour ce qui concerne l’école républicaine.
Par le biais de l’éducation, cette réforme libérale promeut la démocratie politique, en participant à la transformation sociale et économique du pays.
L’enseignement, enjeu de premier plan pour une société dite démocratique, peut-il valablement n’exister que selon une seule approche ? En France, le service public d’enseignement coexiste avec des établissements privés, soumis au contrôle de l’État et pouvant bénéficier de son aide (en contrepartie d’un contrat signé avec l’État).
Regardons de plus près s’il s’agit d’une cohabitation vouée à l’échec ou d’une mixité profitable à la Société.
L’enseignement public, premier vecteur de la laïcité
Les lois Jules Ferry seront prolongées par la loi de Goblet du 30 octobre 1886. Celle-ci confie à un personnel exclusivement laïc l’enseignement dans les écoles publiques.
L’enseignement est assuré par celles et ceux que Charles Péguy surnommait en 1913 les « hussards noirs de la République », les instituteurs républicains payés par l’État qui se donnent pour mission de consolider les valeurs de la République naissante dans l’imaginaire collectif.
La laïcité est alors présentée comme un principe de liberté, celle de croire ou de ne pas croire.
Jules Ferry a rendu l’école laïque pour que ne soient plus enseignées les valeurs religieuses aux enfants mais les valeurs de la République telles que la liberté, l’égalité et la fraternité. De nombreux avantages sont alors attachés à cette école : la mixité de l’environnement, la diversité des origines, son accessibilité pour tous les enfants, l’ensemble étant porté par la gratuité de l’enseignement.
Pour autant, le système éducatif français fait coexister enseignement public et enseignement privé.
En effet, si les lois scolaires de la IIIe République instaurent l’école publique, gratuite et obligatoire, elles ne mettent pas pour autant fin au système scolaire antérieur et permettent le maintien, sinon le développement, de l’école privée.
Enseignement privé, mais aussi classes préparatoires, … une même aspiration à l’exigence
La coexistence de deux systèmes de scolarisation n’est pas propre à la France mais cette dualité a souvent entrainé des débats passionnés. L’un des points d’orgue de cet affrontement fut illustré notamment par les grandes manifestations de défense de l’enseignement libre de 1984, à la suite du projet de créer un « grand service public unifié et laïque », ou par les mobilisations des partisans de l’école laïque contre le projet de révision de la loi Falloux en 1994. Une guerre, rappelons-le, que le privé n’a jamais initié et dont il n’a jamais voulu.
Au cœur de la « querelle scolaire », l’enseignement privé garde une place d’importance dans le système éducatif français et présente une image nettement dessinée dans les esprits : programmes d’études rigoureux et axés sur l’excellence académique, liberté géographique quant au choix de l’établissement, transmission de valeurs fortes, meilleur suivi, gestion rigoureuse de l’absentéisme, etc.
Cette image est aussi celle attachée aux classes préparatoires, filières du supérieur accessibles avec un baccalauréat et qui préparent les élèves aux concours d’entrée dans les grandes écoles de commerce ou d’ingénieur notamment. Tour à tour conspuées ou encouragées, dénigrées ou valorisées, les classes préparatoires voient leur avenir menacé.
L’annonce de la première mesure sur l’éducation du quinquennat Macron tombe comme un couperet : il n’y aura plus de classes prépas à la rentrée scolaire de septembre 2025.
Puis, pour l’ancien ministre Pap Ndiaye, les classes préparatoires ne donneraient aucun avantage comparatif à leurs étudiants ; idem sur le marché du travail. Qualifiant ces dernières de « filière pourrie gâtée », il s’est même emporté contre elles, indiquant que « cela ne peut plus durer ».
Une véritable chasse aux sorcières est lancée, en s’attaquant à un symbole fort: «casser la « reproduction des élites » en cassant la production des élites » … il fallait y penser !
Sans concertation, cette seule volonté de s’attaquer à ces différentes filières, que ce soit via les écoles privées dans le secondaire ou à travers les classes préparatoires, illustre un schéma identique : il ne faut rien qui soit en opposition avec le nouvel esprit de l’école. Et cet esprit ne semble plus être celui de l’ambition, élitisme et excellence étant marqués du sceau de l’infamie.
Pourtant, ces deux approches devraient être pensées comme complémentaires et une synergie devrait s’en dégager.
Coexistence du public et du privé : une émulation qui devrait être bénéfique
La liberté d’organiser et de dispenser un enseignement est une manifestation de la liberté d’expression : elle est définie par la « loi Debré » du 31 décembre 1959 sur la liberté de l’enseignement et les rapports avec l’enseignement privé.
Les établissements privés sont de plus en plus plébiscités en France. En effet, les résultats ainsi que l’impact de la qualité de leur enseignement ont décuplé cet engouement grandissant, avec un peu plus de 7500 établissements, recevant environ 2 200 000 élèves (soit 17,6 % de l’ensemble des effectifs scolarisés).
De manière générale, les écoles privées en France se retrouvent la plupart du temps sous l’égide de l’enseignement catholique. Ce type d’enseignement représente environ 85 % du secteur privé, essentiellement du niveau primaire au secondaire.
Pour autant, la cour des comptes, dans son rapport de juin 2023, constate, dans un contexte de progression visible des autres confessions, que l’enseignement catholique est celui qui apparait comme étant le moins marqué sur ce plan-là, loin de l’entrisme catholique brandit par certains.
Ce choix relève d’un refuge ultime pour les parents qui majoritairement plébiscitent la qualité de l’enseignement avant tout.
Le principal argument des contempteurs des filières privées ou préparationnaires réside dans l’aspect financier. Pourtant, les magistrats ont montré notamment que les enseignants du privé, payés par l’État, coûtaient moins cher que leurs homologues du public. « La rémunération mensuelle nette des professeurs du privé est inférieure de 15 % à celle de leurs homologues du public, soit un écart d’environ 400 € net par mois », évalue la Cour des comptes.
Autre illustration du moindre poids relatif du privé dans les comptes publics : le profil des élèves qu’il accueille, qui bénéficient moins des politiques de soutien. L’école libre n’est ainsi pas concernée par les dédoublements de classe prévus en éducation prioritaire, de la grande section au CE1. Un dispositif qui « pèse » lourd dans les comptes du public.
Ce même rapport reproche au privé un net recul de la mixité sociale et scolaire, variable selon les territoires. Il est pourtant avéré que l’enseignement public n’est pas exempt, loin de là, de ce même reproche.
En fait, de plus en plus, le rapport rappelle que « L’enseignement privé sous contrat apparaît ainsi majoritairement comme un enseignement « de recours » face à un enseignement public perçu par une partie des familles comme moins performant et moins sécurisant. »
Doit-on, en conséquence, reprocher aux familles en question de prendre à cœur la scolarisation et l’avenir de leurs enfants ou, plutôt, réagir face à la démission de certains parents rencontrée par les enseignants du public face aux problèmes de comportements et d’implication des élèves, remettre au centre du système public ce qui n’aurait jamais dû le quitter ?
Ce recul de la mixité, avec en filigrane le reproche d’un entre-soi d’un milieu dit favorisé, est surtout le signe d’une inquiétude, d’une volonté idéologique de faire disparaitre tout latitude pour les parents de choisir un cadre d’enseignement pour leurs enfants.
Dans une société qui prône le droit à la différence, la liberté de choisir sa façon d’être et de vivre, paradoxalement, cela serait donc refusé pour l’enseignement, creuset de l’émergence de la personnalité des enfants.
Quels constats en tirer ?
Si l’on s’appuie sur le rapport de la cour des Comptes, ainsi que sur la hauteur de vue permise par des décennies de cohabitation, plusieurs pistes se dessinent :
– Contrairement à ceux publics, les établissements privés sous contrat bénéficient d’une large autonomie d’organisation : les pouvoirs de leurs chefs d’établissements sont plus étendus que dans le public en matière non seulement d’inscription des élèves (or cela implique l’acceptation de la notion de sélection), mais aussi de recrutement des enseignants et des remplacements en cas d’absence. Ainsi, les remplacements courts de professeurs effectués entre collègues se font sur la base du bénévolat. Il est vrai que Les enseignants du privé étant contractuels et non fonctionnarisés, doit-on mettre cela sur une conscience professionnelle accrue ou sur le fait qu’ils n’aient pas la sécurité de l’emploi ? Un peu des deux peut-être.
– Le système éducatif privé est un dispositif doté d’une large autonomie d’organisation, financé majoritairement par des fonds publics (à hauteur de 55 % pour le 1er degré et 68 % pour le 2nd degré). Mais doit-on s’en offusquer quand, selon la formule de circonstance « en même temps », il est reconnu que l’enseignement privé sous contrat apporte une contribution indiscutable à l’offre de formation.
Pour rappel, en valeur, « si l’État devait scolariser l’ensemble des élèves du privé, il devrait dépenser 9 milliards d’euros par an », selon Philippe Delorme, secrétaire général du SGEC.
Le privé permet donc à l’État de faire des économies et ce constat est à nouveau rappelé dans le rapport de la Cour des comptes. Supprimer l’école privé, c’est créer un afflux massif d’élèves que le public, déjà mal en point, est incapable d’absorber.
Plutôt que de stigmatiser les familles quand elles choisissent de scolariser leur enfant dans le privé, la seule démarche digne de ce nom serait de convaincre les parents de poursuivre la scolarité de leurs enfants dans le public. Pour cela, faut-il encore leur en donner envie, ce qui implique non seulement de s’en donner les moyens mais, surtout, de choisir les bons objectifs en renouant avec l’autorité et l’exigence.
Floriane Zagar
Enseignante à l’Université Paris-Est-Créteil – UPEC