Lorsque les dirigeants de la nouvelle entité corse ont demandé la co-officialité de la langue corse et du français dans l’objectif en particulier de sauver cette langue régionale, l’ensemble des dirigeants français s’est mis à pousser des cris d’orfraie. La seule langue de la République est le français ! Fin de la discussion.
Toute disparition de langue est pourtant avant tout celle d’un patrimoine historique, culturel et humain. Mais cette triste constatation d’une mort annoncée semble de bien peu de poids face à la préservation du dogme républicain. Comment ne pas prendre toutefois conscience du coté paradoxal et même cocasse d’une telle réponse, surtout à notre époque ?
On a du mal à imaginer le danger que le corse, qui évidemment ne se substituerait pas au français, ferait peser sur la République.
Les efforts considérables de la Collectivité Corse pour la survie de la langue à différents niveaux du tissu social (écoles, formation des adultes, culture…) sont salutaires, mais la co-officialité constituerait le vecteur déterminant d’une véritable diffusion populaire en particulier auprès des jeunes.
Elle n’exclurait évidemment pas ceux qui se sentiraient étrangers à cette langue mais conférerait en revanche à ceux qui parlent le corse la reconnaissance de leurs racines insulaires, souvent de leur langue maternelle et permettrait également aux nouveaux arrivants qui le souhaiteraient de découvrir cette langue et ainsi la culture, l’histoire et l’âme du territoire, en un mot cette spécificité, que le président Macron propose aujourd’hui d’inscrire dans la Constitution.
Un argument souvent avancé par les opposants de la co-officialité est celui de l’inutilité d’apprendre ou de parler une langue dont le nombre de locuteurs est réduit et déclinant. En réalité, une telle approche trouve sa source dans la conception réductrice d’une langue comme un simple outil, dont seules comptent l’efficacité et la rentabilité dans un monde mercantile. Alors abandonnons le corse, et pourquoi pas le français, et passons directement à l’anglais.
Il semble bien que les gardiens du dogme républicain opposés à la demande de la Collectivité Corse – dont la légitimité populaire ne souffre d’aucune discussion – ignorent totalement la réalité d’une menace actuelle beaucoup plus réelle et sérieuse et dont ils portent la lourde responsabilité : le cantonnement du français au statut de langue « régionale ».
Très à l’aise, le chef de l’État s’exprime fréquemment en anglais, non seulement dans ses allocutions à l’étranger mais aussi en France. Il est paradoxal et regrettable d’entendre le président d’une République si sourcilleuse de l’exclusivité du français s’exprimer aussi spontanément dans la langue dominante mondiale, faisant totalement fi de la francophonie. Par bonheur, un interprète traduit alors son discours dans notre langue, nationale et officielle.
Que ces dirigeants se rassurent, le jour n’est pas si loin où le choix de la langue ne se posera plus : le monde entier ne parlera plus qu’anglais et la France aura résolu avec brio et faute de combattants la question des langues régionales.
Pierre Lorenzi