A un peu plus de deux ans des élections municipales, les discussions s’accélèrent à l’Assemblée Nationale afin de supprimer le mode de scrutin particulier aux trois plus grandes villes françaises. Mais le diable se situe toujours dans les détails des mécanismes électoraux.
C’est un marronnier politique à chaque approche d’élection municipale : doit-on élire directement les maires de Paris, Lyon et Marseille ? Disons-le d’emblée, les termes du débat sont mal posés : aucun maire en France n’est élu directement. Partout, les citoyens élisent directement des conseillers municipaux qui, à leur tour, élisent leur maire. Tous les maires sont donc élus indirectement.
Mais à Paris, Lyon et Marseille, depuis 1983 et la loi dite « PLM », les maires sont élus indirectement “au carré”, puisque les citoyens de ces trois villes élisent – par secteur et non à la proportionnelle générale – des conseillers d’arrondissement, dont certains sont fléchés comme conseillers municipaux, ces conseillers municipaux (à Paris, les conseillers de Paris) élisant à leur tour leur maire.
Ce mode de scrutin comporte une logique doublement indirecte qui n’est pas, en soi, anti-démocratique. Ces villes étant largement plus peuplées que le reste des villes françaises, il n’est pas illogique qu’un niveau intermédiaire, l’arrondissement, soit nécessaire tant du point de vue administratif que politique: la nécessité d’une proximité démocratique avec des élus de terrain. Et à plus juste raison lorsque le terrain en question peut compter à lui seul 230000 habitants, soit l’équivalent d’une ville comme Rennes, ce qui est le cas du XVème arrondissement de Paris.
Mais ce système électoral en vigueur, basé sur l’arrondissement, n’en comporte pas moins des anomalies démocratiques devenues peu acceptables, qui compromettent la légitimité, la représentativité et l’efficacité de l’action publique dans ces trois villes concernées.
Les anomalies d’un mode de scrutin devenu problématique
Sa première anomalie, évidente, est qu’il permet à un candidat minoritaire en voix d’être élu maire.
Aux États-Unis, État fédéral, cette logique inhérente au scrutin indirect, à l’œuvre pour l’élection présidentielle, est pleinement justifiée, car elle équilibre le poids politique des électeurs de différents États pour préserver l’unité nationale.
Elle devient en revanche peu pertinente dans nos contextes parisien, lyonnais ou marseillais, où les différences historiques, politiques et sociales entre arrondissements sont bien moins marquées que celles entre États. Quand bien même il subsiste un patriotisme d’arrondissement, convenons que les différences d’identité politique entre un citadin du huitième arrondissement de Paris et son voisin du neuvième sont moins évidentes que celles entre un habitant du Kentucky et un autre de l’État de New York.
En conséquence, il est intellectuellement discutable et politiquement déplorable que dans nos trois principales villes françaises, la valeur relative d’une voix change en fonction de l’arrondissement de résidence.
Comment justifier que le poids politique d’un citoyen parisien diffère selon qu’il habite d’un côté ou de l’autre de la rue d’Amsterdam, frontière entre les huitième et neuvième arrondissements de la capitale?
A Paris, Lyon et Marseille, lorsqu’il s’agit de participer à la vie politique de la cité, toutes les voix ne se valent pas, ce qui créé un véritable problème démocratique de représentativité des élus municipaux.
La deuxième anomalie est celle du manque de transparence. Ces scrutins sont peu compréhensibles. Il est peu instinctif qu’une candidate battue sur son nom dans son propre arrondissement puisse l’emporter à l’échelle de la ville et devenir maire. Ce fut pourtant le cas d’Anne Hidalgo en 2014, comme cela pourrait l’être de nouveau demain, avec ce même mode de scrutin, pour l’un de ses opposants. Comment rendre des comptes à des citoyens qui ne vous ont pas directement élu ? Pourquoi même effectuer cet effort ? Les comptes ne sont alors rendus qu’au microcosme politique de qui le pouvoir est tenu. Il ne faut guère s’étonner que ce système, poussé à l’absurde, puisse conduire à des pratiques du pouvoir déconnectées des besoins des citoyens, méprisantes voire autoritaires.
Ce manque de transparence, associé à une représentativité insuffisante, prive de souffle politique et d’élan populaire des élus qui en auraient pourtant bien besoin, étant donné leurs responsabilités qui engagent tant de citoyens, et parfois même l’image du pays.
Les maires des trois grandes villes françaises ont besoin d’une légitimité politique maximale pour mener à bien leurs missions. Il est inconcevable que le système électoral leur en accorde moins qu’à tous leurs homologues en France.
La troisième anomalie, résultante des deux premières, réside dans le risque de dérives clientélistes que ce mode de scrutin induit. Chaque arrondissement n’ayant pas exactement le même poids électoral, il suffit, pour gagner l’élection, de s’assurer la victoire dans un certain nombre d’arrondissements clés. Ce qui signifie bétonner certains arrondissements et en délaisser certains autres, tant en période électorale que durant le mandat. En matière de bonne gestion, de transparence et de cohésion d’un territoire, le mode de scrutin PLM sert moins l’intérêt commun que des logiques de martingale politique dans laquelle certains excellent davantage que d’autres, notamment au moyen des politiques sociales.
Les modes de scrutin ne sont pas qu’un terrain d’études pour amateurs de code électoral. Ils méritent une grande attention car ils définissent toujours des mœurs politiques.
La complexité du scrutin actuel démobilise les citoyens en les éloignant de la prise de décision publique. Pire encore, elle entraîne une atonie civique qui profite aux minorités activistes, le plus souvent aux dépens de la décence commune et rarement au bénéfice de la compétence et de la modération.
Le mode de scrutin actuel semble donc être arrivé au bout de sa logique intellectuelle et politique.
Les trois principales options de mécanique électorale
Alors que faire ?
Une proposition de loi portée par Sylvain Maillard, accueillie à priori favorablement par Rachida Dati et Benoit Payan, et beaucoup moins par la majorité d’Anne Hidalgo, se dessine pour supprimer la loi PLM et aligner le mode de scrutin à Paris, Lyon et Marseille sur l’ensemble des communes françaises.
L’intention est très louable, il convient d’en finir avec les anomalies démocratiques mentionnées et laisser les citoyens de ces trois villes se réapproprier le pouvoir d’élire plus directement leur maire.
Mais le diable est dans les détails, surtout lorsqu’il s’agit de modes de scrutin. Des clarifications doivent être apportées en préalable à toute réforme, notamment autour de deux questions fondamentales. Comment assurer un mode de scrutin lisible, juste et compatible tant avec les enjeux de bonne administration de ces villes ? Comment concilier l’élection directe des conseillers municipaux et le maintien éventuel des maires et conseils d’arrondissement ?
La réponse à ces interrogations requiert une plongée dans le monde complexe de l’ingénierie électorale. Trois options se profilent, chacune devant être examinée et tranchée rapidement afin d’assurer la réussite de cette réforme dans les tous prochains mois, en prévision de l’élection de 2026.
La première option est un retour au mode de scrutin et d’organisation des pouvoirs municipaux de 1977. Dans ce type de configuration, les parisiens élisaient à la proportionnelle, en scrutin de liste unique au niveau municipal, les conseillers de Paris qui eux-mêmes élisent leur maire, exactement comme dans chaque commune française de plus de 1000 habitants. Cette solution, aussi simple et facile qu’elle soit, supprime de facto les maires d’arrondissement, auquel les parisiens semblent attachés même si leurs pouvoirs sont faibles (lire naturellement les marseillais et les lyonnais, éludés pour ne pas surcharger le texte). Avant 1983, il n’y avait pas de maire d’arrondissement. Il y avait toutefois des conseils d’arrondissement, sans maire élu, composé des conseillers de Paris originaires de l’arrondissement en question et complétés par des personnalités qualifiées désignés par l’exécutif parisien, et nous pourrions imaginer des mécanismes analogues. S’il a l’avantage de la facilité, ce mode de scrutin présente l’inconvénient de la perte de l’arrondissement comme entité politique et de ses bénéfices: pouvoir s’adresser à un élu de proximité, participer à la politique de quartier, créer des projets locaux. Cette solution n’apparaît donc pas totalement satisfaisante.
Une deuxième possibilité consisterait en séparer totalement l’élection du conseil municipal de celle du conseil d’arrondissement. Les électeurs auraient ainsi à voter deux fois, le même jour: une fois pour élire les Conseillers de Paris, au scrutin de liste unique, une fois pour élire leurs conseillers d’arrondissement. Cette éventualité permet de simplifier l’élection du maire du Paris tout en gardant les bénéfices des conseils d’arrondissement, renforcés.
Après tout, rien n’empêche d’apprécier son maire d’arrondissement de gauche et de vouloir voter à droite pour la mairie centrale, et inversement.
Cependant, elle crée un risque de compétition pour la légitimité entre l’arrondissement et la mairie centrale, potentiellement affaiblissant l’autorité du maire. Qu’arriverait-il si les affiliations politiques du maire de la ville et de la majorité des maires d’arrondissement diffèrent ? Cette rivalité démocratique entre le maire d’arrondissement et le maire de la ville, élus de la même manière, ravirait certes les partisans d’une maximisation des contre-pouvoirs, mais elle constituerait une menace pour la bonne administration, avec des risques d’immobilisme pour les projets comme de confusion pour les citoyens.
Le modèle des élections régionales
Une troisième solution, mixte, émerge donc, combinant clarté électorale, autorité renforcée des maires, et légitimité des conseils d’arrondissement. Il s’agit d’un mode de scrutin semblable à celui des élections régionales. Ces dernières s’opèrent à travers des listes régionales reposant sur des sections départementales.
En 2021 les franciliens savaient pertinemment s’ils votaient pour Valerie Pécresse, Julien Bayou ou Audrey Pulvar, et avaient l’impression d’élire “directement” leur président de région. Et pourtant les listes des candidats étaient divisées par section départementale, de manière à ce que tous les départements soient représentés de manière équitable. Le nombre d’élus sur chacune des listes est déterminé selon leur score au niveau régional (après prise en compte d’une prime majoritaire), ce qui permet de distinguer des majorités claires et de donner au vote une vraie lisibilité. Puis nombre d’élus par liste sont répartis entre les sections départementales proportionnellement aux votes obtenus par la liste dans chaque département.
Un mode de scrutin analogue pourrait être envisagé pour l’élection du Maire de Paris. Explicitons par l’exemple. La candidature municipale menée par Rachida Dati présenterait une liste propre dans chaque arrondissement parisien. Le score parisien de la candidature Dati déterminerait le nombre de conseillers de Paris élus sous sa bannière. Disons, pour simplifier les calculs, qu’elle obtiendrait 100 conseillers de Paris. Ses sièges seraient répartis selon les scores obtenus dans chaque arrondissement: si 5% des suffrages totaux de la candidature Dati sont obtenus dans le 11ème arrondissement, alors 5 conseillers de Paris sous étiquette Dati proviendraient de sa liste du 11ème arrondissement. Et dans le même temps, les conseillers d’arrondissement seraient élus à la proportionnelle d’après le score obtenu par chaque liste dans l’arrondissement.
Ce mode de scrutin, bien que complexe en théorie, serait extrêmement simple pour l’électeur qui n’aurait qu’à voter pour une candidature globale avec répercussion locale. Il permettrait aux électeurs de choisir sereinement et équitablement leur maire – chaque voix étant ainsi égale – tout en assurant la permanence et la légitimité des conseils d’arrondissement.
Une réforme, maintenant ou jamais ?
Si aucune solution n’apparaît parfaite, ce calque du mode de scrutin régional sur les élections municipales à Paris, Lyon et Marseille semble un dispositif crédible et solide pour renforcer la légitimité démocratique des maires des trois plus grandes villes de France tout en respectant la spécificité de ces trois territoires et en conservant la vigueur de l’échelon nécessaire que constitue l’arrondissement.
Quelle que soit la solution choisie, puisse ce débat sur le mode de scrutin se tenir au plus vite et de la manière la plus rigoureuse et transparente possible afin que les prochaines élections municipales se déroulent dans un contexte serein, propice au débat démocratique que méritent les enjeux cruciaux des trois premières villes de France en matière de sécurité, de propreté, de logement et d’attractivité, pour ne citer que quelques-uns des nombreux défis qui se présentent.
La configuration politique des deux chambres semble, pour la première fois depuis bien longtemps, donner à cette réforme une chance d’aller à son terme, mais le temps est désormais compté.
S’il est rare que les évolutions de la loi électorale bénéficient, dans un premier temps tout du moins, à ceux qui en sont à son initiative, il convient de mettre de côté les calculs opportunistes des périodes pré-électorales et de donner enfin à Paris, Lyon et Marseille un mode de scrutin juste, transparent, représentatif, et qui puisse susciter un nouvel élan démocratique.
Romain Marsily
Diplômé de l’ESCP et de Sciences Po Paris
Spécialiste des médias et des stratégies de communication
Producteur notamment du podcast d’actualité géopolitique Le Corse et l’Auvergnat
Enseignant à Sciences Po Paris dans le Master Communication, Médias et Industries créatives.