La journée du 30 avril 2019 a marqué une nouvelle étape dans la crise politique, institutionnelle et de légitimité dans laquelle se débat le Venezuela. Au-delà du déroulement précis de « l’Opération Liberté », dont on apprécie encore mal la teneur exacte en raison de l’interdiction faite aux principaux médias internationaux de couvrir les évènements, ce paroxysme dans la crise peut cependant s’analyser à plusieurs niveaux.
Le premier d’entre eux, le plus évident sans doute, est que la machine militaire vénézuélienne n’a pas basculé à ce jour du côté du président intérimaire, Juan Guaidó. Sur les 2000 officiers généraux que compte le pays et dont l’immense majorité sont sans commandement actif, pas un ne semble avoir apporté son soutien public à « L’opération Liberté ». Attentisme, peur des représailles du régime en cas d’échec ou de la Justice américaine et vénézuélienne en cas de succès ou encore souci de ne pas voir disparaître les avantages de la prédation économique dont bénéficient les échelons supérieurs de l’armée, le fait est que l’institution militaire est demeurée largement sourde aux chants des sirènes de l’opposition.
Si ce constat ne peut que perturber les promoteurs de l’opération d’hier, à Caracas comme à Washington, il n’en est pas moins vrai que la faiblesse du régime Maduro est aussi apparue sous un nouveau jour avec la libération de Leopoldo López, principale figure d’opposition, par des agents de la SEBIN, le très craint service de sécurité de l’Etat. Dans la guerre totale que se livrent les deux factions et leurs conseillers étrangers, le contrôle des services de renseignement et de la sécurité d’Etat constitue un enjeu de première importance. Le basculement, fut-ce sans lendemain, d’une partie de la SEBIN aux côtés des forces d’opposition marque à cet égard une étape inédite dans la crise. Malgré le contrôle étroit des agents cubains sur les services vénézuéliens, ceux-ci n’ont pu empêcher que prospère un plan subversif au sein même des organes de sécurité. Comme dans tous les régimes autoritaires où la protection du régime et de ses dirigeants se confond avec celle du pays, la trahison de la SEBIN constitue donc une alerte particulièrement forte pour Nicolas Maduro et son entourage.
Cette « Opération Liberté » est également intervenue au moment même où les État- Unis viennent d’activer leurs dernières mesures de guerre économique contre le régime vénézuélien. L’interdiction totale d’importation de pétrole vénézuélien par Washington et les menaces afférentes contre les pays qui ne se soumettraient pas à cette disposition américaine à effet extraterritorial devraient avoir pour conséquence de finir de mettre définitivement à genoux une économie devenue exclusivement dépendante de la rente pétrolière. Les derniers centimètres d’ouverture concédés les mois passés par Washington au régime, au moins autant pour éviter une montée des prix du brut aux effets indésirables sur l’économie américaine que pour disposer d’un outil de coercition gradué, se sont définitivement refermés. La crise sociale, économique et humanitaire n’en sera que plus dure et constitue une toile de fond qui rend hautement improbable l’hypothèse d’une négociation entre forces politiques d’opposition et un régime qui n’a d’autre option que son maintien à tout prix ou la fuite vers La Havane ou Téhéran.
Dans un espace politique interne polarisé à outrance, internationalisé par l’affrontement indirect que se livrent les États-Unis et ses alliés avec le bloc Russie, Chine, Iran et Cuba, qui n’est pas sans rappeler l’autre champ d’expérimentation internationale que constitue la Syrie, les appels au dialogue et à la modération n’ont malheureusement pas beaucoup de chances de dépasser le stade des bonnes intentions.
La seule option envisageable serait la constitution d’un front commun entre l’opposition et les éléments dissidents du chavisme politique et la construction d’un pacte de gouvernement autour de la restauration des libertés et la préservation de l’élan social initial de l’aventure chaviste. Il n’en demeure pas moins que cette perspective très floue n’aurait de possibilité de se concrétiser qu’à partir du moment où Nicolas Maduro et les éléments les plus infréquentables du régime s’effaceront du paysage. Avec l’échec de « l’opération Liberté » du 29 avril, rien n’indique malheureusement que cela puisse se réaliser à brève échéance.
L’avenir du Venezuela demeure aujourd’hui plus que jamais incertain.
François Vuillemin
Ancien chef des services économiques français au Venezuela
Spécialiste de l’Amérique du Sud