Les élections européennes arrivent à bas bruit. Brouillées par la crise des gilets jaunes et le grand débat, elles se cherchent une visibilité et un sens. Majoritairement, l’opinion a pour cette consultation à venir les yeux d’une vache assoupie dans son enclos pour un train qui passe au loin. Pour autant, après juste deux ans de macronisme, le scrutin constitue un premier crash-test grandeur nature des forces en présence et de leur évolution.
Le pouvoir mise beaucoup sur cette épreuve : il y voit le moyen, si sa liste débouche en tête au soir du 26 mai, de s’assurer une «re-légitimation» de sa ligne politique, quand bien même les oppositions seraient très majoritaires dans le pays. Il faut créer un effet d’optique pour relancer le storytelling. Toute la stratégie des marcheurs est de doper du virtuel à grands coups de com’. C’est ce dernier qui à leurs yeux tient lieu d’abord et exclusivement de réel. Pour les macronistes, la politique se construit comme une projection : la société est un écran sur laquelle on doit produire des faisceaux lumineux pour éclairer des bribes de réalité qui ne sauraient être toute la réalité. Peu importe : l’essentiel est de faire illusion ; une courte victoire fera l’affaire car elle démontrera que, nonobstant la bascule événementielle des derniers mois, la force centrale du pays, serait-elle minoritaire, reste la start-up «En marche».
Dans ce monde d’agrégats minoritaires qu’est devenu le champ politique hexagonal , la première des minorités se transforme en quasi-corps majoritaire de la nation .
C’est cette transsubstantiation eucharistique que vise Emmanuel Macron à l’occasion d’une élection dont il aspire à ce qu’elle le sanctifie, lui et sa politique, à un moment où l’un comme l’autre n’ont sans doute jamais été autant contestés.
Le pari n’est pas sans risque néanmoins ; car en érigeant la bataille pour le parlement européen en «petite mère» de toutes les batailles, tant au plan interne qu’externe, le Président prend le risque en retour, si jamais le résultat ne correspondait pas à ses attentes, de se fragiliser, voire de se «corneriser». À ne pas banaliser le scrutin, à le dramatiser dans la scénographie «progressistes/populistes» élargie à toute l’Europe , Emmanuel Macron non seulement se sur-expose, sur-investit la mise sur un numéro incertain, mais créé les conditions de son immobilisation en France et de son isolement sur le théâtre européen. Le scrutin du 26 mai s’il produisait cette double-contrainte, annihilant la magie communicante, ramènerait par la fenêtre la politique du réel et l’hypothèse d’une éventuelle dissolution de l’Assemblée Nationale. À rebours, si le Président parvenait à s’extirper, même d’une courte tête, d’une compétition en apparence émolliente, il demeurerait pour un temps le grand ordonnateur planant au-dessus d’une scène politique aussi chaotique qu’inquiétante.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef