Il y a une quinzaine d’années Jacque Semelin publiait un ouvrage remarquable La liberté au bout des ondes, Du coup de Prague à la chute du mur de Berlin (Nouveau Monde, 2009). Le bloc de l’Est s’est en effet fissuré aussi grâce à la liberté des ondes et de la presse. Et on pourrait même dire de la liberté de communication. Cette dernière est un des critères majeurs de différenciation entre la démocratie et la dictature. Foin de cette liberté en Chine, en Russie ou en Iran. Et bien nous, pays de la Déclaration de 1789, nous nous mettons à fliquer certains médias. L’exemple de CNews, dans le viseur du CE et de l’Arcom est patent.
Rappelons d’abord qui compose exactement ce triplé qui défraye la chronique. Ensuite nous verrons ce qu’il en est de la polémique.
Le CE a été mis en place par Napoléon 1er. Bien entendu, la conception démocratique de ce dernier, cantonnait ledit Conseil à un rôle de conseiller juridique. Pas question d’être une juridiction. D’abord parce qu’il était inconcevable de contester une quelconque décision impériale. Par ses missions, notamment jurisprudentielles, le Conseil est l’un des piliers importants de l’État de droit. D’une part, il tranche les litiges qui opposent les citoyens, entreprises et associations aux administrations. D’autre part, il propose au Gouvernement et au Parlement des améliorations pour sécuriser les lois et réglementations, avant qu’elles ne soient votées ou entrent en vigueur. En parallèle de ces deux grandes missions, le Conseil d’État élabore des études sur des questions de droit et de politiques publiques à son initiative ou à la demande des administrations. Il rend à ce titre des rapports. Il assure également la gestion des 42 tribunaux administratifs, 9 cours administratives d’appel et de la Cour nationale du droit d’asile. Précisons que, premier corps de l’État, le Conseil d’État comprend 300 membres dont les deux tiers sont en activité au sein du Conseil et un tiers à l’extérieur. Également le traitement au CE varie entre environ 6000 euros nets pour un auditeur à 16 170 € nets pour le vice-président.
L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) est l’autorité publique indépendante française qui résulte de la fusion le 1er janvier 2022 du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet.
Il est mentionné sur le site de l’autorité que cette régulation s’opère au service de la liberté d’expression dans l’intérêt du public et en concertation avec les professionnels. Cela veut dire promouvoir et protéger la création, assurer la régulation des acteurs techniques et économiques, garantir le pluralisme et la cohésion sociale et superviser les plateformes en ligne et les réseaux sociaux. L’Arcom est composée de neuf membres, hauts fonctionnaires ou personnalités de l’audiovisuel, nommés par le président de la République (son président), les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale (trois membres chacun), le Conseil d’État et la Cour de cassation (un membre chacun). La rémunération du président est d’environ 180000 euros par an. Les autres membres sont autour de 10000 nets mensuels
CNews (abréviation de Canal News), anciennement connue sous les noms d’« i>télévision » (1999) puis « I-Télé » (2001), est une chaîne de télévision privée d’information en continu nationale française. C’est en 2016 qu’il y a reprise en main du groupe Canal+ par Vincent Bolloré (ami intime de N.Sarkozy). La chaîne est rebaptisée CNews le 27 février 2017.
Sa nouvelle ligne éditoriale devient très ancrée à droite et conservatrice, avec une orientation marquée de plus en plus vers des thèmes qui vont avec comme l’immigration et l’insécurité.
Jusqu’en 2021 son chroniqueur vedette est Eric Zemmour souvent intérrogé par Christine Kelly. Il est d’ailleurs souvent invité sur cette chaine durant la campagne présidentielle. On assimile souvent cette CNews à Fox News.
Le cadre étant posé, quid de la polémique ? Au printemps 2022 l’association Reporters Sans Frontière (fondée en 1985 par quatre journalistes dont Robert Ménard) avait reproché à la chaîne de Vincent Bolloré de faire fi du pluralisme d’opinion et de manquer d’indépendance vis-à-vis de son actionnaire, deux obligations auxquelles elle est astreinte par sa convention de chaîne d’information, en échange de son autorisation d’émettre sur la TNT gratuite.
Pour être clair précisons que RSF reprochait à CNews de ne plus être une véritable chaîne d’information. Et surtout RSF demandait à l’ARCOM de mettre en demeure CNews de respecter ses obligations.
Dans un arrêt du 13 février 2024 (n° 463162, association Reporters sans frontières) le Conseil d’État a jugé que, pour apprécier le respect par une chaîne de télévision, quelle qu’elle soit, du pluralisme de l’information, l’Arcom doit prendre en compte la diversité des courants de pensée et d’opinions représentés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités, et pas uniquement le temps d’intervention des personnalités politiques. Le Conseil d’État juge également que l’Arcom doit s’assurer de l’indépendance de l’information au sein de la chaîne en tenant compte de l’ensemble de ses conditions de fonctionnement et des caractéristiques de sa programmation, et pas seulement à partir de la séquence d’un extrait d’un programme particulier. Faute d’avoir examiné tous ces aspects, l’Arcom devra réexaminer sous 6 mois la demande de mise en demeure à l’encontre de CNews, formulée par l’association, en tenant compte des précisions apportées par le Conseil d’État sur la portée des obligations prévues par la loi.
Le CE a estimé que le pluralisme de l’information ne se limite pas au temps de parole des personnalités politiques. Il appartient donc à l’Arcom de veiller à ce que les chaînes assurent, dans le respect de leur liberté éditoriale, l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinions en tenant compte des interventions de l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités.
De même le CE a estimé que l’indépendance de l’information s’apprécie au regard de l’ensemble des conditions de fonctionnement d’une chaîne et des caractéristiques de sa programmation.
Lorsque l’on lit la décision un peu attentivement, on constate que le Conseil d’État estime ne pas se prononcer sur le respect par les programmes de la chaîne CNews des exigences de pluralisme et d’indépendance de l’information. Il précise les principes applicables au contrôle que l’Arcom doit exercer sur le respect de leurs obligations légales par l’ensemble des chaînes et rappelle que, dans le respect de ces principes, le régulateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans l’exercice des prérogatives qui lui sont conférées par la loi. Finalement, et on l’a peu dit, le CE renvoie en quelque sorte l’Arcom à l’exercice de ses compétences. On pourrait dire bien vu. Mais également, on peut rejoindre Jean-Eric Schoettl, ancien directeur général du CSA (et ex secrétaire général du CC) lorsqu’il estime que les exigences formulées par le Conseil d’État, par leur lourdeur et leur effet homogénéisant et démobilisateur, risque d’entraver la liberté d’expression et la liberté d’entreprise dans le domaine audiovisuel.
Mais il est selon nous un autre point peu relevé. La question du pluralisme se pose aussi pour le service public où d’aucuns observent et contestent l’orientation très à gauche de certains plateaux. Et si RSF faisait alors son devoir de façon objective, il serait intéressant de voir ce que ferait l’Arcom et le CE.
« La presse est le miroir de la société, mais il peut aussi être son manipulateur. » – Gabriel Garcia Marquez
Raphael Piastra,
Maitre de Conférences en droit public des Universités
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