L’Amérique latine compte désormais 25 000 cas déclarés de Covid-19 et plus de 1 000 décès. Comment les gouvernements de ces pays, déjà fragiles et vulnérables sur les plans social et économique, luttent-ils contre la pandémie ? Réponse de Pascal Drouhaud, président de l’association LatFran, vice-président de l’Institut Choiseul et Guillaume Asskari, journaliste et producteur, spécialiste de l’Amérique latine.
La pandémie du coronavirus n’a épargné aucun continent. Avec plus de 3,5 milliards de personnes confinées, soit la moitié de la population mondiale, le coronavirus nous fait réellement rentrer dans le XXIe siècle. Dans un terrible décompte, au soir du 5 avril dernier, 64 795 personnes étaient décédées, 1 203 923 étaient contaminées dans 183 pays.
Par la force de la pandémie et sa dimension universelle, nous commençons à comprendre qu’il y aura, à l’instar du 11 Septembre 2001, un avant et un après Covid-19.
Le monde avait oublié la grippe espagnole de 1918-1919, ses dizaines de millions de morts, emportés par la nécessaire reconstruction de l’entre deux guerres. Le Covid-19 nous rappelle à nos responsabilités, nos contradictions et faiblesses. Les contours des relations internationales post-coronavirus commencent à se dessiner, devant concilier le fait économique de la globalisation dans le retour en force des frontières.
L’Amérique latine et les Caraïbes sont entrées de plein pied dans la crise sanitaire aux conséquences politiques encore inconnues et aux risques sociaux majeurs dans des sociétés fragmentées.
La diversité de l’Amérique latine se vérifie dans les réactions devant le danger sanitaire : plutôt que de faire jouer les coopérations régionales, chaque pays a fait prévaloir la prééminence nationale.
Quelques semaines après le début de la pandémie, l’Amérique latine s’est très vite claquemurée face au virus et devant le danger d’une expansion venant de son voisin : premiers confinements et quarantaine à partir du 20 mars, comme en Argentine, au Chili, au Pérou, en Equateur, au Panama ou au Salvador, isolement obligatoire à l’instar de la Colombie, fermeture des frontières terrestres sinon aériennes comme au Brésil, au Costa Rica, couvre feu nocturne au Chili, au Pérou notamment. La quarantaine est désormais effective dans la plupart des pays. De son côté, le Venezuela s’était placé dès le 17 mars, en quarantaine.
Dans de nombreux pays, une logique de prévention de la crise a été adoptée. Le Chili, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay, le Pérou, la Colombie, l’Equateur, le Panama, le Costa Rica, le Salvador, le Guatemala, avaient pris des mesures en amont, devant la violence de la crise en Europe. Mais ces mesures ne parviennent pas à rassurer les opinions publiques mais également les marchés. L’instabilité sanitaire et le manque d’infrastructures de certaines zones sont préoccupants.
Les populations les plus reculées sont souvent les plus vulnérables. C’est le cas en Amazonie. Depuis la déclaration du premier cas le 26 février dernier à Sao Paulo au Brésil, les chiffres montrent l’expansion de la crise : plus de 25 000 cas déclarés, plus de 1 000 décès. Combien ne sont pas connus des services publics ? Le Brésil avec respectivement 5 717 cas et 201 décès, l’Equateur et ses 2 915 contaminés et 93 morts, la République dominicaine, 1 284 et 57 décès rappellent que le mal s’étend et là encore, n’a pas de frontières (chiffres au 1er avril dernier).
Une pandémie sur fond de crises sociales et fragmentation politique
La pandémie arrive dans un moment difficile pour le continent : les crises sociales hautement politiques de la fin 2019, ont rappelé la fragilité de l’encadrement social et en matière de santé dans la plupart des sociétés du continent, incluant celles que l’on croyait solides comme au Chili.
Fin 2019, l’effervescence sociale éclatait dans plusieurs pays, au Chili, en Equateur. Elle accompagnait la crise politique en Bolivie, commençait à apparaître en Colombie, était absorbée non sans questionnements par l’alternance politique en Argentine. Toute l’année avait été marquée par une crise profonde au Venezuela.
La pandémie qui gagne désormais le continent menace d’emporter le système social et sanitaire qui reste fragile : avec 620 millions d’habitants, l’Amérique latine-Caraibes compte plus de 160 millions de pauvres, près du quart de la population.
L’économie informelle alimente une solidarité familiale qui supplée les insuffisances des Etats qui ne sont pas parvenus à construire durant les dernières décennies, un système sanitaire et de protection qui soit universel. Les systèmes privés de santé se sont renforcés alors que les Etats ont du mal à financer un système public.
La crainte de voir les systèmes de santé engloutis par une pandémie massive, l’appréhension d’une crise sociale et économique majeure, conduisent les gouvernements à prendre des mesures extrêmes comme la fermeture des frontières nationales. C’est le cas entre la Colombie et le Venezuela, l’Uruguay et l’Argentine, le Guatemala et le Salvador. Le Chili, l’Argentine et le Pérou n’accueillent plus les bateaux de croisière. Une autre mesure, prise à peu près partout, reste la suspension des vols avec l’Europe et l’Asie. Le Paraguay, Cuba, le Panama, la Bolivie, la République dominicaine, le Venezuela, la Colombie, le Pérou, le Costa Rica, le Salvador, le Guatemala, l’Equateur sont parmi ceux qui ne veulent plus accueillir sur leurs sols, les étrangers arrivés sur des vols intercontinentaux.
La fermeture des frontières est une des rares mesures qui semblent faire consensus entre les pays. Mais elle se traduit par une chute du commerce inter-régional et international renforçant le risque de crise économique alors que les Etats se relevaient à peine des crises de 2019 et absorbaient à peine la crise financière de 2008. En janvier 2020, les dernières élections législatives anticipées au Pérou rappelaient la réalité de cette fragmentation politique. Aucun parti n’avait obtenu plus de 10 % des voix au premier tour. C’est dans ce contexte atomisé sur le plan politique, que le gouvernement doit réussir à réformer un pays. L’exemple du Pérou n’est pas une exception.
Les pays voisins, la Bolivie et l’Equateur, ont également connu des difficultés politiques (le premier, avec la démission du Président Evo Morales et des élections contestées, et le deuxième avec les mobilisations des populations indiennes). Au mois de mars, l’Equateur a connu un nouveau coup dur après la démission du ministre du Travail et de la Santé. Ces situations servent de révélateur d’un contexte politique globalement tendu dans lequel l’Amérique latine va devoir surmonter l’arrivée du virus Covid-19. Il s’agit désormais, d’un défi politique majeur pour les gouvernements latino-américains.
Le référendum au Chili et les élections présidentielles en Bolivie reportées
Le Covid-19 a déjà entrainé, au Chili, le report du référendum portant sur le projet d’une nouvelle constitution. Initialement prévu en avril 2020, il est reporté au mois d’octobre prochain. En Bolivie, les élections présidentielles prévues au mois de mai, ont été également décalée, sine die, et prévues pour le mois d’octobre 2020. Une incertitude règne concernant le déroulé des élections présidentielles et législatives en République Dominicaine le 17 mai prochain.
Le Covid-19 est également un accélérateur de la tension régionale et avec les Etats-Unis à l’égard du Venezuela. Les données sanitaires ne sont pas connues dans un pays où le système de santé s’est fortement dégradé ces dernières années, mais la crise a offert une opportunité politique aux adversaires de Nicolas Maduro pour accentuer la pression sur le régime. Accusé de collusion et complicité avec le narcotrafic par les Etats-Unis, Nicolas Maduro est plus que jamais isolé, son partenaire chinois étant encore embourbé dans la crise sanitaire, la Russie y entrant et ses alliés latino-américains (Argentine, Nicaragua, Cuba, Mexique) devant se concentrer sur leur propre gestion nationale.
La pandémie du Covid-19 a contribué à renforcer les dispositifs nationaux sur les coopérations régionales : quid de l’Alliance du Pacifique, du Système d’intégration centraméricain (SICA), des systèmes de coopération dans les Caraibes, d’un Mercosur moribond ?
Le Covid-19 semble accélérer le processus de fragmentation politique d’une Amérique latine qui court le risque d’entrer en récession au sortie d’une crise sanitaire historique.
Cependant, des lueurs d’espoir apparaissent : les régions, les pôles urbains aussi importants que Sao Paulo, Rio de Janeiro au Brésil, Santiago de Chile ou Mexico, assument leur rôle dans une forme de répartition des pouvoirs en situation d’urgence avec le centre. Cette réalité ouvre la réflexion à une décentralisation, déconcentration et fédéralisme, sur des questions sociales et de santé essentielles pour l’unité nationale. Le Covid-19 peut être un accélérateur de réformes essentielles aux économies latino-américaines, dont beaucoup sont émergentes et inscrites dans la réalité du commerce international.
Pascal Drouhaud, Président de l’association LatFran, vice-président de l’Institut Choiseul
Guillaume Asskari, journaliste et producteur, spécialisé sur l’Amérique latine
Photo : Canal du Panama, crédits : Pascal Drouhaud