Laurence Taillade, présidente de Forces Laïques, Le Parti Républicain Solidariste et essayiste s’interroge sur le nombre réel de morts chez les personnes âgées.
Tous les soirs, vers 19 h, le professeur Salomon égraine des chiffres qui sont, à ses yeux, un état des lieux des répercutions d’une crise de la pandémie mondiale qui s’est effroyablement ancrée dans notre pays.
Or, derrière cette froide comptabilité se cachent des réalités de vies brisées, de familles endeuillées, pour nombreuses d’entre-elles dues à l’imprévoyance de cette équipe gouvernementale que Jérôme Salomon semble couvrir, en ne révélant que le nombre de morts à l’hôpital, les comparant à ceux d’autres pays, qui n’ont pas les mêmes méthodes de calcul, comme pour relativiser l’ampleur de cet échec sanitaire.
En effet, Le bilan officiel, qui nous est présenté tous les soirs, ne comptabilise que les décès survenus dans le milieu hospitalier.
Il est, de fait, très sous-estimé par rapport à la réalité, n’ayant aucune considération pour les décès à domicile et dans les Ehpad.
Pourtant le directeur général de la santé admet lui-même que le gros des morts intervient dans ces deux structures, précisant qu’il est dans l’incapacité de répertorier ces chiffres de façon précise.
Par ailleurs, depuis l’entrée dans le stade 3, le gouvernement français a décidé de ne tester que les cas graves, ce qui sort du radar un grand nombre de décès, d’autant qu’il n’y a pas de dépistage post-mortem.
Il faut souligner, que pour les maisons accueillant des personnes âgées, le dépistage n’est pas systématique1, ce qui rend la comptabilisation floue, peut-être à dessein.
Ainsi, ces cas, si l’on se réfère à la presse régionale, ne sont pas isolés, ils sont des dizaines par département, des centaines par région. Aux 570 décès liés au Covid-19 médiatisés dans les Ehpad de la région Grand-Est, s’ajoutent les 25 dans le Doubs à Thise2, les 15 morts d’une seule structure dans les Alpes Maritimes depuis le 20 mars3, ou encore les 12 de Mauguio dans l’Hérault4, les 11 dans une maison de retraite de la Vienne5, ou encore les 25 de Thise dans le Doubs6,… Et encore 12 à Villeneuve-de-Berg7, dans le Sud-Ardèche, 93 en Auvergne Rhône-Alpes, … La liste ne fait que s’allonger. Les Ehpad n’hébergent que 10% de personnes âgées de plus de 75 ans.
Les statistiques de l’INSEE8, basées sur les déclarations de décès à l’état civil, montrent « [qu’] entre le 1er mars et le 16 mars 2020, le nombre de décès enregistrés dans le Haut-Rhin est de 38 % supérieur à ceux enregistrés sur la même période en 2019 (…) La hausse des décès dans le Haut-Rhin entre le lundi 16 et le vendredi 20 mars sont supérieurs de 73 % dans ce département à ceux enregistrés la semaine précédente, du lundi 9 au vendredi 13 mars ».
L’épidémie est bien implantée dans nos établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, mais elle fait rage aussi dans les foyers de nos plus anciens, propagées par les soignants, aides à domicile, parfois même par les médecins, eux-mêmes sous équipés. Sans nul doute car l’on a tardé à fournir le matériel nécessaire pour éviter que les personnes contaminées, au contact de nos anciens, ne fassent entrer le virus dans leurs murs. Mais aussi car ce personnel, touché dans des proportions équivalentes à celle de la population, est bien sous-évalué, faute de tests en nombre suffisant, ce qui est absolument scandaleux. Il est difficile, dans ces conditions, de croire au soucis de protection des plus fragiles, évoqué par le Président Macron, quand il n’a pas donné les moyens pour atteindre cet objectif. Par exemple, en Auvergne-Rhône-Alpes, entre le 28 et le 31 mars 2020 inclus, 314 établissements médico-sociaux dont 236 Ehpad et 78 autres établissements ont fait un signalement de cas possibles ou confirmés de Covid-19. Au sein de ces 236 Ehpad, 1 191 résidents et 615 membres du personnel sont confirmés ou cas possibles Covid-19.
Il est maintenant trop tard. Ces personnes fragiles ont une double punition : confinées et mises à l’isolement de leurs proches qui redoutent de ne jamais les revoir, sous la menace d’un virus qui signerait irrémédiablement leur arrêt de mort, car jugées trop fragiles pour être mises sous respirateur, sans qu’il y ait des bénéfices à envisager.
Dans certaines régions en grande tension les services de secours d’urgence refusent déjà de les prendre en charge.
Les patients touchés par des pathologies lourdes, type Alzheimer, jugés ingérables par le personnel, sont refoulés.
Certains médecins vont devoir inexorablement mettre en place des protocoles d’accompagnement de fin de vie, à domicile ou dans les maisons de retraite, pour des patients en détresse respiratoire, avec des traitements habituellement réservés à des équipes hospitalières, dans le cadre d’un protocole de sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès, associant Rivotril® injectable, rendu désormais disponible en pharmacie sur prescription COVID-19, et morphine9, afin de leur éviter une mort par étouffement affreusement douloureuse, faute de lits et d’appareils respiratoires dans les hôpitaux.
La faute grave de ce gouvernement n’est plus à prouver, elle portait sur les stocks de masques, de matériel en général, due à une vision comptable, une politique de restriction budgétaire de la santé et à un objectif de démantèlement au profit de la privatisation de notre système social. Nous payons aujourd’hui le prix de ces quelque quinze années d’une vision libérale calquée sur la gestion de nos hôpitaux qui a provoqué la fermeture massive de lits – moins 5,3 % pour les seuls hôpitaux publics, soit 13 631 supprimés depuis 2013 – quand, dans un même temps, notre population a vieilli et a continué de croitre.
Le plus grave à relever est l’incapacité à anticiper de cette équipe gouvernementale qui s’est contentée, dans un premier temps, de nier la possibilité que nous soyons touchés, de ne pas avoir pris les mesures d’interdiction de rassemblements plus tôt, de ne pas nous avoir équipés pour y faire face, d’avoir sous-estimé la gravité du virus et de nous avoir menti, de continuer à nous mentir, sur l’évidence qui saute aux yeux d’une crise sans commune mesure.
Nier la vérité ne la rend pas moins vraie, mais augmente la défiance généralisée, donne crédit aux théories complotistes les plus farfelues et amoindrit l’importance d’un comportement responsable sur le plan individuel, puisque le collectif – dont ils ont mandat – a failli.
Nier la vérité accroit les inquiétudes, légitimes, de nos concitoyens, dont les parents, grands-parents sont confinés, seuls, dans leurs petites chambres ou à leur domicile.
Nier la vérité amoindrit la grandeur de la tâche de tous ceux qui continuent à faire face à l’urgence, qui cohabitent avec la mort et la regardent dans les yeux tous les jours. C’est leur faire le pire des affronts, après les avoir traités par le mépris, ils sont considérés comme de la vulgaire chair à canon.
Il y a un temps pour tout. Celui des comptes devra sonner.
Laurence Taillade
Présidente de Forces Laïques, Le Parti Républicain Solidariste
Essayiste auteur de Etre une femme en 2020 et L’urgence laïque, Editions Michalon
- https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Sante/Coronavirus-difficile-decompte-morts-2020-03-26-120108623, ↩
- https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/doubs/besancon/coronavirus-covid-19-ehpad-du-doubs-thise-25-residents-sont-morts-1810160.html ↩
- http://www.leparisien.fr/faits-divers/coronavirus-15-morts-dans-un-ehpad-des-alpes-maritimes-31-03-2020-8291418.php ↩
- https://www.boursorama.com/actualite-economique/actualites/coronavirus-onze-morts-dans-un-ehpad-de-l-herault-bcbc9c7a42dffe8d79002f49ff315f84 ↩
- https://www.francebleu.fr/infos/sante-sciences/coronavirus-onze-morts-dans-une-maison-de-retraite-de-la-vienne-1585592024 ↩
- https://www.macommune.info/le-bilan-salourdit-a-25-deces-a-lehpad-de-thise/ ↩
- https://www.ledauphine.com/edition-drome-ardeche-sud/2020/03/28/covid-19-un-12e-resident-decede-dans-l-ehpad ↩
- https://www.insee.fr/fr/information/4470857 ↩
- https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000041763328 ↩