Avec un « Au-revoir » à 2020, chanté sur des airs énergiques et sans indulgence ou bienveillance aucune – et qui pourrait nous en vouloir ? – nous voilà en train d’écrire la préface du nouveau tome de la troisième décennie du XXIe siècle. Par Vasso Loukou.
À la carte des jours, de chaque jour « nouveau » : optimisme, espoir et expectatives.
2021 doit être admirable, agréable, brillant, bien moulé, bien bâti, balancé, charmant, chouette, délicieux, exquis, formidable, florissant, généreux, harmonieux, i, j k, l,m,n, etc., prospère, zélé. Mais avant tout, guérisseur, salvateur.
Les premiers jours de chaque nouvelle année ne sont, en fait, qu’un point de départ conventionnel, partial et presque déloyal de l’agenda personnel et terrestre, les cycles des saisons, le tic-tac des horloges, la puissance de Chronos étant indéfectibles et sempiternels.
En ce début 2021, la nuit tombée, nous allons dormir vainement. Et, le nouveau jour, une fois né, nous nous réveillons sans but, sans objectifs et parfois sans motivations. En sortant de notre lit chaud et réconfortant, là où nous enfouissons songes, rêveries, illusions et espérance, nous posons les pieds dans la froideur et l’austérité de la réalité, des mesures politiques, du tempo mesuré d’un morceau musical ne ressemblant en rien à un allegro, mais proposant comme seule chorégraphie des petits pas à exécuter sur place, avec ou sans partenaire. L’évidence est là, elle nous rattrape en un temps record, la triste réalité est comptabilisée, égrenée, recensée inlassablement par les média et les oracles politiques : la pandémie de Covid 19 n’a pas disparu.
Retiendrons-nous de 2020 et 2021 – ou pis encore, refoulerons-nous – l’angoisse générée par un roman dystopique, écrit par la plume de Margaret Atwood ?
Une constatation apparaît sous les yeux de chacun : la pandémie a changé la donne. Elle fait montre de son pouvoir épouvantable et épouvantant sur une grande partie de la population mondiale. Les personnes les plus vulnérables, les personnes âgées, les personnes malades, ont peur. Les jeunes – et les un peu moins jeunes, d’ailleurs – se sentent seuls et appréhendent « le jour d’après ». Les confinements et le couvre feu ont freiné leurs rêves, leurs ambitions. Solitude, colère, sentiment d’enlisement, voire d’engluement, gagnent les gens. Une hibernation sans fin les immerge dans une adynamie mentale, ankylose leur esprit. L’inaction gagne du terrain. L’horizon est obstrué, les voies du monde sont impraticables. L’aventure ne frappe plus à la porte du monde onirique des jeunes pleins de vitalité, de cette fougue vitale palpitante et excitante inhérente à leur être. La vie est, depuis presqu’un an, à l’arrêt. STOP ! Les jeunes ne font plus de rêves prophétiques. Le faitout dans lequel bouillent les ingrédients du souffle juvénile va-t-il déborder, exploser ? Que fomentent les éléments qui s’y trouvent? Nul ne sait, tout est flou, et c’est inquiétant.
Les activités professionnelles prennent de plus en plus la forme du télétravail. De loin, on travaille de loin. Les notions, les sentiments, les mots pleins de sens, comme « proche », « près », « à côté », « ensemble », deviendront-ils bientôt obsolètes, seront-ils des mots-fantômes vidés de leur générosité, de leur solidarité, de leur mansuétude, de leur humanité ? Les mots changent, disparaissent, se renouvellent au contact d’autres mots venus d’ici et d’ailleurs. Ils appartiennent à une époque, à leur époque. Pourtant certains ne devraient pas s’effacer tant que l’humanité continuera d’exister, de construire, de proposer des solutions aux problèmes et aux crises. Ils devraient, ils doivent rester là, debout, vigoureux, pour défier les fléaux qui menacent de séparer les êtres humains, les êtres vivants. Ils doivent demeurer vivants pour rallumer les étincelles de vie, qui ne se seront pas éteintes, après cette léthargie dans laquelle notre mental et nos sens sombrent, tous les jours un peu plus.
La pandémie engendrée par la Covid 19 s’immisce dans les maisons, les esprits, les corps.
Elle laisse des places vacantes autour de la table. Elle interdit le dernier geste d’affection à ceux que nous aimons et qui ont été ou seront, peut-être être, emportés par elle. La pandémie qui s’est abattue sur la Terre des Hommes est ravageuse. Elle est mortifère par les stigmates qu’elle laisse dans la vie de tout un chacun, dans la société.
Vie sociale mise entre parenthèses, retrait dans la panique et l’isolement, dans l’étroitesse de l’ignorance de ce qui se passe, de notre monde émotionnel verrouillé. Et même si, lors de certains moments de répit qui nous sont accordés, nous nous jetons corps et âme dans la pratique des gestes de consommation anxiolytiques et euphorisants, ces comportements ne changent rien. Ils ne sont que l’autre face de la même médaille.
La pandémie a changé nos vies en quelques semaines. Seule la technologie nous avertit encore que notre voisin, notre ami, ceux que nous aimons et qui ont été touchés par le virus sont encore en vie, sont là : Connecté à 22 h 10. Outil de vie, notre Smartphone. Signal de vie : l’heure de la dernière connexion.
Les pandémies ont affecté les civilisations depuis les temps les plus reculés de l’Histoire. Et toutes ont eu des impacts sérieux sur la société. Oui, la première chose que le virus a foudroyée, c’est la Vie. La vie en société. La vie avec les autres, la vie dans la Vie. Elles ont toutes fait planer le spectre de la Mort sur les populations, ont démantelé l’échafaudage communautaire et social, elles ont renversé croyances et comportements. Mais elles ont aussi engendré de nouvelles questions. Elles ont fait naître de nouvelles réponses.
Si, aujourd’hui, chaque « Bonjour » a presque perdu sa consistante beauté, puisque le jour nouveau qui vient de poindre n’est pas forcément beau, essayons de conserver et de répondre à une question essentielle à notre survie, à notre vie : Comment conserver son propre temps, son temps intérieur, pour s’écarter du mieux possible de tout ça, et écarter de nous la morosité ambiante ? Cette question assène de ses points d’interrogation nos tempes, elle nous taraude, oui, comme un « Bonjour » répété à tue-tête, au diapason avec notre envie, notre désir, notre persévérance pour sortir de … tout ça, justement. Nous rejoignons, chaque matin, chaque crépuscule, malgré nous, un vide. Celui que nous ressentons après avoir refermé un livre dans lequel nous nous étions lovés, nous sommes envahis de ce sentiment amer, de cette sensation décourageante éprouvée dans notre âme et notre chair, quand l’être aimé vient de nous quitter, nous sommes perdus devant la nouvelle page de notre avenir, celle que nous voulons écrire, nous le voulons de toute notre force, de tous nos élans, mais nous en sommes incapables. Elle reste blanche, cette page, les signes ne veulent pas s’y accrocher, ils sont rétifs, imperceptibles, insaisissables. Mais cette question ne doit pas nous quitter. Comment faire pour que le temps philosophique de chacun de nous soit une bouée de secours nous emportant vers le rivage ?
Les crises, quelle que soit leur nature, nous attrapent par les chevilles et, d’un mouvement brusque et implacable, nous secouent. Nous regardons alors le monde à l’envers. Nos croyances, celles que nous avons en nous et sur nous, tombent à la renverse. Elles s’écroulent en faisant parfois un tapage assommant. Accablant.
Quelle que soit l’empreinte laissée par la pandémie de Covid 19, notre confiance en l’avenir de doit pas s’éteindre.
Confiance en la Science, confiance en la raison, confiance en soi et confiance envers les autres. Car seuls, nous n’irons pas très loin.
L’épée de Damoclès n’est pas le Covid 19. La vraie menace, c’est l’oubli. Ne devenons pas des Lotophages égarés. « Les crises, les bouleversements et la maladie ne surgissent pas par hasard. Ils nous servent d’indicateurs pour rectifier une trajectoire, explorer des nouvelles orientations, expérimenter un autre chemin », disait Carl Yung.
Reconstituons les morceaux du puzzle de notre vie, tous les jours un petit peu, et, tel un plongeur expérimenté, essayons de remonter à la surface de l’abîme, où problèmes et situations inattendus, déconcertants et brutaux nous ont précipités, avec pour butin les baumes cicatrisants et miraculeux découverts au fond de notre océan. Puis, regardons avec recul et éblouissement la croûte qui s’est formée et qui nous annonce que les Lestrygons, ces géants, ces monstres invisibles, ces mangeurs d’Hommes qui nous menacent nous pouvons les vaincre.
Rêvons d’un monde plus juste, plus prodigue, plus aimable et aimant. Et commençons à le construire, petit à petit. D’abord petit, il deviendra grand, un jour, ce monde meilleur.
Vasso Loukou