Mathématicien lauréat de la prestigieuse médaille Fiels en 2010, député LREM de l’Essonne, candidat dissident aux élections municipales à Paris, Cédric Villani a accepté de répondre aux questions de la Revue Politique et Parlementaire.
RPP – Vous êtes parlementaire depuis deux ans. Trouvez-vous suffisante la mobilisation du politique pour les enjeux scientifiques et plus largement pour les problématiques de recherche ?
Cédric Villani – Da façon générale, le politique pourrait être beaucoup plus engagé sur les questions de sciences et de recherche. Ce n’est pas qu’on ne parle pas assez de sciences à l’Assemblée, mais c’est plutôt que la communication entre l’enjeu scientifique et les autres enjeux a du mal à se faire.
Par exemple, la rénovation énergétique et thermique des bâtiments, qui est un enjeu majeur pour l’écologie et sur lequel nous avons travaillé à l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST) avec le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB), n’a pas été abordée dans le projet de loi de finances pour 2020. Malgré le travail de fond effectué avec d’autres députés impliqués sur le sujet, le gouvernement n’a pas saisi l’opportunité de considérer nos travaux pour l’inclure dans le projet de loi.
De la même manière, l’OPECST traite de nombreux enjeux scientifiques et technologiques cruciaux, mais ceux-ci sont bien souvent peu, voire mal repris dans les débats publics. Ainsi, au moment de la publication du rapport sur l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences européennes en mai dernier, un sénateur a fait une sortie controversée sur le glyphosate avant même la publication du rapport. Les choses se sont rapidement emballées, sans que personne ne prenne vraiment la peine de lire le rapport et ce qu’il contenait véritablement.
Après l’enthousiasme de début de mandat, l’OPECST repose aujourd’hui sur une poignée de députés actifs. Il reste encore du chemin à faire pour une reconnaissance pleine et entière de cet office parlementaire, même s’il convient de noter une progression incontestable à l’Assemblée nationale par rapport à la précédente mandature.
Toutefois, il arrive que le politique puisse se mobiliser sur des enjeux scientifiques très forts.
Cela a notamment été le cas lors de la parution de mon rapport sur l’intelligence artificielle en mars 2018, où l’on a pu constater une vraie attente de la presse et des médias, de même qu’une vraie reprise du sujet par le politique.
RPP – L’organisation de la recherche française repose sur les briques de ses grands organismes (CNRS, Inserm, CEA, etc…). Au regard d’une compétition internationale qui ne cesse de s’intensifier, jugez-vous cette organisation encore adaptée ? Ou doit-elle évoluer ?
Cédric Villani – Les grands organismes de recherche sont essentiels et se révèlent encore adaptés aux enjeux de notre époque. Il faut aussi saluer le rééquilibrage vers les universités qui a été effectué au niveau du pilotage de la recherche et ceci pour que la recherche avance autant que possible sur ces deux jambes.
Certes, si évolution il doit y avoir, ce sera vers toujours plus de fluidité entre les différents acteurs et organismes, entre secteurs public et privé. Il demeure cependant de nombreux mécanismes trop lourds et pas assez compétitifs, qui ont besoin de gagner en efficacité.
RPP – Qu’attendez-vous de la future loi de programmation de la recherche ? Et est-ce que la recherche se programme ?
Cédric Villani – Cette loi de programmation pluriannuelle de la recherche aura surtout vocation à être une loi de programmation structurelle, traitant des questions de postes et de financement de la recherche française. Cette loi visera à donner plus de moyens, de temps et de liberté aux chercheurs, tout en abordant les synergies possibles, l’articulation essentielle, qui doit exister entre le monde de la recherche et l’industrie. Il ne s’agit donc pas de programmer les thématiques que la recherche devra aborder dans les prochaines années, mais plutôt de réformer structurellement la recherche française.
RPP -La confiance dans la science est un élément, comme le montre un certain nombre d’études d’opinion mais aussi de controverses, qui tend à s’infléchir. Comment expliquez-vous ce phénomène et quelles sont les mesures que vous préconiseriez pour restaurer un lien plus resserré avec la société ? Et plus généralement les scientifiques ne portent-ils pas leur part de responsabilité ?
Cédric Villani – Cette problématique fait également partie du rapport sur le financement de la recherche remis au Premier ministre en septembre dernier, qui préconise notamment le nécessaire développement du débat sur les sciences participatives, tout comme la valorisation des activités de diffusion de la science dans la carrière des enseignants chercheurs.
Les scientifiques ont leur part de responsabilités sur ce sujet, car ils ont en effet longtemps considéré le dialogue avec la société comme un élément accessoire à leur profession.
Je suis pourtant moi-même convaincu de la nécessité de rapprocher le scientifique de la société pour restaurer la confiance des citoyens envers la science, et j’y ai consacré un pan entier de ma carrière.
RPP – Vous êtes candidat à la mairie de Paris. Une ambition pour Paris ? Et laquelle ?
Cédric Villani – Nous avons besoin de travailler à Paris sur l’attractivité universitaire internationale. L’accueil des chercheurs à travers la création d’une grande résidence de chercheurs, dans un endroit emblématique et prestigieux, est primordial pour faire de Paris une capitale de la science.
Il faut également des mesures pour faciliter la vie des étudiants dans un contexte où la vie parisienne est difficile et chère. De même, il nous faut utiliser Paris pour renverser le « brain drain », cette fuite des cerveaux vers l’étranger, qui touche nombres de secteurs concurrentiels.
Il faut également garder en tête que Paris a vocation à être une grande place des sciences pour des sujets tels que le développement durable, l’environnement de manière générale. De nombreuses initiatives comme l’Institut d’Ecologie et des Sciences de l’Environnement, de l’université Paris-Sorbonne, sont à encourager.
N’oublions pas que Paris est aussi la ville de la COP21 et devra véritablement devenir à terme la métropole des études sur le climat.
Paris doit également devenir une grande interface pour les sciences, un laboratoire d’études sur des sujets environnementaux cruciaux tels que les nouveaux modes de vie urbains. Il existe une référence universitaire bien connue à l’international sur ce sujet, le Carnegie Institute of Technology à Pittsburg. A Paris, nous avons l’Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles, dont une partie des travaux pourrait être davantage mobilisée au profit du développement de la ville sur des sujets environnementaux et la mobilité urbaine.
Cédric Villani
Député de l’Essonne
(Propos recueillis par Arnaud Benedetti)