On conviendra volontiers avec Gérard Collomb qu’avec l’affaire du navire Ocean Viking, on assiste à « un tournant dans la politique d’immigration en France. » Rappelons qu’en 2018, il s’était opposé à l’idée d’un tel « centre contrôlé » (hot spot) à Toulon. C’est même pour cette raison qu’il avait démissionné. C’est une véritable « brèche » que l’exécutif a sciemment ouverte en acceptant que ce bateau débarque à Toulon. Mais au vu des dernières évolutions de l’affaire, l’ancien maire de Lyon en a trop dit ou pas assez.
Ecoutons et méditons aussi Michel Rocard : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde. Mais elle doit y prendre sa part ». Ces propos datent du début des années 90. Près de trente ans après, on sait que la France est plus que généreuse dans l’accueil. Plus de 7 millions d’immigrés vivent sur notre territoire soit 10,3 % de la population totale. Les demandes de naturalisation ayant explosé 2,5 millions d’immigrés, soit 36,0 % d’entre eux, sont français. Ils ont acquis la nationalité française depuis leur arrivée en France. La population étrangère vivant en France s’élève à près de 5,5 millions de personnes, soit environ 8 % de la population totale (source INSEE, 2021). En 2021, 47,5 % des immigrés vivant en France sont nés en Afrique (33,1 % sont nés en Europe). Les pays de naissance les plus fréquents des immigrés sont l’Algérie (12,7 %), le Maroc (12 %). Les pays d’Afrique noire deviennent un terreau de plus en plus fertile mais le comptage est compliqué en raison de la clandestinité de la majorité de leurs ressortissants. La Covid avait eu un avantage : mieux contrôler les flux et limiter les entrées.
Le décor chiffré étant en quelque sorte planté, que révèle l’affaire de l’Océan Viking ?
D’abord qu’Emmanuel Marcon a un réel problème avec l’immigration. Il est certainement le président de la Ve qui a le plus mal géré le problème.
La réaction de son ancien ministre de l’Intérieur G. Collomb (inspirateur historique du macronisme) le démontre au-delà de toute espérance. En matière de navire humanitaire, l’actuel président se pose en paradoxe vivant. Voyons comment du refus de l’Aquarius à l’accueil de l’Ocean Viking, E. Macron a changé de doctrine. Si tant est qu’il en ait une. En juin 2018, ce dernier a tenu tête au ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, en n’accueillant pas à Marseille les 629 passagers (dont certains étaient très mal en point) de l’Aquarius refoulés par Rome. Appelant alors à ne pas « céder à l’émotion », le président avait fustigé les « déclarations d’estrade » et la vision par le « petit bout de la lorgnette » de ceux qui lui intentaient des procès en inhumanité. Il avait même annoncé qu’un tel accueil serait un signe fait à l’extrême droite. « Si nous voulons avoir une politique migratoire qui soit cohérente, il faut respecter les règles européennes », avait rajouté Bruno Le Maire. Face au double refus franco-italien de laisser le navire accoster sur leurs côtes, c’est finalement l’Espagne qui s’était muée en pays hôte.
Quatre ans après, même cause mais effets différents. Avec l’Ocean Viking, la France joue donc aujourd’hui le rôle qu’elle s’était refusée à assumer hier, sans qu’un contexte particulièrement nouveau ne justifie ce changement de pied.
Signe que quatre années ont passé sans que ne soient réglées les défaillances de la France et de l’Europe en matière migratoire.
Le navire a donc déposé 230 migrants sur le site de Toulon. Après trois semaines d’errance à la recherche, vaine, d’un port sûr sur Malte ou en Italie, l’Ocean Viking, bateau ambulance affrété par l’ONG française SOS Méditerranée a accosté, « à titre exceptionnel » et en vertu « d’un devoir d’humanité », a annoncé le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin. Ce dernier, sur ce dossier, est un amateur et un menteur. En effet, il sait pertinemment qu’avec l’Ocean Viking une (mauvaise) jurisprudence a été posée qui sera renouvelée. Quant au devoir d’humanité, la France a fait depuis des décennies ses preuves en la matière. Beaucoup plus que nos principaux partenaires de l’UE. Nos conditions sociales, plus que généreuses, attirent tout particulièrement les ressortissants d’Afrique (noire et du Nord). « C’est beau, c’est généreux, la France » disait de Gaulle. D’ailleurs un grand nombre de gouvernements des pays d’origine vantent officiellement les vertus de notre système d’assistance sociale. Une récente note de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) consacrée aux évolutions des migrations africaines vers les pays développés entre 2001 et 2016 a notamment relevé qu’en matière de migration africaine « la France est toujours la principale destination ». La France doit devenir à même de choisir son immigration et de ne plus la subir. Car, une fois sur notre sol, les immigrés surtout humanitaires ne partent plus.
L’immigration a un coût M. Darmanin. D’abord des coûts indirects. Ils concernent la part de l’immigration ou les manques à gagner dans les autres coûts supportés par l’État : les coûts de structure, les coûts régaliens (police, gendarmerie, justice), les coûts sociétaux (fraudes, contrefaçon, prostitution, transports publics, trafics, cyberdélinquance…), les coûts humanitaires (droit d’asile), les coûts éducatifs. Le total se monte à 42, 930 milliards d’euros. Ensuite il y a des surcoûts de l’immigration irrégulière. Ce sont principalement l’aide médicale d’État pour 1,2 milliard d’euros, la procédure d’étrangers malades (250 millions d’euros), la prise en charge d’une partie des « mineurs non accompagnés » (225 millions d’euros), l’ensemble complexe des procédures visant les déboutés : interpellations, hébergement, reconduites et retours aidés, frais de justice… Le tout pour un total de dépenses de 3,919 milliards d’euros face auxquelles les recettes notamment les amendes pour emplois d’étrangers sans titre (149 millions d’euros) pèsent peu. Au total, le bilan comptable de l’immigration est négatif de 40,262 milliards d’euros (153,190 milliards de dépenses et 112,928 milliards de recettes) (touscontribuables.org). Et les quelque 240 migrants débarqués à Toulon vont coûter (nous osons le terme) combien ? Celles et ceux qui devaient être soignés l’ont été. Certaines femmes vont accoucher en France (donc nationalité française acquise). Chacun a déjà reçu au minimum une CB, une carte médicale et divers tickets restaurant.
Saisie par les organisations humanitaires (et oui déjà !), la justice s’est penchée mardi 15 novembre sur une éventuelle prolongation de huit jours du maintien dans la zone d’attente de Giens pour 160 migrants. La quasi-totalité des premiers dossiers étudiés a fait l’objet d’un refus pour une erreur dans la procédure. Certains migrants sont donc à présent dans la nature, livrés à eux-mêmes. Ils seront prompts, c’est certain, à commettre quelques exactions. C’est justement le risque majeur que l’on peut craindre avec des individus qui débarquent dans un pays dont ils ne partagent ni les us ni les coutumes ni la culture. A ceux et celles qui nous dirigent, on ne peut que conseiller de lire l’ouvrage essentiel de Samuel Huntington, Le choc des civilisations. Tout y est dit, voici bientôt 30 ans, sur les problèmes migratoires actuels et notamment le fait que des civilisations, des cultures ne sont pas assimilables. Et quand on y ajoute les dangers d’un islamisme grandissant, c’est encore pire.
G. Darmanin a indiqué que 44 migrants seraient expulsés (sur 230). Quand ? Comment (avec des OQTF !) ? Personne ne sait. Là encore, le ministre de l’Intérieur ment. En vérité il y aura très peu d’expulsions. De toute façon, en matière migratoire comme en matière sécuritaire, ainsi que l’a fort justement énoncé la députée EELV Sandra Rigol, Darmanin « fait du sous-Sarkozy ».
Au moment où nous achevons ces lignes, les faits, toujours têtus, sont venus remettre en cause la posture du ministre de l’Intérieur. D’abord 26 des 44 migrants mineurs ont fugué de l’hôtel où ils étaient hébergés. Ensuite, et surtout, un fiasco judiciaire et politique absolu est survenu. La quasi-totalité des migrants ont dû être laissés libres. En effet étant donné un manque de magistrats dans le tribunal judiciaire de Toulon pour traiter leurs dossiers, les délais ont été dépassés. Qu’elle soit administrative et a fortiori judiciaire, la procédure française est exclusivement protectrice des droits de la Défense. Le traitement généreux des migrants en atteste. Les droits des victimes ou même de l’Etat parfois (donc ceux du peuple et du contribuable) est quantité négligeable. En affirmant qu’une quarantaine de migrants allaient être expulsés, G. Darmanin, nous le redisons, a donc menti et fait montre d’un grand amateurisme. Ecoutons G. Collomb : « Toutes mes équipes [à l’époque] me démontrent, en effet, que compte tenu des législations françaises et européennes, si l’on accueille des migrants dans ce type de centre, on ne pourra pas les faire repartir, et que l’on se retrouvera dans la même situation que l’Italie, Malte, la Grèce ». Votre grand tort, M. Collomb, c’est justement de ne pas avoir parlé haut et fort de l’incurie migratoire de votre poulain E. Macron en 2018. Vous avez préféré déserter que de dire les choses. La vérité est souvent difficile mais toujours nécessaire. Même si le prix à payez pouvait s’appeler Marine Le Pen. Ce qui ne s’est pas produit en 2022 pourrait se faire en 2027. Et des affaires comme l’Ocean Viking en sont les meilleurs vecteurs.
Donc dorénavant les mineurs (qui ne le sont pas toujours) isolés de l’Ocean Viking qui ont fui vont venir grossir le flot incontrôlable de ceux déjà présents sur notre territoire et qui sont le cauchemar des forces de l’ordre. Car ils deviennent majoritaires dans l’accomplissement de la plupart des délits (notamment sur Paris). Quant aux majeurs que la justice a « dû » laissé partir, ils vont pour la plupart s’adonner aux activités délictuelles voire criminelles en tous genres. C’est au nom des sacro-saints droits de l’homme et des libertés qu’on n’a pu retenir ces mineurs dans l’hôtel où ils résidaient et qu’on a relâché les majeurs. On ne peut les contraindre mais certains d’entre eux vont pouvoir contraindre des honnêtes citoyens à être agressés… Attendons quelques jours et l’on devrait assister à quelques méfaits.
Parce qu’il s’aperçoit quand même qu’en matière d’immigration c’est la gabegie absolue, le gouvernement Borne prépare un nouveau projet de loi sur l’asile et l’immigration. Le ministre de l’Intérieur Darmanin entamera bientôt les discussions sur le projet de loi immigration avec les groupes politiques et les acteurs concernés. Il ne s’agira jamais que de la 29e loi depuis 1980. Le projet doit être soumis au Parlement début 2023 pour une adoption au premier semestre.
De façon concrète il va falloir réellement envisager de dire stop à l’accueil de tels migrants. Même au pays de Rousseau et d’Hugo, on ne peut plus assumer de telles situations. Ne serait-ce qu’au nom de notre situation économique. On aurait dû refuser l’accueil de l’Ocean Viking à l’instar de nos amis italiens. A contrario on a cédé et on s’est querellé avec l’Italie. Après Berlin, Rome voire Londres, Paris est plus ou moins brouillée avec ses principaux partenaires au sein de l’UE. Sa marge de manœuvre s’en ressent. Déjà quasi inexistante sur la scène internationale, la politique d’E. Macron le devient sur le continent européen….
Le dernier président qui déployait une vraie politique internationale qui était respectée (et la France avec) sur tous les continents, c’était J. Chirac. Depuis, morne plaine….
Il faut s’interroger pour savoir pourquoi ce bateau n’a pas accosté à Tripoli (Libye) ou éventuellement en Tunisie ou en Algérie (ports touristiques plus sûrs). D’abord car ces derniers pays ne sont pas vraiment demandeurs. D’autant moins qu’ils nous envoient tous les jours et avec plaisir quelques voyous qui défraient régulièrement la chronique. Ensuite car l’Europe en général, et la France en particulier, sont devenues l’Eldorado de l’Afrique. Enfin il est des liens suspects entre ces bateaux (et certaines ONG) et les passeurs. Des sommes folles (milliers d’euros) sont exigées des migrants. Il existe même un véritable business de l’humanitaire (avec même la complicité de certains Etats d’origine).
Certains pays, afin de stopper le flux migratoire, sont beaucoup plus efficaces que nous. Bien sûr des dictatures mais pas uniquement. Ils ont recours à la technique du push and back (refoulement). C’est le cas de la très démocratique Australie. Le refoulement est un terme qui fait référence à « un ensemble de mesures étatiques par lesquelles les réfugiés et les migrants sont contraints de franchir une frontière – généralement immédiatement après l’avoir franchie – sans tenir compte de leur situation individuelle et sans aucune possibilité de demander l’asile ». Les bons esprits vont de suite nous opposer que les refoulements violent l’interdiction d’expulsion collective d’étrangers dans le Protocole 4 de la Convention européenne des droits de l’homme et violent aussi souvent l’interdiction du droit international de non-refoulement. On nous rétorquera aussi que le refoulement, ainsi que les expulsions sommaires, sont également interdits par les articles 18 et 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Et si nous nous dégagions de ces traités devenus pour certains inadéquats ?
L’Australie a donc opté pour le refoulement. Le 15 janvier 2014, une « capsule de survie » en fibre de verre orange, contenant environ 60 demandeurs d’asile, a débarqué à Cikepuh dans l’ouest de Java. Un second contenant 34 personnes est arrivé à Pangandaran le 5 février. Le Daily Telegraph a rapporté que le gouvernement australien aurait acheté onze des capsules à Singapour pour un coût d’environ 500 000 dollars. En mai 2014, l’Australie aurait placé deux personnes arrivées plus tôt dans l’année sur un bateau avec d’autres demandeurs d’asile qui a été refoulé vers l’Indonésie. En janvier 2015, le ministre Dutton a annoncé que 15 navires, contenant 429 demandeurs d’asile au total, avaient fait l’objet d’opérations de refoulement vers l’Indonésie ou le Sri Lanka. Comment cela se passe-t-il ? Les autorités australiennes interceptent le bateau en question. Des policiers ainsi que des agents de secours montent à bord afin de contrôler et prêter assistance si nécessaire. Des soins et de la nourriture sont donnés. Les cas graves sont rapatriés sur le sol australien. Puis le bateau est escorté hors les eaux territoriales australiennes. Oserait-on dire que c’est simple et efficace. Humain mais ferme.
L’Australie, reste pionnière de l’immigration par points. Ainsi le contrôle de l’immigration repose donc sur un système de points qui sont attribués en fonction de multiples critères, tels que l’âge du candidat, ses diplômes, son expérience professionnelle ou son niveau de maîtrise de l’anglais.
Privilégiant l’immigration qualifiée et de qualité, l’Australie est l’un des pays accueillant le plus d’étrangers au monde. Seulement c’est un pays qui choisit et contrôle son immigration.
La France ferait bien de s’en inspirer. Mais nous sommes le plus souvent, redisons-le, entravés par des textes comme la CEDH ou la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE voire la Déclaration de 1789 ou le Préambule de 1946. Ce que Jean-Eric Schoettl appelle si pertinemment « le fondamentalisme droit de l’hommiste ». Mmes et MM les bien-pensants, à trop respecter droits et libertés, on les sacrifie.
« Ce n’est pas en soi l’immigration qui fait problème, mais l’arrivée massive d’une population pour la première fois difficile à soumettre aux critères de la francité traditionnelle »(Pierre Nora)
Raphael Piastra
Maitre de Conférences en droit public des Universités
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