Cette rentrée ne sera peut-être pas comme les précédentes. Peut-être…Tout dépendra de la qualité de l’information fournie aux citoyens par les media et autres moyens de divulgation, dont l’exactitude et la pertinence ne sont pas les caractéristiques essentielles, puisque le principal est qu’ils rapportent seulement le plus d’argent possible à leurs propriétaires. Imaginons donc que nous fassions l’objet d’un intérêt sincère et désintéressé de la part des élus, journalistes et autres chroniqueurs omniscients, alors sans doute nous expliquera-t-on, par exemple, par quel miracle la « suppression » de la taxe d’habitation a pu être réalisée ? L’ampleur et l’importance de l’enjeu méritent en effet qu’on examine les conditions dans lesquelles il a été, ou pas, atteint.
Bien qu’il soit délicat d’obtenir les données pertinentes et exactes, il semblerait que le montant de la taxe « supprimée », aurait été d’environ 18,5 milliards d’euros ; tout dépend de ce qui est pris en compte et la manière dont la « compensation » s’effectue au bénéfice des communes et autres. Pour la clarté de l’explication, tenons-nous en à ce chiffre.
Toute personne dotée d’un minimum de bon sens n’imagine pas qu’on puisse, ni supprimer une telle ressource des budgets locaux sans conséquence, ni que son montant puisse être prélevé dans le budget d’un État déjà largement déficitaire – 151,4 milliards en 2022 -, afin d’être « rendu » notamment aux communes, sans conséquence nationale. Tout étant dans tout et réciproquement, retirer 18,5 milliards d’un côté, c’est forcément les retrouver ailleurs…
Mais où et comment ?
Là débute une quête qui n’a rien à envier à celle du Graal.
Autant avouer tout de go qu’il s’avère quasiment impossible de retracer le cheminement de ces milliards entre les budgets des collectivités et celui de l’État ; tout au plus devons-nous en être réduits à une approche, certes grossière pour les experts en la matière, mais au moins compréhensible pour tout un chacun. Puisque les majorités actuelles se refusent à récupérer une partie significative des plus-values accumulées par les plus riches, sociétés et particuliers, il faut chercher ailleurs la source qui aurait permis d’alimenter le réservoir duquel sourd la « compensation » de la taxe d’habitation, versée aux collectivités. Or, en période de forte inflation, il en est deux qui s’imposent avant tout autre : la TVA et la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Quelle en a été l’évolution du produit ces derniers temps ?
D’après les chiffres officiels, le produit de la TVA en 2022 aurait atteint environ 170 milliards, en progression annuelle de 5,2 %…alors que l’inflation, d’après les mêmes sources, aurait été de…5,2 %.
Logique, non ? Soit, 8,4 milliards de plus de recettes par rapport à un produit de 161,5 milliards en 2021. Le même raisonnement permettrait de prévoir, en 2023 avec une inflation « limitée » à 4,5 %, une nouvelle progression de 7,65 milliards, de sorte qu’on serait passé de 161,5 à près de 177,65 milliards en deux ans. Voilà une bonne part de la « suppression » de la TH trouvée dans les poches des consommateurs, y compris les plus pauvres. La TICPE ayant rapporté 20 milliards en 2022, on peut concevoir qu’une autre partie du manque à gagner dû au remplacement de la taxe d’habitation, par un versement à partir du budget national, se trouverait là, surtout avec la hausse du prix des carburants cette année-ci.
Mais ce n’est pas tout.
Tout citoyen-contribuable-consommateur attentif sait que la TVA est appliquée à des taxes, redevances et tarifs locaux, tels qu’au moins, la taxe sur l’électricité, le prix du m³ d’eau potable et la redevance d’assainissement.
Cette bizarrerie qui consiste à faire payer un impôt national sur des taxes et autres prix locaux de services publics n’émeut personne, pas plus le fait que, si les entreprises déduisent légalement de l’assiette de l’impôt sur les sociétés l’ancienne taxe professionnelle et ses avatars, les simples particuliers, eux, ne peuvent pas en faire autant des impôts locaux, pour le calcul de leur impôt sur le revenu.
Autrement dit, même de manière volontairement fruste, ce sont les clients des entreprises qui paient et non les propriétaires de celles-ci, et ce même si les revendications des patrons portent encore et toujours sur la suppression totale de ces taxes locales, malgré le gain de 8 milliards d’euros dont ils bénéficient chaque année depuis 2010, grâce à la réforme qui « supprima » la taxe professionnelle.
Examinons donc, alors, l’évolution du produit de la TVA sur une simple facture de consommation d’eau potable, ainsi que l’assainissement qui succède à son utilisation. En 2007, dans une commune parmi les autres, le prix du m³ fourni puis épuré, coûtait 3,83 € TTC, dont 0,2 € de TVA ; en 2023, dans la même commune, si le prix total a crû à 4,66 € (soit quand même près de 22 % en 16 ans!), le montant de TVA s’élève presqu’à 0,34 €…soit 69 % de plus qu’en 2007 ! Laissons aux toutologues de tout poil, le soin de trouver les causes de ce phénomène soigneusement dissimulé à la population.
Bref et comme il était aisé de le prévoir, si la taxe d’habitation a formellement été supprimée (sauf pour les résidences secondaires), son poids sur les contribuables n’a évidemment pas disparu et a été reporté principalement sur les impôts indirects, les plus injustes comme chacun sait, puisqu’ils pèsent proportionnellement plus sur les pauvres que sur les riches. Il s’agit donc d’un triste tour de passe passe dont les auteurs n’ont pas à se glorifier.
Mais il en est un autre, plus habituel, qui donne lieu cette année à beaucoup de commentaires tout aussi approximatifs dans la presse, à savoir la forte progression de la taxe foncière sur les propriétés bâties, seule ressource fiscale communale encore susceptible de justifier le vote politique des élus. Les propos les plus fréquents sont semblables à ceux de la Dépêche du 28 août :
« En cette rentrée 2023, il faudra s’attendre au minimum à une hausse de 7,1%, entre autres à cause de l’inflation galopante de ces derniers mois et l’augmentation des valeurs cadastrales.
À cette hausse s’ajoute par ailleurs une augmentation des taux d’imposition décidée par les collectivités locales. Selon David Lisnard, président de l’Association des maires de France, 19% des communes sont dans ce cas de figure cette année. C’est le cas entre autres de Paris : dans la capitale, la taxe foncière pourrait bien faire un bond de 59%. »
…à ceci près que la hausse de 7,1 % n’a rien à voir avec l’inflation « des derniers mois », puisqu’elle a été votée par les majorités de l’Assemblée nationale dans le cadre de la loi de finances, à la fin de l’année dernière.
De plus, l’évolution des valeurs cadastrales est indépendante de cet « ajustement » là, puisqu’elle est le résultat des calculs effectués ponctuellement par les services fiscaux.
L’augmentation dont il est question est, elle, destinée à majorer, arbitrairement, toutes les bases d’imposition de la taxe foncière des habitations pour tenter d’en faire évoluer le montant comme l’inflation ; à défaut d’en avoir réussi la refonte complète il y a une trentaine d’années.
Ensuite, les élus locaux ont (presque) toute liberté pour maintenir ou baisser le taux de la taxe, soit pour bénéficier de l’augmentation du produit dû à celle des bases, soit, comme 263 communes l’ont fait selon le constat de la Direction générale des finances publiques, en baissant le taux de l’impôt.
En résumé, que la taxe foncière augmente plus ou moins fortement, qu’elle soit stable ou qu’elle baisse, cela relève de la seule décision finale et solennelle des élus locaux ; c’est même pour cela qu’ils sont élus au suffrage universel…puisque « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.[1] »
Ne doutons pas qu’au cours de l’automne prochain, nous serons abondamment nourris d’informations précises et exactes sur les sujets abordés ici…
Hugues Clepkens
[1]Article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789